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Quelle conformité à l’international : supervision à l’échelle d’un groupe

Quelle conformité à l’international : supervision à l’échelle d’un groupe

Temps de lecture estimé : 9 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

La maitrise des risques de non-conformité est aujourd’hui intégrée dans la stratégie des groupes internationaux. Le degré de supervision par l’organe central d’un groupe avec une présence à l’international peut varier suivant le niveau de maturité de son dispositif Conformité, l’appétence aux risques décidée par les dirigeants et la stratégie du groupe de décentraliser ou non les prises de décisions. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire et important d’avoir une approche structurante afin d’organiser au mieux le dispositif Conformité à l’échelle d’un groupe.

SOMMAIRE

  • Pourquoi décliner le dispositif Conformité à l’échelle groupe
  • Comment superviser au-delà des frontières ?
  • Quels sont les indicateurs d’une gestion efficace et maitrisée ?

 

Pourquoi décliner le dispositif Conformité à l’échelle groupe

 

Une obligation réglementaire ou une démarche volontaire ?

Le secteur d’activité concerné influe sur le caractère obligatoire ou volontaire d’une approche à l’échelle groupe plus ou moins stricte.

Pour les groupes exerçant dans le secteur financier qui sont soumis à agrément (comme les établissements de crédits, les banques digitales, les sociétés d’assurances, les courtiers, etc.), les règles de la société mère sont en principe appliquées par les filiales étrangères ; cela découle d’une obligation réglementaire.

Ainsi, la veille réglementaire est obligatoire à mettre en place pour les entreprises assujetties en France et leurs filiales à l’étranger.

Pour les autres entreprises, elles transposent à minima leur dispositif Conformité pour (i) assurer l’application du programme Anti-corruption (cadre extraterritorial de la loi Sapin II), (ii) assurer des vérifications sur les noms des clients, fournisseurs ou tout autre tiers contre les listes consolidées au regard des sanctions internationales (iii) lutter contre la fraude avec un programme à l’échelle groupe et (iv) respecter la confidentialité des données personnelles.

Cette cascade du dispositif conformité à l’échelle du groupe tend à assurer une supervision cohérente et efficace du dispositif global.

Nécessité de cascader le dispositif de la maison mère dans une perspective de maitrise des risques à l’échelle du groupe

La mise en place d’une gouvernance adaptée permet une telle maitrise des risques.

Ainsi, le Corps procédural va permettre une cohérence dans l’application des règles ;

Exemple : sur les sanctions internationales contre la Russie, sanctions EU et sanctions US (OFAC office of foreign assets control), diffusion à l’échelle groupe pour une application cohérente et uniforme par toutes les entités du groupe.

Un autre élément important est l’exercice de la cartographie des risques. Elle va aider à avoir la visibilité nécessaire : la société mère diffuse la méthodologie et ensuite, remontée des informations pour consolidation. Les risques spécifiques identifiés sont ainsi pris en compte et escaladés au niveau central.

De même, les « Key Risk Indicators » (KRI) sont ceux adressés par la société mère pour assurer un pilotage cohérent des risques identifiés.

Exemples : des KRI spécifiques sur le traitement des alertes en matière de Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Des indicateurs sur les correspondants bancaires : nombre, due diligence avant toute nouvelle relation, etc.

Enfin, cette cascade est liée également à la nécessité de contrôler les entités pour remédier à d’éventuels ajustements du dispositif (supervision) et assurer une maitrise globale des risques.

Superviser impose également de s’assurer de la bonne application des règles ; le contrôle est défini et déployé à tous les niveaux de l’organisation. Des contrôles effectués au niveau local mais également des contrôles décidés et exécutés depuis la société mère suivant le plan de contrôle annuel défini. Il s’agit bien d’assurer la maitrise des risques de non-conformité à l’échelle du groupe.

 

Comment superviser au-delà des frontières

L’exercice peut parfois paraitre difficile : les informations demandées ou cascadées depuis la société mère peuvent ne pas être comprises par les équipes locales ou appréhendées dans la même perspective.

 

La gouvernance en place comme passage obligé

  • Mettre en place une comitologie et en définir le cadre (fréquence, participants, contributions, présentations, décisions ou avis). Prendre en compte les différences de langues s’agissant du corps procédural, définir la hiérarchie des normes (politiques, procédures, instructions, etc.) Expliquer cette hiérarchie aux entités qui doivent bien appréhender les attentes.
  • Assurer un canal de diffusion : Diffusion des procédures, instructions, notes et toute autre information aux entités.
  • Pour les Etablissements de crédit, la gouvernance intègre la gestion harmonisée des correspondants bancaires, c’est-à-dire les banques partenaires qui fournissent des prestations de services bancaires notamment la gestion de trésorerie ou encore les virements internationaux. Une politique unique pour le choix de ces correspondants est mise en place dans les Etablissements de crédits afin d’assurer des dispositifs conformité équivalents et qui répondent aux exigences et standards internationaux. Enfin, la gestion des correspondants bancaires est souvent centralisée afin d’assurer un suivi consolidé et un contrôle cohérent pour l’ensemble du groupe.
  • Installer des reportings: la remontée des informations nécessaires permettra de compléter la visibilité de la société mère ; cela peut être une demande du régulateur et donc remontée des informations pour une consolidation par le central. Cela peut aussi être lié aux changements survenus dans un pays (nouvelle loi, audit régulateur, nouvelle liste de sanction, etc.).
  • Organiser des entretiens réguliers/visites de supervision : avec une liste des sujets à traiter et à sur lesquels échanger. Formaliser également cette supervision par le biais de rapports sur les sujets discutés.
  • Prendre en compte l’environnement réglementaire spécifique local, qui peut imposer un traitement différent des sujets Conformité (par exemple, résoudre la situation où certains dossiers présentent une sensibilité ou un impact potentiel sur le groupe dans un contexte réglementaire local interdisant l’escalade à la société mère).

L’extraterritorialité est-elle considérée/traitée comme une spécificité locale ? L’extraterritorialité n’est pas une spécificité locale mais plutôt s’impose comme une règle devant être appliquée en local. La conséquence est que parfois, un conflit de lois impose des avis juridiques et un traitement spécifique.

Exemple: extraterritorialité des règles américaines notamment sur les sanctions impose leur application au-delà des frontières. Autre exemple : extraterritorialité de la loi Sapin II avec les 8 piliers à mettre en place au sein des entités françaises avec leurs filiales situées à l’étranger.

Formaliser et suivre les spécificités locales

Pour identifier ces différences, il faut avoir mis en place une supervision rapprochée et donc avoir posé les bonnes questions au bon moment.

L’exercice de la cartographie des risques va aider à avoir cette visibilité en assurant la participation des entités locales à l’exercice et en ayant des échanges avec une méthodologie uniformisée en place au sein du groupe pour faciliter la consolidation des résultats.

Les comités mis en place permettront de remonter les informations pertinentes comme l’adoption d’une nouvelle loi, les difficultés d’implémentation d’une procédure cascadée par le central, etc.

Il s’agit donc de formaliser toute spécificité locale qui ferait obstacle à l’application des règles du groupe.

Mise en place de procédure opérationnelle dans chaque filiale tenant compte des spécificités organisationnelles et réglementaires.

Si des contraintes locales empêchent l’application d’une procédure, il faut formaliser cette exception et préciser si nécessaire quelle est l’option dégradée à mettre en œuvre.

Le système des exceptions doit toutefois rester spécifique et très limité.

La formation, partie intégrante du dispositif de supervision

Du fait de l’application des réglementations de la société mère à l’ensemble du groupe, et, plus globalement, de l’évolution réglementaire et environnementale pouvant impacter l’activité de l’entreprise, il est nécessaire d’avoir une interprétation cohérente et comprise par tous d’une manière identique. Par ailleurs, il est important d’expliquer ce niveau d’exigence lorsque cela est plus restrictif ou encore une nouvelle réglementation qui doit être déployer. La formation est clé pour les équipes locales.

Enfin, les formations sont ciblées et ont pour objectif de transmettre aux équipes conformité locales ce savoir et cette interprétation de la société mère pour qu’elles puissent former, à leur tour, les équipes métier locales. Les échanges font parfois apparaitre les spécificités/difficultés du local dans cette transposition des procédures de l’organe central.

Cela a également pour objectif de permettre une meilleure analyse des sujets conformité par les locaux ; une responsabilisation grandissante et donc une délégation locale plus large.

 

Quels sont les indicateurs d’une gestion efficace et maitrisée ?

Les indicateurs visés sont ceux liés à l’activité de l’entreprise et permettront de superviser efficacement le dispositif Conformité en place.

 

Des indicateurs de non-conformité sur les Know Your Customer

Le principe: il s’agit de s’assurer de l’uniformité dans l’application des règles.

La gestion uniformisée des tiers impose les mêmes exigences pour tout type de tiers (KYC, KYI, KYS, etc.). Les procédures de gestion des tiers sont détaillées et différencient les informations à collecter suivant le statut du tiers. Ainsi, des différences sont à prendre en compte suivant la relation entretenu avec le tiers : client, fournisseur, intermédiaire, etc. Tous ces tiers vont être définis au niveau de la MS pour avoir des règles cohérentes pour chaque type de tiers. Ce sont donc les mêmes procédures pour tous (à l’échelle groupe), etc. Au niveau local, les procédures sont implémentées avec des dispositions plus opérationnelles (ou des procédures opérationnelles) tenant compte de l’organisation, des processus ou encore des spécificités locales.

Quelques indicateurs à retenir : indicateur lié à la distinction de statut des tiers visés qui sera donc répercuté sur les informations à collecter. Un autre indicateur pourra être le nombre de clôtures des relations/tiers, par type de tiers, pour des raisons de non-conformité.

Un autre indicateur peut viser le nombre de Personnes Politiquement Exposées (PPE) à l’entrée en relation par rapport à l’ensemble des entrées en relation.

Indicateurs sur les transactions/flux financiers/outils

Les éléments qui sont à relever dans cette partie pourraient concerner le nombre d’alertes générées par l’outil LCB-FT (lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme) par rapport au nombre total de transactions (pour une banque), le taux de génération des alertes pourra aider à évaluer la pertinence des paramétrages ou encore la bonne couverture des risques avec les scénarios activés.

D’autres indicateurs pourront cibler le respect des sanctions financières, les résultats des contrôles effectués pour mieux pointer les axes d’amélioration ou encore la formation (avec des indicateurs sur le taux de participation, le taux d’achèvement, etc.).

Un point d’attention à prendre en compte sur les outils. Les systèmes d’information peuvent être différents au sein d’un groupe mais les informations à collecter sont bien les mêmes (suivant les procédures en place); on s’assure d’avoir les mêmes données bien que les outils soient différents. Pour certains traitements, des outils sont utilisés au niveau central pour permettre de maitriser davantage le risque de non-conformité : par exemple, vérifications des noms contre les sanctions (paramétrage, taux de similarité imposé, etc.).

Des outils pour la supervision des opérations, ex-post avec des scenarios couvrant les mêmes risques (socle commun) même si des spécificités locales peuvent également exister. Parfois, les outils sont centralisés pour la sécurisation des données ; cela est parfois difficile à concilier avec des réglementations sur la protection des données personnelles.

Les limites aux exigences du groupe

  • Les exigences locales : la loi locale peut imposer une interdiction sur les échanges d’informations (données personnelles); elle peut imposer que les décisions soient prises par les responsables locaux; elle peut également imposer que les outils soient localisés dans le pays (exemple du système d’information) etc.
  • Le dispositif conformité est local mais l’organisation souvent cascadée de la direction centrale : les structures des équipes, les différents domaines de la conformité, le lien hiérarchique de la fonction, etc. Toutefois, une spécificité locale peut imposer une organisation différente comme la séparation des équipes AML avec une unité distincte qui déclare les déclarations de soupçon (DS).
  • Les exigences réglementaires du central : les régulateurs peuvent être plus conservateurs. Par Exemple, la réglementation EU impose la collecte d’un certain nombre d’informations notamment s’agissant des PPE, l’origine du patrimoine et l’origine des fonds impliqués dans la relation d’affaire. Pour les entités qui ne sont pas dans l’UE, ceci n’est pas toujours requis. Toutes ces contraintes peuvent interférer dans la maitrise du risque global au niveau groupe.
  • Le risque spécifique local peut être lié à l’environnement géopolitique, à la culture, etc. par exemple l’usage fréquent du cash (normal dans certains pays) peut rendre difficile l’identification des transactions suspicieuses.

 

 

En conclusion, on peut noter certaines difficultés depuis le contexte de la pandémie du COVID.

L’absence de déplacements a impacté la connaissance du terrain : le contrôle se fait à distance, les formations également.

Conséquence, responsabilisation accrue des équipes locales mais renforcement de la supervision à distance et renforcement de la formation.

Une adaptation rapide avec tous les changements environnements et contextuels est nécessaire pour assurer le même niveau de supervision avec des moyens différents.

 

Auteur

Nathalie Sabek​​

Experte Conformité – Chargé de projet « Compliance transformation and Training » chez Arval Groupe – Intervenante pour le Certification Responsable Conformité / Compliance Officer

 

Sources :

Mesures financières contre la Russie : se conformer aux mesures de gel des avoirs

Mesures financières contre la Russie : se conformer aux mesures de gel des avoirs

Temps de lecture estimé : 12 min
Le gel des avoirs est l’une des sanctions financières importantes prononcées contre la Russie. Comment être conforme à ces mesures et les appliquer concrètement ? Après avoir rappelé les principes des sanctions internationales dans notre précédente publication consacrée aux mesures financières contre la Russie, nous aborderons dans cet article la spécificité des mesures de gel des avoirs et leur application pratique en conformité.

sanctions contre la russie et gel des avoirs : les personnes et entités concernées

Dans le cas de la Russie, les mesures de gel sont édictées dans les Règlements européens suivants :

  • Règlement (UE) 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine
  • Règlement (UE) 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

À ce jour, 1093 personnes et 80 entités font l’objet d’une mesure de gel au niveau européen, ces chiffres pouvant évoluer à l’occasion d’éventuelles sanctions internationales supplémentaires contre la Russie. Sont notamment frappés par une mesure de gel le président Vladimir Poutine, le ministre des Affaires étrangères Sergey Lavrov, les membres de la Douma et du Conseil National de Sécurité ainsi que des oligarques russes réputés proches de Vladimir Poutine. Les mesures de gel sont adoptées pour une période renouvelable de six mois.

les obligations de gel et d’interdiction de mise à disposition

Les mesures de gel s’accompagnent typiquement d’une interdiction de mise à disposition de fonds et de ressources économiques. À titre d’exemple, l’article 2 du Règlement (UE) 269/2014 dispose ainsi que :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés à l’annexe I, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2. Nuls fonds ni ressources économiques ne sont mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés (…), ni dégagés à leur profit. »

que sont les fonds et les ressources économiques ?

Les fonds sont définis de façon très large, à l’article 1er du Règlement (UE) 269/2014, comme désignant « les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, et notamment, mais pas exclusivement :

  • le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments de paiement
  • les dépôts auprès d’établissements financiers ou d’autres entités, les soldes en comptes, les créances et les titres de créances
  • les titres de propriété et d’emprunt, tels que les actions, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les obligations non garanties et les contrats sur produits dérivés, qu’ils soient négociés en bourse ou fassent l’objet d’un placement privé
  • les intérêts, les dividendes ou autres revenus d’actifs ou plus-values perçus sur des actifs
  • le crédit, le droit à compensation, les garanties, les garanties de bonne exécution ou autres engagements financiers
  • les lettres de crédit, les connaissements, les contrats de vente
  • tout document attestant la détention de parts d’un fonds ou de ressources financières. »

Les ressources économiques visent « les avoirs de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, qui ne sont pas des fonds, mais qui peuvent être utilisés pour obtenir des fonds, des biens ou des services ».

Dans une FAQ (Frequently Asked Question), la Commission a précisé que les navires tombaient sous le coup d’une mesure de gel.

quelles sont les principales obligations à la charge des organismes financiers ?

Les obligations pesant sur les organismes financiers s’agissant des mesures de gel sont longuement décrites dans les lignes directrices conjointes de l’ACPR et de la Direction Générale du Trésor (DG Trésor), le guide de bonne conduite de la DG Trésor ainsi que dans le guide publié par l’AMF sur le gel des avoirs. De tels guides existent également dans d’autres juridictions, comme au Luxembourg.  Les voici résumées à grands traits.

Comme l’a rappelé la décision prise contre La Banque Postale, le dispositif de détection doit permettre de couvrir de manière exhaustive le stock et les flux, à savoir respectivement les bases clientèles et les opérations de réception et de transmission de fonds ou ressources économiques.

La DG Trésor a précisé dans ses lignes directrices qu’en principe les établissements financiers doivent s’abstenir d’ouvrir un compte à une personne ou une entité faisant l’objet d’une mesure de gel, sauf autorisation de la DG Trésor.

Lorsqu’un client déjà présent dans les livres d’un établissement financier fait l’objet d’une mesure de gel, le compte doit être immédiatement gelé et la mise en œuvre de la mesure de gel doit être déclarée immédiatement à la DG Trésor.

Les opérations au débit sont suspendues, aucune espèce ne doit être remise au client et la réalisation de paiements au moyen d’instruments de paiement (carte bancaire, espèces) doit également être bloquée.

Les fonds perçus peuvent être crédités sur le compte à partir du moment où le compte reste gelé, mais ils doivent être déclarés à la DG Trésor. En pratique, certains établissements bancaires ségrégent les sommes dans un « compte gel » à des fins comptables et pour s’assurer du blocage des transactions. Par exception, certaines dépenses peuvent faire l’objet d’une autorisation générale et automatique ou d’une dérogation spécifique accordée par la DG Trésor, Il s’agit de dépenses de base (loyers pour la résidence principale, remboursements de prêts…), à condition qu’elles présentent des caractéristiques similaires dans le temps (créanciers identiques, prélèvements réguliers, montants stables).

Le compte restera ainsi gelé tant que la mesure à l’origine du gel n’a pas été abrogée, arrivée à échéance ou annulée par une juridiction administrative ou européenne.

Le pendant de la mesure de gel est l’interdiction de mettre à disposition, directement ou indirectement, des fonds ou ressources économiques.

Cela peut par exemple être le cas d’un transfert de fonds d’un virement bancaire d’une personne non désignée vers une personne désignée, ou d’un investissement d’un fonds d’investissement en private equity au profit d’une société faisant l’objet d’une mesure de gel.

Des mesures de vigilance adaptées doivent également être mises en œuvre à l’égard des personnes qui ont des liens familiaux, personnels ou professionnels ou de proximité avec une personne ou une entité désignée, tout en étant client de l’établissement concerné, ceci afin de s’assurer que des fonds ou ressources économiques ne lui soient pas mises à disposition.

Dans sa FAQ, la Commission européenne a confirmé que le détenteur d’actions ou d’obligations d’une entité désignée pouvait les vendre, dans la mesure où l’acheteur n’est pas lui-même une entité désignée et que la transaction ne viole pas les obligations de l’article 5 ou de l’article 5e du Règlement (UE) 833/2014.

Dans la pratique, c’est souvent moins l’application de la mesure de gel que le point de savoir si un compte doit être gelé ou si des fonds sont mis à disposition d’une personne ou une entité désignée qui pose difficulté.

geler ou ne pas geler ? les notions d’appartenance, de possession, de détention et de contrôle

Le gel porte sur les fonds et les ressources économiques qui appartiennent à une personne ou une entité désignée, ou  que cette personne ou entité possède, détient ou contrôle.

Là encore, les lignes directrices éclairent sur ce qu’il faut entendre par appartenance, possession, détention ou contrôle.

Les notions d’appartenance et de possession renvoient à la situation où « la personne ou l’entité désignée (seule ou avec une autre personne ou entité non désignée) est le propriétaire des fonds ou ressources économiques ou bénéficie d’un droit sur ceux-ci (paragraphe 76 des Lignes directrices conjointes de l’ACPR et de la DG Trésor) » .

Par ailleurs, les notions de contrôle ou de détention « visent les situations dans lesquelles la personne ou l’entité désignée peut exercer certains droits de gestion, d’administration et de disposition des fonds ou ressources économiques, sans l’accord préalable de leur propriétaire ou créancier, en vertu d’un texte ou d’un contrat (paragraphe 78 des Lignes directrices conjointes de l’ACPR et de la DG Trésor) ».

Quant à l’expression « mise à disposition indirecte des fonds ou ressources économiques », elle vise les cas où une personne ou entité agit sur instruction ou pour le compte d’une personne entité désignée ou est contrôlée par elle. Dans ce cas de figure, il convient de se rapprocher de la DG Trésor.

La notion de contrôle est très factuelle et peut être en pratique difficile à déterminer. Ce point est d’autant plus problématique que les mesures de gel sont également souvent assorties d’une interdiction « de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures ».

La Commission européenne a récemment été saisie de questions intéressantes sur l’applicabilité des mesures de gel.

Cas n°1:

En l’espèce, une personne inscrite sur une liste de gel occupait la position de président du conseil d’administration d’une entité non désignée (entité A). Selon les statuts de l’entité, le président du conseil avait pour responsabilité d’organiser les travaux du conseil et de veiller à la bonne exécution des missions du conseil par ses membres. L’entité A possèdait une filiale.

Les questions adressées à la Commission par l’autorité nationale concernée étaient notamment les suivantes :

« Sur la base des informations fournies et des informations émanant de sources ouvertes, peut-on conclure que la personne désignée contrôle l’entité A ?

Dans l’affirmative, le règlement interdit-il à un opérateur de l’UE d’effectuer des paiements à la filiale (…), contrôlée par l’entité A, pour l’achat de produits originaires de l’entité A? Le règlement interdit-il à une banque de l’UE de traiter ces paiements ? »

Dans un avis publié le 8 juin 2021, la Commission a rappelé les critères à prendre en considération pour déterminer si une entité est contrôlée par une personne ou une entité désignée :

  • « le pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de gestion ou de surveillance de la personne morale ou de l’entité concernée
  • le fait d’utiliser la totalité ou une partie des actifs de la personne morale ou de l’entité
  • le fait de partager conjointement et solidairement les obligations financières de la personne morale ou de l’entité, ou de les garantir
  • le fait d’exercer une influence sur la stratégie d’entreprise, la politique d’entreprise, les projets d’exploitation, les investissements, les capacités, les ressources financières, les ressources humaines et les affaires juridiques de la personne morale ou de l’entité
  • la mise en place ou le maintien de mécanismes visant à surveiller le comportement commercial de la personne morale ou de l’entité
  • d’autres indices, comme le fait de partager une adresse professionnelle ou d’utiliser le même nom, ce qui pourrait donner l’impression à des tiers que les deux entités font en réalité partie de la même entreprise ».

La Commission a rappelé que mettre des fonds ou ressources économiques à la disposition d’une entité non désignée qui est elle-même détenue ou contrôle par une entité désignée, reviendrait à mettre indirectement des fonds au profit de l’entité sanctionnée « sauf si l’on peut raisonnablement démontrer, au cas par cas et sur la base d’une approche fondée sur les risques, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, que les fonds ou les ressources économiques en question ne seront pas utilisés par ladite personne ou entité désignée ou au profit de celle-ci ».

Concernant la filiale elle-même, la Commission a rappelé qu’ « en règle générale, les entreprises mères contrôlent et dirigent les activités de leurs filiales (…). Une fois établi qu’une personne désignée contrôle une entité non désignée, on peut présumer que ce contrôle s’étend aussi aux filiales et aux actifs de l’entité non désignée. Cette présomption peut être réfutée au cas par cas par la filiale (…) si elle peut démontrer que tout ou partie de ses actifs échappe au contrôle de l’entité mère ou que cette dernière n’est pas contrôlée par la personne désignée. Il s’ensuit que mettre des fonds ou des ressources économiques à la disposition d’une telle filiale revient à les mettre indirectement à la disposition de la personne désignée, sauf si l’on peut raisonnablement déterminer, au cas par cas et sur la base d’une approche fondée sur les risques, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, que les fonds ou les ressources économiques en question ne seront pas utilisés par ladite personne désignée ou à son profit. ».

(…) Eu égard à ces considérations, la Commission estime que le fait d’effectuer des paiements en faveur d’une filiale établie dans l’UE qui est contrôlée par l’entité A revient à mettre ces fonds à la disposition de cette dernière.

Dans la mesure où l’entité A est contrôlée par la personne désignée, on peut considérer que les fonds sont indirectement mis à la disposition de la personne désignée. Ces paiements sont donc interdits, à moins que l’autorité nationale compétente ne les ait autorisés au titre de l’une des dérogations prévues dans le règlement ou à moins qu’on ne puisse raisonnablement déterminer, au cas par cas et sur la base d’une approche fondée sur les risques, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, que les fonds ne seront pas utilisés par la personne désignée ou à son profit. Les banques de l’UE doivent appliquer les procédures de diligence appropriées pour éviter qu’un paiement à une entité non désignée n’ait pour effet de mettre indirectement des fonds à la disposition d’une personne désignée. »

La Commission européenne avait également rendu un autre avis sur la notion de contrôle le 19 juin 2020. Dans sa FAQ dédié au gel des avoirs, la Commission a également précisé que le cumul de détention par des personnes ou entités désignées devait également être pris en compte : ainsi une entité détenue par deux personnes désignées à hauteur de 25% et de 30% devait être considérée comme étant sous le contrôle de ces entités.

Cas n°2 :

Une banque doit-elle geler les fonds qui ont été transférés via une banque désignée, lorsque ni le donneur d’ordre ni le bénéficiaire ne figurent sur une liste de sanctions ?

La Commission européenne a répondu par l’affirmative dans sa FAQ, s’appuyant sur un avis rendu le 4 juillet 2019.

Dans cet avis, la Commission avait rappelé que le gel porte notamment sur les fonds détenus par des entités désignées. Les fonds qui sont déposés auprès d’une banque désignée ou transférés à une banque désignée peuvent être considérés comme détenus par la banque en question, même temporairement. Cela signifie que les transferts venant d’une banque désignée ne devraient pas être rejetés ni retournés au donneur d’ordre mais devraient rester gelés, sauf à demander une autorisation auprès de la DT Trésor de libérer les fonds.

Ce cas est à distinguer de l’hypothèse où la banque désignée n’est pas frappée d’une mesure de gel mais fait l’objet d’autres mesures de restrictions financières (ex : sur le fondement du Règlement (UE) 833/2014). Là encore, il convient d’analyser les règlements en question pour déterminer le régime de sanctions qui s’applique.

en conclusion :  quelques bonnes pratiques

Les lignes directrices conjointes de la DG Trésor et de l’ACPR décrivent avec précision les obligations dont doivent se doter les organismes financiers en matière de dispositif interne.

Rappelons certaines d’entre elles :

  • Périmètre du dispositif de détection :
    • s’assurer que les listes de sanctions utilisées couvrent bien a minima les listes de l’ONU, de l’UE et de la France
    • s’assurer que le dispositif de filtrage couvre l’intégralité de la base clients et des flux
  • Paramétrage du dispositif de détection :
    • éviter le recours à des critères de détection trop restrictifs (fonctions de type « exact match ») qui ne permettraient pas de prendre en compte les variations orthographiques des personnes sanctionnées . Un paramétrage trop large pourra cependant se révéler contre-productif s’il génère un nombre trop important de faux positifs et crée des stocks d’alertes non traitées (« backlogs ») : le filet de détection doit être ni trop serré, ni trop large
    • lorsqu’un dispositif de filtrage interne est utilisé, s’assurer que les noms ont été correctement saisis dans la base de données clients, en s’assurant par exemple que les signes de ponctuation sur les noms sont correctement pris en compte ou ne compromettent pas le dispositif de détection
    • lorsqu’un nom a été indûment rapproché avec celui une personne sanctionnée, certains systèmes de filtrage permettent de configurer un « good guy » afin d’éviter que la même alerte ne se reproduise. Si cette technique permet d’éviter la récurrence de faux positifs, le good guys tuning nécessite une expertise particulière et un contrôle dédié.
  • Analyse des alertes et organisation interne
    • Réaliser des contrôles ad hoc sur le dispositif de filtrage, à partir d’une veille réglementaire par exemple, pour s’assurer que le dispositif de filtrage est bien mis à jour sans délai suivant la publication d’une liste de sanctions et que le filtrage ait bien lieu sur la base clients et des flux
    • Documenter les délais moyens d’intégration des mises à jour des listes de sanctions et de génération des alertes
    • S’assurer que les alertes sont proprement documentées, en prévoyant le cas échéant des procédures incluant des exemples de justification de faux positifs
    • Prévoir une ligne de reporting vers la seconde ligne de défense en cas de doute sur le traitement d’une alerte
    • S’assurer par des contrôles ad hoc que les comptes faisant l’objet d’un gel et que la réalisation de paiement par les instruments de paiement (carte bancaire, chèque…) sont bien bloqués
    • Intégrer les sanctions financières internationales dans le dispositif de formation des métiers de la conformité et des risques.

Sources : 
Mesures financières contre la Russie : sanctions internationales et conformité

Mesures financières contre la Russie : sanctions internationales et conformité

Temps de lecture estimé : 10 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Suite aux mesures financières prises contre la Russie, comment être conforme aux principes des sanctions internationales et les appliquer ?

Les mesures restrictives prises à l’encontre de la Russie ont rappelé, s’il en était besoin, la diversité des sanctions pouvant être adoptées à l’encontre d’un État ainsi que la complexité de leur mise en œuvre.

Dans ce premier article, nous rappelons les principes fondamentaux s’appliquant en matière de sanctions internationales, avant d’aborder dans nos prochaines publications la mise en œuvre pratique des mesures de gel des avoirs ainsi que les autres sanctions financières prises à l’encontre de la Russie.

les règlements européens adoptés à l’encontre de la russie

La Russie fait l’objet depuis 2014 de mesures restrictives en lien avec ses actions en Ukraine. En réponse à l’invasion décidée par Vladimir Poutine le 24 février 2022, l’UE a adopté cinq trains de sanctions supplémentaires.

À ce jour, les sanctions dont fait l’objet la Russie sont déclinées en cinq Règlements européens, l’ensemble de ces Règlements ayant été modifiés à plusieurs reprises dans le cadre du renforcement des sanctions :

  • Règlement (UE) 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine
  • Règlement (UE) 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine
  • Règlement (UE) 692/2014 concernant des restrictions sur l’importation, dans l’Union, de marchandises originaires de Crimée ou de Sébastopol, en réponse à l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol
  • Règlement (UE) 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine
  • Règlement (UE) 2022/263 concernant des mesures restrictives en réaction à la reconnaissance des zones des oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk non contrôlées par le gouvernement et à l’ordre donné aux forces armées russes d’entrer dans ces zones.

Le cas échéant, la Direction Générale du Trésor (DG Trésor) consolide les Règlements modifiés et les met à disposition du public.

Le gel des avoirs constitue sans nul doute l’une des mesures les plus spectaculaires adoptées contre la Russie. Le 20 mars, le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire a ainsi annoncé le gel de près de 850 millions d’euros d’avoirs d’oligarques russes, ainsi que le gel de 22 milliards d’euros d’actifs de la banque centrale russe. Le 29 mars, la ministre des Finances luxembourgeoise Yuriko Backes a également annoncé le gel de 2,5 milliards d’euros sous forme d’avoirs bancaires et de titres de capital de personnes ou entités désignées.

La mise en œuvre des sanctions internationales obéit à une logique qui diffère substantiellement, par certains aspects, des autres domaines de la conformité, telle que la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Un rappel des principes à l’œuvre s’impose avant d’aborder plus particulièrement le contenu des sanctions adoptées contre la Russie.

sanctions internationales : quelques rappels fondamentaux

Les sanctions internationales présentent un certain nombre de particularités : elles sont ciblées, comportent une obligation de résultat et possèdent des spécificités qui les distinguent d’autres domaines de la conformité.

des sanctions internationales mais ciblées

Les sanctions internationales sont des mesures prises par des organisations internationales ou des États à l’encontre d’individus, d’entités, de groupements de fait ou d’autres États dans le but d’induire un changement de comportement jugé indésirable sans recourir à l’emploi de la force armée.

Elles peuvent être adoptées sur différents fondements (menaces contre la paix, rupture de paix ou agression conformément au chapitre VII de la Charte des Nations Unies, lutte contre le financement du terrorisme, contre la cybercriminalité, lutte contre les violations graves des droits de l’homme). Dans le cas de la Russie, les dernières mesures restrictives ont bien évidemment été adoptées en réaction à l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine.

Les sanctions peuvent également prendre différentes formes. A l’encontre de la Russie, les sanctions européennes ont par exemple pris les formes suivantes :

  • restrictions à l’admission (interdiction d’entrée ou de passage en transit sur le territoire …)
  • sanctions commerciales et économiques, embargos (interdiction d’importations de marchandises, interdiction d’exportation de biens et technologies…)
  • sanctions financières : gel des avoirs et autres mesures visant le secteur financier telles que la limitation à l’accès au marché des capitaux, l’exclusion de certaines banques russes du système interbancaire SWIFT (Society for Worlwide Interbank Financial Telecommunication), l’interdiction d’effectuer des transactions avec la Banque centrale russe
  • restrictions affectant les secteurs de l’énergie, des transports de la défense, des matières premières et autres biens, comme l’interdiction d’importations de charbon en provenance de Russie
  • mesures affectant les transports, comme la fermeture de l’espace aérien de l’UE à tous les aéronefs de propriété russe et immatriculés en Russie et la fermeture des ports de l’UE aux navires russes
  • restrictions imposées aux médias (suspension des activités de diffusion de Sputnik et Russia Today dans l’UE).

En raison de leur diversité, il n’existe pas de définition arrêtée des sanctions internationales et la terminologie employée pour les désigner diffère.

S’agissant plus particulièrement des sanctions financières internationales, le Groupe d’Action Financière parle ainsi de « sanctions financières ciblées » pour désigner le gel des biens et les interdictions visant à empêcher des fonds et autres biens d’être mis à disposition, directement ou indirectement, de personnes et d’entités désignées.

L’Union Européenne emploiera quant à elle l’expression de « mesures restrictives » pour désigner les sanctions prises sur le fondement de l’article 29 du Traité de l’Union Européenne et de l’article 75 ou 215 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne.

Ces termes sont en pratique interchangeables et renvoient à l’usage de « smart sanctions » visant à cibler directement les personnes ou entités jugées responsables de comportements indésirables, plutôt qu’à sanctionner indistinctement une population ou un territoire donné.

En tout état de cause, les sanctions prises à l’encontre de la Russie ne signifient donc pas qu’un embargo total s’applique à ce pays et que toute relation d’affaires en lien avec la Russie est prohibée.

Il est nécessaire de consulter les Règlements européens pour déterminer si une opération en lien avec la Russie ou avec une personne/entité désignée est autorisée ou non. Nous nous focaliserons sur les sanctions financières internationales.

sanctions financières internationales : une obligation de résultat

Bien que ciblées, les sanctions sont souvent formulées de manière générique et il peut s’avérer difficile en pratique de savoir si une opération donnée tombe sous le champ d’une interdiction.

Au Royaume-Uni, Standard Chartered Bank a ainsi été sanctionné d’une amende de 20 millions de livres pour avoir mésinterprété une exemption prévue dans le Règlement (UE) 833/2014. Aux États-Unis, Apple, Inc. a été sanctionné à hauteur de près de 467 000 dollars parce que son système de filtrage n’avait pas fait de rapprochement entre « SIS DOO » (tel qu’inscrit dans la base clients) avec « SIS d.o.o. », entité figurant sur une liste de la SDN (Specially Designated Nationals and Blocked Persons).

Cette incertitude est d’autant plus préoccupante pour une institution financière que le respect des sanctions financières constitue une obligation de résultat.

Ce principe a notamment été rappelé à l’occasion de la décision prise par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) le 21 décembre 2018 à l’encontre de La Banque Postale.  A l’occasion d’un contrôle sur place, l’ACPR avait relevé des manquements dans le dispositif de détection des personnes/entités faisant l’objet d’une mesure de gel des avoir, plus particulièrement l’absence de prise en compte de l’activité de mandats cash nationaux dans le périmètre du filtrage.

Même si, selon les informations communiquées ultérieurement par La Banque Postale, les mandats suspectés ne représentaient que 0,00027% du montant total des mandats nationaux sur la période contrôlée, l’ACPR a considéré que «la mise en place d’un dispositif efficace de gel des avoirs répond à une exigence essentielle pour les organismes assujettis, en particulier les établissements bancaires, qui sont en première ligne pour la mise en œuvre de cette législation, au titre de laquelle leur incombe une obligation de résultat ; que la non-prise en compte, par un établissement, dans son système de filtrage a priori, d’une partie de son activité est en soi une carence très grave » (Décision de la Commission des sanctions du 21 décembre 2018, procédure n° 2018-01).

Une vigilance particulière s’impose donc aux compliance officers pour s’assurer que le dispositif de détection est correctement paramétré.

L’incertitude mentionnée plus haut, conjuguée à cette obligation de résultat et un risque de réputation, a ainsi pu conduire en pratique certains organismes financiers à refuser, dans le cadre de leur appétence aux risques, toute relation d’affaires en lien avec des pays sous sanction.

l’applicabilité des sanctions financières internationales

Les régimes de sanctions adoptés par le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) imposent des obligations à la charge des États membres de l’ONU qui nécessitent, en France, un acte de transposition dans l’ordre juridique interne afin d’être opposables aux institutions financières (par un Règlement européen par exemple).

Au niveau européen, les mesures restrictives font d’abord l’objet de décisions PESC (Politique Étrangère et de Sécurité Commune) adoptées par le Conseil. Ces décisions imposent là encore des obligations à la charge des États membres, sans pour autant créer d’obligations directes à l’égard des institutions financières. Elles sont néanmoins suivies de Règlements européens d’application directe à l’exception des pays et territoire d’outre-mer (PTOM).

Entre l’adoption d’une sanction onusienne et sa transposition en droit européen, des délais significatifs peuvent se produire. A titre d’exemple, la résolution 1718(2006) du CSNU du 14 octobre 2006 relative à la Corée du Nord n’a été transposée en droit européen que cinq mois plus tard avec le Règlement (CE) No 329/2007 du 27 mars 2007. Une étude réalisée sur un panel de sanctions récentes a révélé un délai moyen de transposition en droit européen de 42 jours.

Pour favoriser l’application sans délai des mesures de gel décidées au niveau onusien, un arrêté ministériel était traditionnellement pris sur le fondement de l’article L.562-3 du Code monétaire et financier, dans l’attente d’un Règlement européen. Les modalités d’entrée en vigueur des mesures de gel ont été davantage simplifiées l’arrêté interministériel du 1er février 2021. Portant application des articles L. 562-3-1 et suivants du Code monétaire et financier, l’arrêté liste les résolutions portant mesures de gel qui sont exécutoires dès la publication des éléments d’identification des personnes ou entités désignées sur le registre national de gel. Pris le même jour, un autre arrêté du 1er février 2021 prévoit un dispositif similaire pour les PTOM.

La Russie disposant d’un droit de véto au Conseil de Sécurité, il est peu vraisemblable qu’elle fasse l’objet de sanctions au niveau onusien. En revanche, l’Union européenne dispose de la possibilité d’adopter ses propres régimes de sanctions et a ainsi édicté des sanctions dites autonomes à l’encontre d’un certain nombre d’États, dont la Russie.

Les sanctions étant fondamentalement un instrument de politique étrangère, les États disposent pareillement de la possibilité d’adopter des sanctions autonomes. C’est le cas de la France sur la base des articles L. 562-2 et L.562-3 du Code monétaire et financier. Il faut également noter que le Code monétaire et financier met à la charge de l’entreprise mère d’un groupe établie en France des obligations particulières pour assurer la mise en œuvre des mesures de gel (article L.562-4-1).

Les lignes directrices conjointes de la DG Trésor et de l’ACPR sur la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs (les Lignes Directrices) ont synthétisé les cas dans lesquels les mesures nationales et européennes de gel s’appliquent dans le cadre d’un groupe, ceci s’appliquant aux mesures prises contre la Russie :

Certains États peuvent aller plus loin et adopter des législations pouvant avoir des effets extraterritoriaux. C’est notamment le cas de certains régimes de sanctions administrés par l’Office of Foreign Assets Controls (OFAC) dont l’application en France soulève des questions juridiques. Pour contrecarrer l’application extraterritoriale de certains régimes de sanctions adoptés par les États-Unis, le Règlement (CE) n°2271/96 du Conseil dite Loi de Blocage interdit en principe de se conformer aux régimes de sanctions mentionnés en annexe concernant Cuba et l’Iran.

Il faut par ailleurs noter que les États victimes de sanctions peuvent décider à leur tour d’adopter des contre-mesures à l’encontre de leurs sanctionnateurs, c’est notamment le cas de la Russie.

autres spécificités liées aux sanctions financières internationales

Les sanctions financières internationales se distinguent de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) par de nombreux aspects, comme le rappellent les Lignes Directrices en matière de gel des avoirs :

  • le filtrage ne dépend pas d’une approche par les risques : l’ensemble de la base clients et des transactions doivent être filtrés (Lignes Directrices, §61).
  • la DGTRESOR peut être consultée pour toute question relative à la mise en œuvre des mesures de gel, notamment en cas d’homonymie ou d’interrogation sur une opération
  • les mesures de gel doivent être déclarées à la DG Trésor : une déclaration à Tracfin est en outre à réaliser si une opération relève du champ d’application de l’article L. 561-15 du Code monétaire et financier
  • par dérogation, certaines opérations bénéficient ou peuvent bénéficier d’une autorisation de dégel, notamment pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes/entités désignées (ex : paiement de vivres ou de loyers). Un téléservice a été mis en service par la DG Trésor pour permettre d’effectuer une demande d’autorisation de transaction ou de notifier une transaction.
  • il n’existe pas de « no-tipping rule» en matière de sanctions : en cas de mesure de gel, les organismes financiers sont même invités à informer leur client qu’ils doivent se conformer le cas échéant à leurs obligations, et que le client dispose du droit de contester la mesure de gel et d’obtenir le cas échéant une autorisation de dégel de la part de la DG Trésor.

Nous détaillerons dans nos prochains articles la mise en œuvre concrète des mesures de gel des avoirs ainsi que les autres sanctions financières prises à l’encontre de la Russie.

Sources : 

Sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie, 7ème et 8ème paquets : des mesures inégalées

Sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie, 7ème et 8ème paquets : des mesures inégalées

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Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Les 7ème et 8ème paquets de juillet et octobre 2022 complètent les mesures inédites de sanctions contre la Russie. Quelles conséquences pour les acteurs financiers ?

 

« Avec les sanctions contre la Russie, L’union européenne s’est tirée une balle dans les poumons ». Cette citation polémique provient de Viktor Orban, premier ministre hongrois, dont le pays, bien que membre de l’Union européenne, demeure fortement hostile aux sanctions à l’encontre du voisin russe.

 

La raison de cette hostilité de Viktor Orban réside principalement en la dépendance énergétique de son pays aux énergies fossiles de la Russie. Hostilité dont le ton est d’ailleurs monté d’un cran de sa part lors du déploiement, le jeudi 6 octobre 2022, du 8ème train de sanctions, dont l’une des mesures phares vient cibler le plafonnement des prix à l’importation du pétrole russe, ressource chère à son pays.  Viktor Orban n’aura pas hésité à blâmer certains états membres, affirmant une fois de plus son hostilité aux sanctions européennes à l’encontre de la Russie : « ils ont dit que les sanctions pourraient arrêter la guerre, qu’elles ne seraient pas étendues au domaine de l’énergie. Ils ont menti aux peuples européens ».

Bien que largement contestable, cette affirmation du premier ministre hongrois montre néanmoins deux points de vue souvent débattues, discutables ou discutées des sanctions économiques et qui reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène face à l’inflation et aux pénuries de certaines matières premières.

Ces raisonnements considèrent que les sanctions économiques, en fonction des pays que l’on sanctionne économiquement, impactent plus ou moins significativement, de manière directe ou indirecte, les pays qui sanctionnent et ne font malheureusement pas toujours changer, à court et moyen terme du moins, les positions des pays sanctionnés.

La seconde position étant d’affirmer que ce sont souvent les populations, d’une part et d’autre des camps, qui en pâtissent. Les exemples pour corroborer ces dires et qui sont le plus souvent mis en exergue sont Cuba, sous le coup des sanctions de l’OFAC (Office of Foreign Assets Control) depuis plus d’un demi-siècle ou encore la Corée du Nord. Or, diront les fervent défenseurs des politiques de sanctions menées, le but premier, naturel même, des sanctions économiques, lorsqu’elles sont déployées efficacement, est de venir impacter économiquement et de manière beaucoup plus significative le pays visé que le pays qui sanctionne. L’objectif est de conduire à une asphyxie économique, à une révolte des populations, qui elles conduiront, si ce n’est à un changement de régime, à un changement de politique.

Et c’est cette volonté qu’a souhaité instaurer l’Union européenne : des sanctions lourdes, puissantes et touchant la Russie dans le cœur de son économie et de sa puissance, quitte à impacter également l’économie de l’Union, impacts que nous ne pouvons nier à ce jour.

Quelles sont les sanctions économiques mises en place à l’encontre de la Russie par l’Union européenne et plus particulièrement qu’apportent les 7ème et 8ème paquets de juillet et octobre 2022 ? Quels sont les impacts pour les assujettis et plus particulièrement les banques ?

 

Genèse des sanctions européennes à l’encontre de la Russie

Mises en place dès 2014 à l’encontre de la Russie (mais également à l’encontre de son allié sans faille biélorusse) suite à l’annexion de la Crimée, les sanctions européennes ont connu une avancée significative dès février 2022, suite à l’« opération spéciale » menée par l’armée de Vladimir Poutine en Ukraine.

Déployées en 8 paquets de sanctions progressives, ces sanctions ont constitué une avancée significative dans la politique de sanctions de l’Union européenne. Tant par leur nombre et leur significativité que par leur nature jusqu’alors inédites, ces sanctions, dans la lignée de celles d’autres alliés (USA, Royaume Unis ou encore Canada) ont fait entrer le conflit dans une nouvelle ère politique, géopolitique et économique, au-delà d’un « simple » conflit militaire interposé aux échos d’une nouvelle Guerre Froide.  

L’impact des sanctions est significatif et ceci d’une part et d’autre des pays en conflit : ralentissement de la croissance, inflation, pénurie. L’objectif des sanctions étant du côté occidental (nous nous focaliserons sur l’Europe uniquement) de faire plier une Russie dont le président, Vladimir Poutine, semble ne rien lâcher, ce dernier n’hésitant pas à plusieurs reprises à brandir la menace nucléaire.

 

 

SOMMAIRE

  • Les sanctions économiques à l’encontre de la Russie : de leur mise en place aux 7ème et 8ème paquets
  • Les nouveautés des 7ème et 8ème paquets de sanctions contre la Russie
  • Quels sont les impacts de ces sanctions sur les assujettis et notamment les banques ?

 

Les sanctions économiques à l’encontre de la Russie : de leur mise en place aux 7ème et 8ème paquets

 

Les sanctions européennes à l’encontre de la Russie, existantes depuis 2014 avec l’invasion de la Crimée, ont connu un remodelage complet, une accentuation sans précédent depuis le lancement de l’« opération spéciale » par Vladimir Poutine à l’encontre de l’Ukraine. Ces sanctions et mesures restrictives ont été accentuées au fil de l’avancée du conflit et des paquets de sanctions, jusqu’au 8ème paquet de sanctions déployé en octobre 2022 par la Commission européenne.

 

Les différents types de sanctions économiques jusqu’ici déployés

L’élément primordial de la politique de sanction européenne, réside dans son approche par règlements. A la différence des directives, suivies notamment pour les dispositions européennes en matière de lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme (pour le moment) où chaque pays membre transpose en droit local, plus ou moins différemment, les textes européens, les règlements européens en matière de sanctions économiques sont d’application directe au sein des pays membres de l’Union européenne.

Ces règlements se basent sur deux approches, dépendante et indépendante.

La première approche, dépendante des dispositions prises par l’Organisation des Nations Unies (ONU) est basée sur l’article 215 du traité de fonctionnement de l’Union européenne. Cette approche vise à transposer les décisions onusiennes de gel en droit européen via des règlements directement contraignants pour les états membres.

La seconde approche est quant à elle indépendante. Celle-ci se base d’une part sur une liste indépendante européenne de gel (mise en place dès décembre 2001 avec la décision commune 2001/931/PESC et avec le règlement 2580/2001) et d’autre part sur des mesures restrictives, commerciales (embargos) et nouvellement financières à l’encontre de la Russie.

 

Ces sanctions à l’encontre de la Russie se décomposent selon les typologies suivantes :

  • Gels des avoirs

Les mesures de gel prononcées à l’encontre des personnes physiques ou morales russes sont notamment couvertes par les dispositions du Règlement européen 269/2014 et la Décision 2014/145/PESC consolidée.

Plusieurs personnes physiques faisant partie ou réputées proches du pouvoir en place ont été sanctionnées par l’UE par une mesure de gel des avoirs. Ces personnes incluent en premier lieu le président Vladimir Poutine (ce qui demeure assez peu commun dans la politique de sanctions européennes qui n’a pas pour habitude de sanctionner des chefs d’état), le premier ministre, des ministres, des membres de la Douma, de nombreux oligarques réputés proches du président russe (souvent qualifiés de prêtes noms du président) ou proches du pouvoir, ou encore soutenant l’agression de l’Ukraine.

Source : consilium.europa.eu

 

La liste de gel européenne dans le cadre des sanctions à l’encontre de la Russie, comporte également plusieurs personnes morales, notamment de droit russe, réputées impliquées directement ou indirectement dans le conflit ukrainien ou connues pour être détenues ou contrôlées par les personnes physiques listées à titre personnel. Plus de 1200 personnes physiques et 100 personnes morales font l’objet d’une mesure de gel de l’union européenne dans le cadre des sanctions à l’encontre de la Russie.

  • Embargos sectoriels, sanctions économiques et commerciales

 Les embargos et sanctions économiques et commerciales sectoriels prononcés par la Commission européenne concernent plusieurs secteurs impliqués directement ou indirectement dans le conflit, des biens et services exposés au secteur militaire et de la défense (incluant les biens à double usage et les technologies maritimes).

Les sanctions commerciales ont également pour but de limiter la capacité économico- financière de la Russie. Nous retrouvons cela à travers les embargos à l’importation des matières premières (charbon, acier, plastique, fer, ciment etc.) et des ressources énergétiques (hormis le gaz dont dépendent toujours une grande partie des pays européens, le pétrole quant à lui ayant fait l’objet d’un embargo progressif). Il s’agit de sources de revenus conséquents pour la Russie, considérées par ricochet comme moyens de financement de la guerre.

Au sein de ces restrictions, en plus des secteurs stratégiques pour la Russie, on trouve également des produits assez atypiques tels que les spiritueux, les fruits de mer, les cigarettes ou encore les produits cosmétiques et certains biens de luxe. En totalité plusieurs milliers de biens et de services sont concernés par ces mesures de restrictions commerciales.

Source : consilium.europa.eu

 

  • Mesures restrictives financières

Ces mesures sont une nouveauté incontestée, même si les sanctions passées envers l’Iran ont quelque peu été précurseurs en la matière, leur déploiement n’avait jamais été aussi large.

Symbole fort des sanctions prononcées à l’encontre de la Russie, cette typologie de mesure s’est accentuée au fil des paquets européens. On y retrouve notamment l’exclusion du système SWIFT de 10 banques russes, l’interdiction de traiter au niveau européen avec la Banque centrale russe (en plus du gel de plusieurs centaines de milliards d’euros d’actifs), l’interdiction de traiter (sauf exceptions très limitées énumérées par les règlements) sur des titres russes (notamment du fait de l’ajout sur la liste de gel européenne de la chambre de compensation nationale NSD-Nastional Settlement Depository), et enfin plusieurs interdictions et restrictions autour de l’usage des  crytpoactifs.

Mais la nouveauté de ces mesures financières restrictives réside au sein de l’article 5 du Règlement 833/2014, mis à jour à plusieurs reprises au fil des paquets de sanctions pour en étendre le champs d’application. Il s’agit d’une limitation généralisée pour la Russie et ses ressortissants (personnes physiques ou personnes morales) de l’accès au marché et au système financier européen. De nombreuses restrictions assez atypiques mais opérationnellement très impactantes pour les institutions financières européennes ont ainsi été décidées :

  • au titre de l’article 5ter : la limitation des dépôts aux ressortissants ou société russes à 100.000 € (sauf exceptions couvertes par le même article)
  • ou encore en vertu de l’article 5f : l’interdiction de vendre des valeurs mobilières libellées dans n’importe quelle monnaie officielle d’un État membre émises après le 12 avril 2022 à ces mêmes personnes (sauf également exemptions prévues par le même article).

Pour les assujettis, les mesures restrictives financières, notamment les nouveautés introduites par le Règlement 833/2014, demeurent les plus compliquées opérationnellement dans leur gestion et les plus sujettes à échanges et discussions avec les autorités nationales compétentes.

Source : consilium.europa.eu

 

Ces sanctions se sont renforcées à travers le 7ème paquet (autrement appelé « alignment and maintenance package ») et le 8ème paquet de sanctions.

 

Les nouveautés des 7ème et 8ème paquets de sanctions contre la Russie

 

Le 7ème paquet et le 8ème paquet, mises en place respectivement le 21 juillet 2022 et le 5 octobre 2022, visent à accentuer les sanctions contre la Russie.

 

Le 7ème paquet : Alignment and Maintenance Package

En plus de 54 personnes physiques et 10 entités ajoutées à la liste de gel européenne, plusieurs mesures restrictives additionnelles ont été déployées par le 7ème paquet de sanctions.

Les principales étant :

  • l’interdiction d’importer de l’or au sein de l’Union
  • l’élargissement des biens et services soumis à une interdiction à l’export
  • l’interdiction pour les bateaux sous pavillons russes d’amarrer dans un port de l’Union
  • l’élargissement du périmètre de l’article 5ter du Règlement 833/2014 aux personnes morales établies dans des pays tiers à l’Union et détenues en majorité par des ressortissants russes ne bénéficiant pas de mesures de dérogations prévues par l’article précité
  • la flexibilité dans les mesures restrictives lorsque celles-ci touchent à la sécurité alimentaire, à la sécurité énergétique ou encore sanitaire par la mise en place d’exemption (assez proche dans leur concept des licences octroyées par l’OFAC)

 

Le 8ème paquet de sanctions

En plus d’un allongement de la liste de gel, comme observé pour les paquets précédents, le 8ème paquet de sanctions vient ajouter de nouvelles mesures. Pour les plus significatives, il s’agit de :

  • l’extension de toutes les mesures restrictives aux régions de Kherson et Zaporizhzhia du fait de l’occupation, tout comme cela le fut pour les régions de Donetsk et Luhansk
  • l’élargissement des biens et services soumis à une interdiction à l’export (composants électroniques, charbon, biens industriels et technologiques) et à l’import (pour 7 milliards d’euros environ)
  • la mise en place d’un plafonnement des prix à l’importation du pétrole russe, ce qui demeure la mesure la plus symbolique du 8ème paquet de sanctions
  • la possibilité d’ajouter à la liste de gel toute personne, physique ou morale, facilitant le contournement des sanctions mises en place
  • l’interdiction pour des ressortissants européens d’occuper une position aux postes de direction de certaines sociétés publiques russes.

 

Quels sont les impacts de ces sanctions sur les assujettis et notamment les banques ?

 

L’ensemble des sanctions prononcées contre la Russie doivent être respectées par les entités assujetties, notamment financières. A ce sujet, les établissements sont soumis à une obligation de résultat, notamment concernant le gel des avoirs, les décisions récentes de la commission des sanctions de l’ACPR étant là pour nous le rappeler.

La complexité de certaines mesures et la rapidité avec laquelle se posent certains « challenges opérationnels » pour les assujettis, nécessitent de rappeler les dispositions clés à adopter.

 

Veille juridique et réglementaires

La clé d’un dispositif efficace résidera dans une veille juridique et réglementaire adaptée. Dans le cadre des sanctions russes, les nouvelles mesures restrictives ou la revue des mesures existantes demandent une attention particulière afin de s’assurer qu’aucune nouvelle disposition n’est manquée. Il est donc conseillé aux professionnels du secteur financier de suivre toute évolution ou nouveauté via le site internet de la DGT (Direction Générale du Trésor) et ce en s’abonnant notamment au « flash info » mis en place depuis 2020 permettant d’être averti de toute nouveauté du dispositif français de gel des avoirs.

La veille ne pourra par ailleurs être efficace que si elle est conjuguée à un suivi régulier du site de la commission européenne et de la Direction Générale du Trésor dans leurs sections dédiées aux sanctions russes, mais aussi à un dispositif de formation efficace pour l’ensemble des collaborateurs impliqués dans le dispositif.

 

Filtrage des noms et des opérations

L’application des sanctions implique le contrôle des opérations financières afin de confirmer que celles-ci ne violent aucune disposition de gel des avoirs ou de mesures commerciales restrictives.

Ainsi, les assujettis des secteurs bancaires doivent s’assurer que :

  • leurs clients ne font pas l’objet d’une mesure de gel (ou pour les personnes morales que celles-ci ne sont ni majoritairement détenues ni contrôlées par une telle personne). Tout cas avéré ou potentiel devra faire l’objet d’un blocage des comptes et être communiqué le cas échéant aux autorités nationales compétentes (à savoir la DGT) qui se prononcera sur un gel des comptes ou le classement sans suite. Cela nécessite un outil de filtrage alimenté par une liste à jour et des règles de concordance qui ne doivent pas être exactes (exact match).
  • les opérations non domestiques sont bien filtrées contre ces mêmes listes à jour (les opérations domestiques bénéficiant d’une exemption de filtrage en France). Tout cas potentiel ou avéré sera bloqué et transmis à la DGT pour gel ou libération des fonds.
  • l’opération initiée ou reçue par le client ne viole pas une mesure restrictive mise en place à l’import ou l’export. Ceci nécessite un contrôle par génération d’alerte basée sur les messages de paiement. Comme le rappelle le guide de la DGT de 2016 aux point 7.3 et 14.1, les établissements financiers sont « solidairement responsables » du respect des mesures restrictives à l’exportation ou à l’importation pour les « opérations auxquelles ils ont contribué ».

Dans le contexte des sanctions russes, il n’est pas surprenant de constater une explosion du nombre d’alertes sur l’ensemble de ces sujets (filtrage de la base client et des paiements) et qu’un besoin de ressource tant humaines qu’informatiques soit nécessaire au sein des banques.

 

Procédures documentées

Compte tenu de la complexité des sanctions déployées à l’encontre de la Russie, il est indispensable pour les établissements financiers de se doter de procédures exhaustives et thématiques afin de s’assurer que le cadre opérationnel réponde aux exigences. Il s’agit notamment des processus de filtrage et de traitement des alertes ainsi que d’escalade aux autorités compétentes (DGT et pour les cas de « breach » à l’ACPR).

Bien que la plupart de ces méthodes existaient déjà au sein des établissements (filtrage des clients et des opérations sur la liste de gel consolidée, ou filtrage des opérations pour écarter toute violation de mesures d’embargo), de nouveaux procédés dans le cadre des sanctions à l’encontre de la Russie doivent être déployés, telles que ceux dédiés au bon contrôle des dispositions de l’article 5 du Règlement 833/2014.

 

Ressources clés à exploiter pour se conformer

Nous énumérerons ici quelques ressources que tout assujetti du secteur bancaire se doit de consulter afin d’assurer du bon respect des dispositions en vigueur

Complexes et nombreuses, tels sont les qualificatifs idoines des sanctions prononcées à l’encontre de la Russie. Bien qu’à conséquence économique forte pour l’Europe et assez lourdes opérationnellement parlant pour les acteurs économiques européens, ces sanctions ont un impact irréfutable sur l’économie russe et ses acteurs économiques, et ce malgré certains discours opposés.

Comme dans toute mesure de conformité, d’autant plus à un niveau européen, l’efficacité du dispositif réside avant tout dans les échanges entre les acteurs du privé, entre acteurs du public et du privé, ou entre les acteurs publics au niveau national et international.

 

Auteur
Mustapha Bouzizoua

Head of Policy Oversight (Financial Crimes and Regulatory  Compliance, Continental Europe)
Membre du jury pour le Cycle Expert Métiers Conformité de l’ESBanque

Mesures financières contre la Russie : les sanctions distinctes du gel des avoirs

Mesures financières contre la Russie : les sanctions distinctes du gel des avoirs

Temps de lecture estimé : 17 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Le gel des avoirs ne constitue pas le seul outil de mesures contraignantes à l’encontre de la Russie : le point sur les autres types de sanctions financières.

Avec l’adoption d’un sixième train de sanctions, l’Union Européenne a renforcé et diversifié son arsenal de mesures visant à infléchir le comportement de la Russie. Dans notre précédent article, nous avions abordé le régime du gel des avoirs, qui demeure la mesure restrictive la plus utilisée par l’UE et sans aucun doute la plus connue en matière financière.

Dans cet article, nous dresserons un panorama des autres types de mesures restrictives touchant la Russie, avec un focus sur les mesures financières les plus significatives pour les établissements financiers.

comment mesurer l’exposition d’un établissement financier aux sanctions prises contre la russie ?

Pour mesurer son exposition aux sanctions prises contre la Russie, une première approche consiste à identifier les grandes catégories de sanctions prises par chacun des Règlements adoptés par l’Union européenne :

Règlement européen Type de régime de sanctions
Règlement (UE) 208/2014 Gel des avoirs
Règlement (UE) 269/2014 Gel des avoirs
Règlement (UE) 692/2014 (Règlement « Crimée ») Mesures ciblant spécifiquement la Crimée et Sébastopol
Règlement (UE) 833/2014 Mesures « sectorielles »

Règlement (UE) 2022/263

(Règlement « Donetsk & Louhansk »)

Mesures ciblant spécifiquement zones des oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk non contrôlées par le gouvernement ukrainien

Source : Karim Djedid pour l’ESBanque

Il ressort du tableau ci-dessus trois grandes catégories de sanctions à prendre en compte par les établissements financiers :

  • des mesures de gel des avoirs visant des personnes/entités ayant compromis par leurs actions l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine
  • des mesures ciblant de manière plus large des territoires ayant échappé au contrôle du gouvernement ukrainien, restreignant certaines activités ou certains échanges avec ces territoires
  • des sanctions visant spécifiquement certains secteurs de l’économie russe notamment la défense, l’énergie et le secteur financier, soit de manière indistincte, soit en ciblant des acteurs importants de ces secteurs (ex : Gazprombank).

Un établissement financier souhaitant déterminer son degré d’exposition aux sanctions prises contre la Russie devra le faire non seulement à l’aune de ses contreparties au sens large, mais également aux regards de ses activités.

A ce sujet, plusieurs points d’attention méritent d’être mentionnés :

  • certaines restrictions à caractère commercial peuvent s’accompagner d’interdictions financières. L’article 2 ter du Règlement Crimée et l’article 4 du Règlement Donetsk et Louhansk interdisent ainsi « de vendre, de fournir, de transférer ou d’exporter » certains biens et technologies, mais interdit également de « fournir, directement ou indirectement, un financement ou une aide financière en rapport avec les biens et technologies » en question, à toute personne physique ou morale, organisme ou entité en Crimée ou Sébastopol, ou dans les oblasts de Donetsk et Louhansk non contrôlés, ou en vue d’une utilisation sur ces territoires.

    Ainsi, une lecture minutieuse des Règlements s’impose pour ne pas écarter prématurément une exposition aux sanctions russes.

  • les Règlements s’accompagnent également d’une interdiction de faire droit à des demandes à l’occasion de tout contrat ou opération dont l’exécution a été affectée par les mesures instituées par ces Règlements. Cela inclut notamment les demandes d’indemnisation et autres demandes similaires (demande de compensation ou demande à titre de garantie) présentées par certaines personnes et entités.
  • enfin, les Règlements incluent l’interdiction de « participer, sciemment et volontairement, y compris de façon indirecte, à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les interdictions énoncées dans le présent règlement ».Si cette disposition pose des difficultés d’interprétation quant à sa portée, la lecture de cette obligation suggère que les critères de connaissance et d’intentionnalité entrent en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu une violation de cette interdiction.

des sanctions ciblant des territoires spécifiques

En réaction à l’annexion de la Crimée et de Sébastopol par la Russie, l’Union européenne avait adopté une forme d’embargo à l’encontre de ces deux territoires. Des mesures similaires ont été mises en place pour les zones des oblasts de Donetsk et de Louhansk non contrôlées par le gouvernement ukrainien.

Le tableau ci-dessous reprend de manière schématique les principales sanctions en lien avec les territoires ainsi visés.

Si ces Règlements peuvent également cibler certains secteurs, ils se caractérisent surtout par leur dimension géographique. Il est d’ailleurs probable que des Règlements similaires soient adoptés dans l’hypothèse où d’autres régions viendraient à échapper au contrôle du gouvernement ukrainien.

Biens et services touchés Mesures restrictives Références
Règlement  (UE) 692/2014 Règlement (UE) 2022/263
Marchandises originaires des territoires visés

Interdiction d’importer dans l’UE des marchandises originaires des territoires visés.

 

Interdiction de fournir, directement ou indirectement, un financement, une aide financière et des services d’assurance et de réassurance en rapport avec ces importations.

Art. 2 et Art. 3 Art. 2
Biens immobiliers Interdiction d’acquérir une participation ou augmenter une participation existante dans la propriété de biens immobiliers situés dans les territoires visés. Art. 2 bis a) et Art. 2 sexies Art. 3 a) et Art. 7
Participation financière dans des entités Interdiction d’acquérir une nouvelle participation ou d’augmenter une participation existante dans la propriété ou le contrôle des entités dans les territoires visés. Art. 2 bis b) et Art. 2 sexies Art. 3 b) et Art. 7
Prêts ou crédits Interdiction d’accorder des prêts ou crédits, ou de participer à de tels accords, ou de fournir d’une autre manière un financement, y compris une participation au capital, à une entité dans les territoires visés ou dans le but établi de la financer. Art. 2 bis c) et Art. 2 sexies Art. 3 c) et Art. 7
Coentreprise Interdiction de créer toute coentreprise dans les territoires visés ou avec une entité dans les territoires visés. Art. 2 bis d)  et Art. 2 sexies Art. 3 d) et Art. 7
Services d’investissement Interdiction de fournir des services d’investissement directement liés aux activités énumérées aux points a) à d) de l’Article 2. Art. 2 bis e) et Art. 2 sexies Art. 3 e) et Art.7
Biens et technologies (secteurs des transports, télécommunication, énergie, ainsi que la prospection, l’exploration et la production pétrolières, gazières et minières)

Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter certains biens et technologies (énumérés à l’Annexe II) à tout personne ou entité dans les territoires visés ou en vue d’une utilisation dans ces territoires.

 

Interdiction de fournir une assistance technique, des services de courtage en rapport avec ces biens et technologies, ou liés à la fourniture, fabrication, entretien, utilisation de ces articles à toute personne/entité dans les territoires visés, ou en vue d’une utilisation dans ces territoires.

 

Interdiction de fournir directement ou indirectement un financement ou une aide financière en rapport à ces biens et technologies à toute personne/entité dans les territoires visés ou en vue d’une utilisation dans ces territoires.

Art. 2 ter et Art. 2 sexies Art. 4, Art. 4 bis et Art. 7
Infrastructure Interdiction de fournir une assistance technique ou des services de courtage, construction ou ingénierie directement liés à des infrastructures dans les territoires visés dans les secteurs des transports, télécommunication, énergie, ainsi que la prospection, l’exploration et la production pétrolières, gazières et minières. Art. 2 quater Art. 5 et 5 bis
Tourisme Interdiction de fournir des services directement liés à des activités touristiques dans les territoires visés. Art. 2 quinquies Art. 6

Source : Karim Djedid pour l’ESBanque

De manière générale, les sanctions visent ainsi à restreindre les échanges avec ces territoires et les activités favorisant le développement des entités qui y sont présentes.

Les services d’investissement sont définis de manière très large et comprennent les services et activités suivants :

  • la réception et la transmission d’ordres portant sur un ou plusieurs instruments financiers
  • l’exécution d’ordres pour le compte de clients
  • la négociation pour compte propre
  • la gestion de portefeuille
  • le conseil en investissement
  • la prise ferme d’instruments financiers et/ou le placement d’instruments financiers avec engagement ferme
  • le placement d’instruments financiers sans engagement ferme
  • tout service en liaison avec l’admission à la négociation sur un marché réglementé ou la négociation dans un système multilatéral de négociation.

A titre d’exemple, un fonds d’investissement ne peut donc pas réaliser d’investissements en private equity ou real estate (immobilier) dans ces territoires.

Il faut également noter que ces sanctions sont bien circonscrites dans l’espace et dans le temps.

A titre d’exemple, l’article 2 du Règlement Crimée et l’article 3 du Règlement Louhansk précisent que les interdictions et restrictions énoncés « ne s’appliquent pas à l’exercice d’activités économiques légitimes avec des entités en dehors de [ces territoires], pour autant que les investissements concernés ne soient pas destinés aux entités dans [ces territoires] ». De même, les interdictions visées par ces articles sont « sans préjudice de l’exécution d’une obligation découlant d’un contrat conclu avant [le 20 décembre 2014 pour le Règlement Crimée et le 23 février 2022 pour le Règlement Donetsk et Louhansk] ou de contrats accessoires à l’exécution d’un tel contrat, pour autant que l’autorité compétente en ait été informée au moins cinq jours ouvrables à l’avance ».

Enfin, ces sanctions sont également assorties d’exceptions et d’autorisations, parfois précisées dans d’autres articles (par exemple l’article 2 sexies du Règlement (UE) 692/2014), si bien qu’une lecture exhaustive du Règlement demeure recommandée. Un tel encadrement existe également dans les mesures sectorielles du Règlement (UE) 833/2014.

quelles sont les mesures sectorielles du règlement (ue) 833/2014 ?

Le Règlement (UE) 833/2014 est de loin le plus étendu en termes de mesures restrictives.

Le tableau ci-dessous offre une vision synthétique des secteurs ainsi touchés et des principales restrictions à l’œuvre. Il s’agit moins ici d’être exhaustif que d’identifier les principaux biens et services sur lesquels portent les mesures restrictives.

Secteurs Mesures restrictives Références
Défense et sécurité

Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies à double usage (Annexe I du Règlement (UE) 2021/821). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière.

 

Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies susceptibles de contribuer au renforcement militaire et technologique russe ou au développement du secteur de la défense et de la sécurité (Annexe VII). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière.

Art. 2 à 2 quinquies
Interdiction de fournir une assistance technique, un financement ou une assistance financière en rapport avec les biens et technologies figurant dans la liste commune des équipements militaires. L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 4
Média Interdiction de diffuser ou de participer à la diffusion de contenus provenant de certaines entités listées en Annexe XV (ex : Russia Today France), ou de faire de la publicité dans les contenus produits ou diffusés par ces entités Art. 2 septies
Énergie Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies énumérés à l’Annexe II. L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3
Interdiction d’acquérir/augmenter une participation dans une entité, d’accorder de nouveaux prêts, crédits ou autres financements, de créer une nouvelle coentreprise à une entité établie ou constituée selon le droit de la Russie ou de toute autre pays tiers et opérant dans le secteur de l’énergie en Russie ou de fournir des services d’investissement liés à ces activités. Art. 3 bis
Interdiction d’acheter, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies propices à une utilisation dans le raffinage et la liquéfaction de gaz naturel (Annexe X). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 ter
Transports Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies propices à une utilisation dans le secteur de l’aviation ou l’industrie spatiale (Annexe XI) et les carburéacteurs et additifs pour carburants (Annexe XX), de fournir des services d’assurance et de réassurance en rapport avec ces biens et technologies, ainsi que d’exécuter certaines tâches spécifiques. Art. 3 quarter
Interdiction pour certains aéronefs d’atterrir sur le territoire de l’UE, d’en décoller ou de le survoler Art. 3 quinquies et sexies
Interdiction d’accès aux ports de l’UE aux navires immatriculés sous pavillon russe Art. 3 sexies bis
Interdiction d’exporter des biens et technologies de navigation maritime (Annexe XVI). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 septies
Interdiction aux entreprises de transport routier établies en Russie de transporter des marchandises par route sur le territoire de l’UE, y compris en transit. Art. 3 terdecies
Matières premières et autres biens Interdiction d’importer, acheter ou transporter certains produits sidérurgiques (Annexe XVII). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage, d’un financement ou d’une assistance financière, ainsi que des produits d’assurance et de réassurance en lien avec ces interdictions. Art. 3 octies
Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter certains produits de luxe (Annexe VIII). Art. 3 nonies
Interdiction d’acheter, importer ou transférer certains biens générant d’importantes recettes pour la Russie ou lui permettant de mettre en œuvre des actions déstabilisatrices (Annexe XXI). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 decies
Interdiction d’acheter, importer ou transférer du charbon et d’autres combustibles fossiles solides (Annexe XXII). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 undecies
Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter certains biens susceptibles de contribuer au renforcement des capacités industrielles russes (Annexe XXIII). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 duodecies

Interdiction d’acheter, importer ou transférer du pétrole brut ou produits pétroliers listés à l’Annexe XXV. L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, des services de courtage, d’un financement ou d’une aide financière ou tout autre service en lien avec cette interdiction.

 

Interdiction de fournir une assistance technique, des services de courtage ou un financement ou une aide financière en lien avec le transport vers des pays tiers de pétrole brut ou de produits pétroliers (Annexe XXV).

Art. 3 quaterdecies et quindecies
Finance Interdiction de fournir un financement ou une aide financière public en faveur des échanges commerciaux avec la Russie ou des investissements dans ce pays. Art. 2 sexies
Interdiction de fournir un soutien, y compris un financement, aide financière ou autre avantage au titre d’un programme national de l’UE, Euratom ou un État membre aux entités établies en Russie détenues ou contrôlées à plus de 50% par l’État. Art. 5 terdecies

Interdiction de réaliser des opérations d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire (après une certaine date d’émission ou sous une certaine maturité) ou toute autre transaction portant sur ceux-ci par certaines entités.

 

Interdiction de répertorier et de fournir des services sur certaines plates-formes de négociation pour les valeurs mobilières de toute entité établie en Russie et détenue à plus de 50% par l’Etat russe.

 

Interdiction de conclure un accord ou de faire partie d’un accord en vue d’accorder de nouveaux prêts ou crédits (selon les cas, sous une certaine échéance et après une certaine date).

Art. 5
Interdiction réaliser des opérations d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire (après une certaine date d’émission) ou toute autre transaction portant sur ceux-ci, y compris les nouveaux prêts et crédits, en lien avec la Russie et son gouvernement, la Banque centrale de Russie ou une entité agissant pour le compte ou sous les instructions de la Banque centrale. Art. 5 bis
Interdiction de participer directement ou indirectement à toute transaction avec une entité listée à l’Annexe XIX . Art. 5 bis bis

Interdiction d’accepter des dépôts de ressortissants russes ou personnes physiques résidant en Russie, personne morale, entités ou organismes établies en Russie si la valeur totale des dépôts dépasse 100 000 par établissement de crédit.

 

Interdiction de fournir des services de portefeuille de crypto-actifs, de compte en crypto-actifs et de conservation de crypto-actifs si la valeur totale dépasse 10 000 par fournisseur de services de portefeuille, de compte ou de conservation.

 

Obligation de fournir des informations relatives aux dépôts susvisés.

Art. 5 ter à quinquies et 5 octies
Interdiction touchant les services de dépositaires centraux pour certaines valeurs mobilières à tout ressortissant russe, personne physiques résidant en Russie ou entité établie en Russie. Art. 5 sexies
Interdiction de vendre des valeurs mobilières libellées dans une monnaie officielle d’un État membre ou des parts d’organismes de placement collectif (OPC) offrant une exposition à ces valeurs à tout ressortissant russe, personne physique résidant en Russie ou entité établie en Russie. Art. 5 septies
Interdiction de fournir de services spécialisés de messagerie financière. Art. 5 nonies
Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des billets de banque libellés dans une monnaie de l’un État membre à ou vers la Russie ou toute personne physique ou entité en Russie, y compris le gouvernement et la Banque centrale de Russie, ou aux fins d’une utilisation dans ce pays. Art. 5 decies
Interdiction de fournir des services de notation de crédit à tout ressortissant russe, personne physique résidant en Russie ou entité établie en Russie. Art. 5 undecies
Interdiction d’attribuer ou de poursuivre l’exécution de marché public ou contrats de concessions. Art. 5 duodecies
Interdiction de fournir un soutien, y compris un financement, aide financière ou autre avantage au titre d’un programme national de l’UE, Euratom ou un État membre aux entités établies en Russie détenues ou contrôlées à plus de 50% par l’État. Art. 5 terdecies
Autres services Interdiction d’enregistrer une fiducie ou autre construction juridique similaire, ou de fournir un siège statutaire, une adresse commerciale/administrative ou des services de gestion à une fiducie ou tout construction juridique similaire. Art. 5 quaterdecies
Interdiction touchant les services de comptabilité, de contrôle des comptes, de tenue de livres ou de conseils fiscaux, ou de services de conseil en matière d’entreprise et de gestion ou de services de relations publiques. Art. 5 quindecies

Source : Karim Djedid pour l’ESBanque

Plusieurs remarques d’ordre général méritent là encore d’être soulevées.

A la différence des Règlements visant les territoires échappant au contrôle du gouvernement ukrainien, les mesures restrictives sont dans l’ensemble plus spécifiques. Elles visent des biens et services particuliers et le Règlement renvoie à de nombreuses annexes pour identifier le périmètre précis des sanctions. Dans le secteur de la finance, certaines restrictions ne visent que certaines entités déterminées.

Cela étant, le Règlement partage certaines caractéristiques des Règlements visant la Crimée et Sébastopol ainsi que Donetsk et Louhansk.

Les restrictions de prime abord purement commerciales et touchant les échanges de certains biens et technologies sont souvent bien plus larges et peuvent ainsi couvrir, en plus de l’interdiction de fournir une assistance technique, des services de courtages ou autres, la fourniture d’un financement ou d’une aide financière.

Ainsi, l’article 3 octies interdit de fournir « directement ou indirectement, une assistance technique, des services de courtage, un financement ou une assistance financière, notamment des produits dérivés, ainsi que des produits d’assurance et de réassurance, en lien avec les interdictions » liées à l’importation, l’achat et le transport des produits sidérurgiques énumérés à l’Annexe XVII. Connaître le sous-jacent d’un financement peut donc être déterminant pour savoir si une transaction est impactée par les sanctions.

Les opérations de trade finance d’une banque pourraient ainsi être exposés par ces restrictions.

Ensuite, ces restrictions peuvent également être accompagnées d’exceptions ou de demandes possibles d’autorisations, et sont encadrées dans le temps.

Ainsi, le même article 3 octies prévoit que les interdictions ne s’appliquent pas à l’exécution jusqu’au 17 juin 2022 des contrats conclus avant le 16 mars 2022 ou des contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats. Il est donc là encore nécessaire de consulter le contenu des articles pour déterminer la portée exacte de ces interdictions.

Cet encadrement est encore plus manifeste pour les restrictions portant sur le secteur financier, où la date d’émission et d’échéance d’un titre peuvent entrer en ligne de compte. A titre d’exemple, l’article 5 paragraphe 2 interdit « les opérations, directes ou indirectes, d’achat, de vente, de prestations de services d’investissement ou d’aide à l’émission, de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire, émis après le 12 avril 2022, ou toute autre transaction portant sur ceux-ci » par certains établissements énumérés à l’Annexe XII (ex : Alfa Bank). Les valeurs mobilières émises avant le 12 avril 2022 par ces entités peuvent ainsi toujours être achetées ou vendues.

Enfin, ces obligations sont souvent formulées de manière très générique, tant et si bien que des incertitudes peuvent subsister quant à leur interprétation et leur application concrète. Pour aider les opérateurs à mieux comprendre la portée de ces obligations, la Commission européenne et la Direction Générale du Trésor (DG Trésor) ont publié des Foires aux Questions (FAQ) dédiées aux différents régimes de sanctions. La DG Trésor peut en outre être contactée pour toute question relative à la mise en œuvre de ces mesures (sanctions-russie@dgtresor.gouv.fr).

Les sanctions financières ci-dessous illustrent les difficultés d’interprétation auxquelles les établissements financiers peuvent être exposés :

L’interdiction d’accepter certains dépôts : article 5 ter

L’article 5 ter paragraphe 1 « interdit d’accepter des dépôts de ressortissants russes ou de personnes physiques résidant en Russie, ou de personnes morales, d’entités ou d’organismes établis en Russie si la valeur totale des dépôts de la personne physique ou morale, de l’entité ou de l’organisme dépasse 100 000 € par établissement de crédit. ».

Le paragraphe 3 précise que l’interdiction ne s’applique pas « aux ressortissants d’un État membre, d’un pays membre de l’Espace économique européen ni de la Suisse, ni aux personnes physiques titulaires d’un titre de séjour temporaire ou permanent dans un État membre, dans un pays membre de l’Espace économique européen ou en Suisse. »

Quels sont les comptes visés par cette interdiction et comment s’apprécie ce seuil de 100 000 € ?

Dans la continuité des lignes directrices de la Commission européenne, la DG Trésor a ainsi apporté des réponses à certaines des questions posées par les établissements de crédit, notamment :

  • la valeur des actifs détenus sur un compte titres ou un PEA n’est pas prise en compte, mais les montants détenus sur des comptes espèces liés à des comptes titres doivent être considérés.
  • le seuil de 100 000 € s’apprécie par client et par établissement, et non pour chaque compte pris individuellement. Il y aura donc lieu le cas échéant d’agréger les montants des différents comptes, en tenant compte s’il y lieu des soldes débiteurs.
  • l’interdiction de l’article 5 ter a pour effet d’interdire à un établissement de procéder à un versement d’intérêts, de coupons et de dividendes si ce versement a pour effet de dépasser le seuil de 100 000 €. Ces sommes pourront en pratique être isolées sur un compte séquestre auquel le client n’aura pas accès.
  • l’interdiction s’applique même aux comptes détenus par des mineurs.
  • les comptes bancaires détenus conjointement entre une personne sanctionnée et une personne non sanctionnée ne sont pas concernés par le plafonnement, pour autant que le compte ne soit pas utilisé à des fins de contournement des mesures de sanctions. Lorsque les deux titulaires du compte joint sont sanctionnés, le montant maximum autorisé est relevé à 200 000 €. Si l’un des titulaires est un binational européen, l’interdiction de plafonnement ne s’applique pas mais un devoir de vigilance subsiste pour s’assurer que le compte joint ne sert pas à contourner les sanctions.

Certaines de ces dispositions sont difficilement déductibles de la seule lecture de l’article 5 ter, d’où l’intérêt de consulter les FAQs pour en mesurer l’exacte portée.

La restriction de la vente d’OPC : article 5 septies

L’article 5 septies paragraphe 1 interdit, sauf exception prévue au paragraphe 2 « de vendre des valeurs mobilières libellées dans n’importe quelle monnaie officielle d’un État membre émises après le 12 avril 2022 ou des parts d’organismes de placement collectif offrant une exposition à ces valeurs, à tout ressortissant russe, à toute personne physique résidant en Russie ou à toute personne morale, toute entité ou tout organisme établi en Russie. »

La DG Trésor a confirmé que les ventes d’OPC ne sont interdites que pour les OPC exposés à des valeurs mobilières émises après cette date.

La DG Trésor a néanmoins précisé que « les sociétés de gestion pourraient juger pertinent, afin de garantir l’application à tout instant du régime de sanctions, de bloquer la commercialisation à des ressortissants russes de tout OPC susceptible d’être exposé à court ou moyen terme à des valeurs mobilières émises après le 12 avril, quand bien même leurs portefeuilles ne contiendraient pas de telles expositions à ce jour ».

Quid cependant lorsque des investisseurs russes sont déjà présents dans le registre du fonds ?

Ce point illustre les difficultés pratiques que peuvent poser la mise en œuvre des régimes de sanctions pour les fonds d’investissement. 

 

 

 

Au cours des dernières semaines, les mesures restrictives prises à l’encontre de la Russie se sont diversifiées, frappant notamment les zones géographiques ayant échappé au contrôle ukrainien et des secteurs importants pour l’économie russe.

A la différence des mesures de gel, ces sanctions ne visent pas, sauf exceptions, des personnes ou des entités déterminées, si bien qu’un établissement financier ne saurait faire reposer sa vigilance exclusivement sur le filtrage de ses clients ou de ses contreparties. Une lecture attentive des Règlements doit être réalisée pour s’assurer que ses activités sont bien conformes aux régimes de sanctions.

La Commission Européenne et la DG Trésor tiennent à présent régulièrement à jour des FAQs pour éclairer au mieux les opérateurs. En cas de doute ou de question sur la mise en œuvre des mesures restrictives, se rapprocher de la DG Trésor demeure l’action la plus recommandable pour s’assurer de rester en conformité avec les régimes de sanctions.

Sources : 

Sanctions internationales et embargo : que peut-on faire et ne pas faire ?

Sanctions internationales et embargo : que peut-on faire et ne pas faire ?

Temps de lecture estimé : 10 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Comment gérer les relations économiques avec les pays sous sanctions internationales ? Vaut-il mieux tout simplement s’abstenir ou existe-t-il des opportunités ?

 

Utilisées dès le 18ème siècle pour régler les rivalités commerciales entre les grandes puissances, les sanctions économiques constituent aujourd’hui le bras armé des grandes puissances et instances internationales pour préserver la paix et la sécurité dans le monde.

Aujourd’hui, ces deux mots font bien souvent pâlir les compliance officers et à juste titre.

Ouvrir le dossier des sanctions économiques revient à plonger dans un univers des plus complexes.

sanctions économiques internationales : une jungle règlementaire et des enjeux majeurs

 Naviguer au milieu des règlements, listes, annexes relevant des sanctions et embargos et des juridictions compétentes peut relever d’un vrai parcours du combattant.

L’ensemble des acteurs économiques et financiers a vite mesuré l’importance des enjeux associés au non-respect de ces principes. Les amendes, prononcées notamment par les autorités américaines, se sont en effet multipliées, jusqu’au triste record établi pour un établissement français de 8,9 milliards de dollars à verser au trésor américain pour rupture d’embargo.

Sources : Marion Guillaume, ONE Ethics & Compliance, 2021 »
L’effet dissuasif des mesures de sanctions économique est renforcé par le caractère extraterritorial donné par certains gouvernements à leur arsenal législatif anti-corruption. On pense bien sûr aux législations américaines, anglaises et depuis 2016, à la loi française de lutte contre la corruption dite loi « Sapin 2 ».

On trouve une parfaite illustration de ces principes d’extraterritorialité dans la Convention Judiciaire d’Intérêt Public signée le 29 janvier 2020 entre le Parquet National Financier et la société Airbus pour des faits de « corruption d’agent public étranger, abus de biens sociaux, abus de confiance, escroqueries en bande organisée, blanchiment de ces délits, faux et usage de faux ».

Cette convention est en effet, pour la France, le premier accord conjoint tripartite, conclu avec des autorités étrangères : le Serious Fraud Office anglais (SFO) et le Département de la justice américain (DoJ, Department of Justice).

La question de l’extraterritorialité américaine

Le premier élément constitutif d’une infraction au sens du FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) porte sur le caractère de « us person » et vise trois catégories :

Les « émetteurs » sont essentiellement les sociétés cotées – toute personne morale (nationale ou étrangère) qui a enregistré une catégorie de titres auprès de la SEC (Securities and Exchange Commission) ou est tenue de lui fournir certains rapports, par exemple toute société dont les actions, obligations ou American depository receipts sont négociés sur une bourse américaine ou au NASDAQ (National Association of Securities Dealers Automated Quotation), ainsi que leurs dirigeants, administrateurs, salariés, agents et actionnaires agissant pour le compte de l’émetteur.

Les « entreprises nationales autres que les émetteurs » recouvrant tout citoyen, ressortissant ou résident des Etats-Unis ainsi que toute personne morale (…) qui a son principal établissement aux Etats-Unis ou qui est organisée selon la loi des Etats-Unis, d’un territoire, d’une possession ou d’une dépendance des Etats-Unis.

« Toute personne autre qu’un émetteur ou une entreprise nationale » qui désigne toute personne physique qui n’est pas un citoyen, un ressortissant ou un résident des Etats-Unis et toute entité industrielle ou commerciale qui est organisée selon la loi d’un pays étranger et dont les titres ne sont pas négociés sur une bourse des Etats-Unis. 

Et c’est bien sur le flou très relatif du critère de rattachement au territoire américain de cette dernière catégorie de personnes que se fondent la majorité des amendes transactionnelles infligées aux entreprises et banques non américaines.

Une transaction réalisée en dollar, le transit de données physiques (courriers) ou virtuelles (mails) via un serveur situé sur le territoire américain ou l’utilisation du GPS dans une zone géographique sous sanctions américaines, tout ceci pourrait être utilisé par les autorités américaines comme un indice de rattachement territorial.

Alors même que la loi américaine a une vision beaucoup plus restrictive de la portée extraterritoriale du FCPA, il faut comprendre que la majorité des amendes infligées aux entreprises et banques non américaines l’a été dans le cadre de protocoles transactionnels, donc sans qu’un juge ne valide in fine le caractère extraterritorial de l’infraction en cause. 

Au-delà du seul secteur bancaire, ces mesures impactent également la vie quotidienne des entreprises, au travers de demandes de multiples justificatifs pour toute transaction paraissant « à risque », voire par le blocage de fonds dans les chambres de compensation américaines.

gérer les dispositifs de sanction et embargo : une indispensable collaboration avec l’opérationnel

Traiter un sujet impliquant des sanctions économiques requiert bien sûr un dispositif de veille permanente et une anticipation de la part de l’ensemble des acteurs bancaires et économiques.

Mais assurer une prise de décision la plus éclairée possible nécessite également l’implication des services opérationnels dès la phase d’identification du contexte et des enjeux de l’opération ou de la transaction.

le contexte et les enjeux des sanctions économiques

La première étape pour un compliance officer consiste à s’assurer de la bonne compréhension du contexte de l’opération ou de la transaction, notamment :

  • Les tiers impliqués (intermédiaires, client final…)
  • Les zones d’opérations
  • Les biens ou technologies utilisés lors de l’opération, en particulier ceux pouvant être visés par des mesures restrictives
  • Les devises utilisées, les flux et lieux de paiement

Si certains éléments peuvent être identifiés directement par les professionnels de la conformité, d’autres nécessitent d’impliquer les fonctions opérationnelles.

l’environnement règlementaire des dispositifs de sanction et embargo

La seconde étape consiste à déterminer le cadre légal applicable à la transaction ou opération préalablement définie :

  • les juridictions concernées,
  • les textes en vigueur,
  • les évolutions règlementaires dans un futur proche.

Pour cela, au-delà des textes qui peuvent être relativement complexes, le compliance officer peut s’appuyer sur les guides ou les notes explicatives émis par les différentes juridictions.

On peut citer les guides génériques publiés par les autorités anticorruption, comme le guide du Department of Justice (DoJ) « A Resource Guide to the U.S. Foreign Corrupt Practices Act » ou les publications de l’Agence Française Anticorruption.

Le compliance officer peut également s’appuyer sur des analyses plus spécifiques qui viennent préciser la portée des sanctions. La note d’orientation de la Commission européenne relative à la mise en œuvre des dispositions du règlement (UE) no 833/2014 détaille ainsi l’étendue des mesures restrictives ayant trait à la coopération sectorielle et aux échanges avec la Fédération de Russie.

analyser les risques de sanctions internationales et conclure

L’analyse doit permettre en premier lieu de déterminer si l’opération ou la transaction est susceptible de tomber sous un ou plusieurs régimes de sanctions économiques.

Elle doit également présenter et évaluer les autres risques associés à la transaction, par exemple le risque réputationnel ou les risques opérationnels directement liés aux flux financiers ou le risque de LCB/FT lié au financement du commerce international (trade finance).

Prenons par exemple le risque lié au paiement des salaires dans des zones sous restrictions :

Dans la plupart des cas, le versement de rémunérations à des salariés habitant dans des zones sous sanctions financières reste autorisé.

Mais qu’en est-il des risques opérationnels et humains en cas de blocage temporaire des fonds, ou de délai significatif dans le traitement des virements liés à des demandes de justificatifs ? Quelle sera la réaction des salariés si leur rémunération est versée avec une semaine, deux semaines voire des mois de retard ?

Il est important d’envisager les impacts humains que cette situation pourrait entraîner, les conséquences opérationnelles sur l’activité mais également juridiques et financières si un salarié décide d’agir en justice pour réparation du préjudice subi.

tracer, dater et archiver les éléments d’analyse de risque

Au-delà de la conclusion en elle-même, la documentation précise de l’ensemble de l’analyse et des éléments de contexte et cadre règlementaire doit absolument être tracée, datée et archivée.

Cela est particulièrement important dans un contexte d’évolution quasi-constante des régimes de sanctions économiques, où la vérité d’un jour ne sera sans doute plus celle du lendemain.

une coordination indispensable avec l’opérationnel pour être sûr d’avoir pensé à tout

L’analyse doit être systématiquement revue avec les professionnels du terrain dans la pratique même de l’opération, afin de déceler les situations de risque qui pourraient passer inaperçues.

Prenons le cas de vente d’un navire destiné à être vendu à une société russe, dans un but d’exploration scientifique des fonds marins dans les eaux territoriales.

L’analyse de risque peut être schématisée de la manière suivante :

Sources : Marion Guillaume, ONE Ethics & Compliance, 2021
Si l’on s’en tient à cette seule étude, la conclusion pourrait être favorable.

Mais dans les équipements présents à bord du navire pourraient figurer certains matériels visés à l’annexe II du Règlement de l’Union Européenne n°833/2014 et nécessitant donc une autorisation préalable : « Tubes et tuyaux des types utilisés pour oléoducs ou gazoducs, sans soudure, en fer ou en acier, d’un diamètre extérieur excédant 168,3 mm mais n’excédant pas 406,4 mm (à l’exclusion des produits en aciers inoxydables ou en fonte) ».

Sans une communication avec les opérationnels, l’analyse de risques effectuée peut ne pas permettre d’identifier ces éléments, qui sont très difficiles voire impossibles à détecter par la conformité seule.

Dans ce cas précis, cela nécessite que la conformité ait communiqué au préalable aux opérationnels l’ensemble des règlementations applicables à la transaction ainsi que la liste des matériels sous sanction ou autorisation préalable, afin que ceux-ci puissent en retour transmettre à la conformité la liste des matériels ou équipements à risque rentrant dans le cadre de la transaction ou l’opération envisagée.

 Cela confirme la nécessité d’une coordination permanente entre les opérationnels et la conformité, afin d’assurer la prise de décision la plus éclairée possible.

sanctions internationales : au-delà de la contrainte, une opportunité ?

Les régimes de sanctions économiques constituent de fait de fortes barrières à l’entrée dans certains pays et sur certains marchés.

Ils peuvent constituer également une opportunité pour les acteurs économiques capables d’aller opérer sur ces marchés.

En pratique, opérer dans un pays sous seules sanctions américaines, comme l’était l’Iran par exemple à une certaine époque, revient à éliminer de fait l’ensemble des concurrents américains sur votre marché.

De même pour un acteur bancaire, accepter de gérer les transactions venant de pays sous sanctions permet d’attirer et retenir cette clientèle par la rareté, voire le caractère unique, du service proposé.

Autre exemple de gestion opportuniste des régimes de sanctions économiques, celui de ces deux entrepreneurs français qui, suite aux sanctions imposées à la Russie en 2014 notamment sur les produits alimentaires français, ont lancé leur société de fabrication de fromages aux appellations typiquement françaises (crottin, bouchons…) mais dont la production est totalement faite en Russie. Elle échappe de fait aux sanctions économiques européennes et permet donc à ses deux fondateurs de commercialiser un produit sur un marché dont ils sont devenus les seuls fournisseurs.

Transformer les sanctions économiques en des opportunités commerciales semble donc possible, encore faut-il pouvoir sécuriser :

  • les aspects opérationnels, par la réalisation des évaluations nécessaires
  • mais aussi les aspects monétaires, par le choix des canaux permettant de faire transiter les flux financiers entre les pays sous sanctions économiques et le pays exportateur.

Très peu d’acteurs bancaires, hormis quelques très rares banques françaises et européennes, acceptent de gérer les flux financiers avec les pays sous sanctions internationales.

Ces difficultés ont conduit certains pays européens à envisager des mécanismes financiers gouvernementaux, permettant de pallier l’absence ou la rareté des canaux bancaires traditionnels.

La création de INSTEX (Instrument for Supporting Trade Exchanges) en est un bon exemple. Ce dispositif, mis en place conjointement par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, a pour ambition de « faciliter les transactions commerciales légitimes entre les acteurs économiques européens et l’Iran », en agissant comme une chambre de compensation.

INSTEX :

Le 31 janvier 2019, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne (Groupe E3) ont dévoilé le lancement d’un nouveau véhicule appelé INSTEX (Instrument for Supporting Trade Exchanges). Ce véhicule est destiné à faciliter les « transactions commerciales légitimes entre les acteurs économiques européens et l’Iran » (Joint Statement on the creation of INSTEX, 31 janv. 2019 ; Foreign and Commonwealth office, New mechanism to facilitate trade with Iran : Joint statement, 31 janv. 2019).

Cette décision s’inscrit dans le cadre de l’accord de Vienne du 14 juin 2015 sur le nucléaire iranien adopté par le Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution n° 2231 (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPoA), signé par les États-Unis, la Chine, la Russie, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.

Cet accord prévoyait la levée des sanctions économiques en contrepartie du renoncement par l’Iran à son programme nucléaire militaire. À la suite de la décision des États-Unis de quitter cet accord, l’Union européenne s’était prononcée en défaveur de la décision américaine et avait confirmé son engagement continu dans le cadre du JCPoA sous réserve du respect par l’Iran de ses engagements.

 La création d’INSTEX vise à pallier l’absence notable des acteurs financiers qui ne souhaitent pas intervenir en Iran, par crainte de poursuite des autorités américaines pour violation de l’embargo.

INSTEX a donc été conçu comme une chambre de compensation permettant d’éviter toute transaction directe entre les pays européens et l’Iran. En pratique, les entreprises exportant vers l’Iran seront créditées par INSTEX, qui jouera le rôle de chambre de compensation, grâce aux créances des importateurs iraniens. Seul le solde de la transaction entre deux entreprises européennes fera l’objet d’un crédit bancaire.

Activé pour la première fois au printemps 2020, INSTEX a permis l’exportation de matériel médical vers l’Iran depuis l’Europe.

Le système reste très fragile, conditionné au respect par l’Iran de ses engagements en matière nucléaire et à l’évolution de la position des autorités américaines, mais ce dispositif constitue un premier espoir pour les entreprises toujours en quête de nouvelles opportunités et de nouveaux marchés.

 

 Les professionnels de conformité doivent donc porter un regard spécifique sur les sanctions économiques, alliant analyse générale et de terrain, permettant de minimiser les risques sans obérer les éventuelles opportunités.

Auteur

Marion GUILLAUME
Fondatrice ONE Ethics & Compliance, Intervenant formateur pour le Cycle Expert Conformité de l’ESBanque