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Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Les règles de conformité peuvent se contredire d’un pays à l’autre : 4 études pratiques pour comprendre comment analyser et résoudre ces conflits de règlementation.

 

Les conflits d’intérêts sont au cœur du métier de responsable de conformité. Celui-ci doit pouvoir les identifier, les éviter, les gérer ou les atténuer.

Mais les responsables de conformité des institutions financières multinationales peuvent avoir à gérer des conflits d’une autre nature, moins évidente : les conflits d’exigences règlementaires juridictionnelles.
De quoi s’agit-il ?

Toute institution multinationale est par essence exposée aux lois et règlementations des différentes juridictions dans lesquelles elle conduit ses activités. D’une juridiction à l’autre, les grandes lignes règlementaires s’opposent rarement de façon radicale, mais il arrive parfois que certaines dispositions présentent des contradictions.

Lorsqu’un tel conflit de règlementations se présente, il est nécessaire d’analyser la situation soigneusement, de mesurer les implications de chaque obligation règlementaire et de ne pas chercher à les arbitrer.

Ces conflits peuvent être nombreux. Notre objectif n’est pas d’en dresser une liste exhaustive mais d’illustrer par des cas pratiques certaines situations de conflits de règlementation ou d’interprétation. Pour chacun de ces cas, nous mesurerons les enjeux collatéraux en présence et explorerons également des voies de résolution.

cas 1 – gestion des listes d’initiés : règlement européen abus de marché ou mar et règlementation non européenne

En matière de gestion des listes d’initiés la règlementation européenne Abus de marché dite MAR peut être en contradiction avec une loi non européenne, en l’occurrence dans ce cas la législation indienne.

Mais la résolution de ce conflit peut aussi déboucher sur un autre sujet, celui du RGPD et de la protection des données personnelles.

gestion des listes d’initiés : quel conflit de règlementation ?

En Europe et au Royaume Uni, le règlement (UE) n°596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 (« règlement Abus de marché » ou « MAR ») établit les exigences en termes de gestion des listes d’initiés.

Dans le cadre de la prévention des risques d’abus de marché, ce règlement prévoit principalement :

  • la tenue de listes d’initiés par les parties agissant pour le compte de l’émetteur (article 18 du règlement MAR)
  • la responsabilité de toute partie agissant pour le compte d’un émetteur concernant sa propre liste et la nécessité de la communiquer à l’autorité nationale compétente (obligation rappelée dans les « Questions-Réponses sur l’application de MAR » publiées par l’European Securities and Markets Authority ou « ESMA »).

En d’autres termes, une banque mandatée par un client émetteur et ayant reçu de l’information privilégiée de ce client émetteur, n’a pas l’obligation de fournir à son client sa liste d’initiés interne mais doit la fournir à son régulateur local sur demande.

Dans le cadre de coopérations entre autorités financières en cas d’investigations, ce régulateur local pourra, le cas échéant, transmettre des informations, y compris les listes d’initié, à toute autorité financière compétente dans une autre juridiction concernée.

Parallèlement, en 2020, la règlementation indienne sur l’interdiction des délits d’initiés (The Securities and Exchange Board of India (Prohibition of Insider Trading) Regulations, 2015 – « SEBI PIT Regulation ») a été modifiée et exige :

  • selon l’article 3(5) mis à jour le 17 Juillet 2020 : la mention sur la liste d’initié du nom de chaque personne ayant reçu de l’information privilégiée (« Unpublished Price Sensitive Information » ou « UPSI » en Inde) mais aussi d’un identifiant unique prévu par la loi pour chacune de ces personnes (équivalent du numéro d’identification nationale).
  • selon les questions fréquentes publiées le 8 octobre 2020 : la tenue par l’émetteur d’une liste d’initiés centrale sur laquelle apparaitront ses propres employés mais également les employés des banques qui travaillent pour cet émetteur et ont reçu de l’information privilégiée en vertu de leur mandat.

En d’autres termes, la banque mandatée par un client émetteur (la compagnie indienne) et ayant reçu de l’information privilégiée de ce client émetteur, devra lui fournir sa liste d’initiés interne, incluant des identifiants uniques pour chacun de ses employés initiés.

la question : règlementation européenne mar ou législation indienne ?

La banque doit-elle se conformer aux exigences de la règlementation indienne et fournir sa liste d’initiés interne à son client émetteur indien ? Ou peut-elle se contenter de respecter la règlementation européenne MAR et ne fournir sa liste qu’à la demande du régulateur du Royaume-Uni ?

choix de la règlementation applicable : quels enjeux ?

Dans un tel contexte, il pourrait sembler approprié pour la banque de chercher à satisfaire la règlementation la plus contraignante, et par conséquent de partager sa liste d’initiés interne avec le client indien.

Ce faisant, la règlementation indienne serait respectée et la règlementation MAR ne serait pas fondamentalement violée.

Il existe cependant un facteur supplémentaire à prendre en compte : pour satisfaire la règlementation indienne, la banque devrait donc fournir les noms de ses employés initiés ainsi que leurs numéros d’identification nationale.

En d’autres termes la banque devrait partager avec l’Inde des données qui permettent d’identifier ses employés, des données personnelles donc selon le Règlement Général sur la Protection des Données dit « RGPD ».

Toujours selon le RGPD, l’envoi de données personnelles vers une autre juridiction règlementaire, comme l’Inde, constitue un traitement de données personnelles.

un conflit règlementaire nécessitant de recourir à la règlementation rgpd

Les règlementations MAR en Europe et au Royaume-Uni et la SEBI PIT Regulation en Inde visent à éviter les abus de marchés et notamment le délit d’initiés.

Malgré cette similarité, les dispositions propres au maintien des listes d’initiés s’opposent. Il s’agit d’un conflit règlementaire à première vue simple à résoudre, mais dont la résolution ne peut se faire qu’en prenant en compte une autre règlementation distincte, le RGPD.

Dans un tel cas, il est essentiel, pour le responsable de Conformité qui cherche à résoudre ce conflit, d’impliquer les bonnes parties comme les juristes spécialisés en protection des données personnelles (« Data Protection Officer » ou « DPO »).

Les juristes DPO pourront à ce titre apporter les réflexions suivantes :

  • La demande de traitement et de transfert de données personnelles satisfait-elle un intérêt légitime ?  En d’autres termes, envoyer des données aussi sensibles qu’un numéro d’identification nationale est-il strictement nécessaire et proportionnel pour satisfaire la nécessité règlementaire du client indien de tenir des listes d’initiés ?
  • Ou encore : leur envoyer le nom des employés sans le numéro d’identification nationale serait-il suffisant ?

cas 2 – programmes de rachat d’actions : règlement européen mar versus règlementation britannique

La législation britannique prévoit des conditions de fixation de prix plus souples que celles du règlement européen MAR dans la cadre d’un programme de rachat d’actions.

Depuis le Brexit, le UK MAR prévoit l’application de la règlementation MAR aux opérations de marché menées au Royaume-Uni. Dès lors, quelle règlementation appliquer ?

programme de rachat d’actions : quel contexte ?

Une compagnie listée sur le London Stock Exchange souhaite entreprendre un programme de rachat d’actions, aux conditions de prix qui maximisent les chances de mener le programme à bien.

rachat d’actions : quel conflit règlementaire ?

A la suite du Brexit, la base réglementaire sur les questions d’abus de marchés au Royaume-Uni reste la règlementation MAR, en vertu de l’European Union (Withdrawal) Act 2018, on parle de « UK MAR ».

Le règlement Abus de Marchés (MAR) définit :

  • les conditions pour que les programmes de rachat d’actions ne constituent ni des opérations d’initiés ni de la manipulation de marché (Article 5)
  • les modalités d’exécution des rachats d’actions : les conditions de prix et de volumes sont notamment détaillées dans l’article 3 du Règlement Délégué 2016/1052 (règlement délégué MAR), qui prévoit au second paragraphe que :

« […] l’émetteur ne peut, lorsqu’il exécute des opérations dans le cadre d’un programme de rachat, acheter des actions à un prix supérieur à la plus élevée des deux valeurs suivantes : le prix de la dernière opération indépendante, ou l’offre d’achat indépendante actuelle la plus élevée sur la plateforme de négociation où l’achat est effectué, y compris lorsque les actions sont négociées sur différentes plateformes de négociation. »

Au Royaume-Uni, l’autorité nationale compétente, la Financial Conduct Authority (« FCA »), envisage une flexibilité supplémentaire sur les conditions de prix des programmes de rachat d’action.

Ainsi, selon les Listing Rules LR 12.4.1, l’émetteur ne peut acheter des actions à un prix supérieur à la plus élevée des valeurs suivantes :

  • les valeurs envisagées par MAR telles que décrites ci-dessus, ou
  • « 5% au-dessus de la moyenne de la valeur de marché de l’action sur les cinq jours de trading précédant la date de rachat ».

En d’autres termes, la FCA permet d’effectuer des programmes de rachat d’actions à des prix supérieurs à ceux permis par MAR.

conditions de prix : règlementation mar ou législation de la financial conduct authority (fca) ?

Est-il possible pour la compagnie d’effectuer un programme de rachat d’actions dans des conditions de prix non conforme au règlement MAR mais en conformité avec les conditions prévues par le régulateur britannique ?

conflit de règlementation sur les conditions de prix : quels enjeux ?

Ce cas de conflit d’interprétation ne présente d’un point de vue économique ou financier qu’un enjeu de compétition mineur : un émetteur qui souhaite conduire un programme de rachat d’action pourrait choisir de s’adresser à une banque britannique plutôt qu’à une banque européenne pour espérer avoir plus de flexibilité sur les conditions de prix du programme, si tant est que le client ait vraiment le choix dans un monde post-Brexit.

Le véritable enjeu de ce cas repose exclusivement sur une responsabilité de conformité de la banque britannique. Le responsable conformité  devra décider, le cas échéant, d’autoriser ou non le programme de rachat dans des conditions de prix non conformes à la règlementation MAR mais en conformité avec les conditions prévues par la FCA.

la logique : la même règlementation mar applicable en europe et au royaume-uni prévue par le uk mar

Les programmes de rachat d’actions en Europe continentale comme au Royaume-Uni sont soumis aux conditions énoncées par une même règlementation : le règlement européen MAR.

Il semble à ce titre surprenant que le régulateur britannique autorise des conditions supplémentaires qui pourraient amener à exécuter un tel programme en non-conformité avec la règlementation MAR.

Cette singularité interroge d’autant plus qu’il parait peu probable qu’une banque et son client choisissent sciemment de ne pas de conformer au règlement européen MAR.

cas 3 – régime des rémunérations et traitement des investisseurs : application de mifid II dans le cadre de uk mifir ou législation de la fca ?

Au Royaume-Uni, est-il nécessaire de déclarer aux investisseurs les rémunérations perçues des émetteurs  comme l’oblige MiFID II ?

En d’autres termes, les investisseurs doivent-ils être considérés comme des clients ou comme des partenaires « corporate » ?

rémunérations et traitement des investisseurs : quel contexte ?

A la suite du Brexit, et en vertu de European Union (Withdrawal) Act 2018, MiFID II reste applicable au Royaume-Uni, on parle de « UK MiFIR ».

Ainsi en France comme au Royaume-Uni, le régime des rémunérations est prévu par l’article 24, paragraphe 9, de la Directive 2014/65/UE concernant les marchés d’instruments financiers (« MiFID II), et complété par l’article 11 de la Directive déléguée (UE) 2017/593.

Dans ce contexte, une banque britannique et une banque française s’interrogent sur la nécessité de déclarer aux investisseurs leurs rémunérations perçues des clients émetteurs ou cédants au titre des opérations de placement de titres financiers, pour les prestations de services de prise ferme, de placement garanti et de placement non-garanti.

Les fonctions de marché/vente de ces banques prennent en effet des ordres auprès d’investisseurs pour la constitution du livre d’ordres de ces opérations de placement.

régime de rémunérations des investisseurs : quel conflit de règlementation ?

En France, l’Autorité des Marchés Financiers traite cette question dans sa position-recommandation DOC 2013-10 mise à jour le 14 Avril 2021, en précisant que :

  • « lorsque cette rémunération est variable en fonction du montant des titres effectivement distribués, celle-ci sera considérée comme étant « en liaison avec la fourniture » d’un service d’investissement aux investisseurs et à ce titre, sera soumise au régime des rémunérations reçues de tiers » , le tiers étant ici le client émetteur.
    En d’autres termes, la rémunération reçue du client émetteur devra être déclarée aux investisseurs qui reçoivent un service d’investissement ou service connexe dans le cadre du placement de titres.
  • « Lorsque cette rémunération ne varie pas en fonction du montant des titres effectivement distribués par le PSI (prestataire de service d’investissement), elle ne sera pas soumise au régime des rémunérations reçues de tiers.

En pareil cas, en application des dispositions du 3 du II de l’article L. 533-10 du code monétaire et financier, les investisseurs devront cependant, avant la fourniture du service d’investissement, être clairement informés du conflit d’intérêts résultant de la fourniture d’un service à l’émetteur et de la perception d’une rémunération à ce titre. »

L’AMF précise par ailleurs :

« Sont visées par les précédents développements les situations dans lesquelles un PSI (prestataire de service d’investissement) fournit à son client investisseur un service d’investissement, notamment de conseil en investissement de manière non indépendante, en relation avec un service de placement fourni à l’émetteur ou au cédant et pour lequel il perçoit une rémunération de la part de ce dernier. » Il en va différemment au Royaume-Uni. La FCA considère les prestations de services de prise ferme, de placement garanti et de placement non-garanti comme du « Corporate Finance Business » et précise que les investisseurs ne sont pas des clients mais des « Corporate Finance Contacts », pour peu qu’aucun service (d’investissement ou autre) ne leur soit fourni par ailleurs.

comment qualifier les investisseurs : clients au sens de mifid II ou corporate contacts selon la fca ?

La question sous-jacente posée ici est de savoir comment qualifier la prise d’ordres auprès des investisseurs, afin de constituer le livre d’ordre dans le cadre des opérations de placement de titres financiers.

déclaration des rémunérations des investisseurs : un risque de concurrence entre pays

En qualifiant les investisseurs de « Corporate Finance Contact », le FCA sous-entend que ces investisseurs ne sont pas des clients, puisque la prise d’ordres auprès des investisseurs dans le cadre des opérations de placement de titres financiers n’est par un service d’investissement.

Cette prise d’ordres ne correspond en effet à aucun des services d’investissement envisagés par la règlementation MiFID II : il ne s’agit pas par exemple de réception et transmission d’ordre, ni à proprement parler d’exécution d’ordre pour le compte de client, ni de conseil en investissement.

En ne considérant que les cas où un service d’investissement est fourni aux investisseurs, l’AMF ignore la possibilité qu’aucun service d’investissement ne leur soit fourni. Cela peut sans doute s’expliquer par un refus d’envisager que les investisseurs puissent ne pas être considérés comme des clients.

Cette explication semble légitime du point de vue des investisseurs dont les services dits « on-boarded » sont intégrés auprès des banques (ou autres PSI). Ces investisseurs se considèrent comme clients pour tous les autres services d’investissement qu’ils reçoivent des banques et ne différencient pas ces autres services et la soumissions de leurs ordres dans le cadre des opérations de placement de titres financiers.

Cette dichotomie entre un pays où les investisseurs ne sont pas considérés comme des clients, et un pays où les investisseurs sont nécessairement définis comme des clients, crée une situation de concurrence entre les banques et autres prestataires de services d’investissement.

Cela signifie qu’en théorie, une banque britannique n’aurait pas à déclarer ses rémunérations aux investisseurs, quand la banque française aurait l’obligation de le faire.

malgré une règlementation conflictuelle, une pratique uniforme de déclaration conformément à mifid II

Plus qu’un véritable conflit, ce cas pratique illustre un véritable vide dans la réglementation MiFID II sur la qualification de la prise d’ordres auprès des investisseurs dans le cadre des opérations de placement de titres financiers.

Cette absence de qualification mène à des différences d’interprétations des deux côtés de la Manche.

Dans la pratique néanmoins, la règlementation MiFID II est appliquée au Royaume-Uni comme en France.

Dans les deux pays,les commissions de placements sont généralement déclarées dans les documents accompagnant une offre ou mis à la disposition des investisseurs qui souhaitent en connaitre les ordres de grandeur.

cas 4 : gouvernance produit selon mifid II : divergence d’interprétation européenne et allemande

En Europe, la gouvernance des produits et notamment la définition des marchés cibles est de la responsabilité du « Producteur » selon la règlementation MiFID II. Des interprétions divergentes existent néanmoins entre pays, notamment en Allemagne.

gouvernance des produits : quel contexte règlementaire en europe ?

En Europe, la « gouvernance des produits » est régie par :

  • L’article 16, paragraphe 3 de la Directive 2014/65/UE concernant les marchés d’instruments financiers(« MiFID II), qui prévoit que : « Toute entreprise d’investissement qui conçoit des instruments financiers destinés à la vente aux clients maintient, applique et révise un processus de validation de chaque instrument financier et des adaptations notables des instruments financiers existants avant leur commercialisation ou leur distribution aux clients.
    Le processus de validation des produits détermine un marché cible défini de clients finaux à l’intérieur de la catégorie de clients concernée pour chaque instrument financier et permet de s’assurer que tous les risques pertinents pour ledit marché cible défini sont évalués et que la stratégie de distribution prévue convient bien au marché cible défini. […]»,
  • L’article 9 de la Directive déléguée (UE) 2017/593 qui précise que ces obligations s’appliquent aux entreprises d’investissement produisant « des instruments financiers, ce qui englobe la création, le développement, l’émission et/ou la conception d’instruments financiers. »

Au vu de ces dispositions, une banque française et sa filiale allemande s’interrogent sur les cas où elles doivent se considérer comme « Producteur/rice » encore dit « Manufacturer ». Dans ces situations, elles doivent se conformer aux exigences de la gouvernance des produits, notamment définir un marché cible, lorsqu’elles fournissent des services d’investissement à des clients émetteurs.

définition de « producteur » de produit : quel conflit d’interprétation ?

La définition de « Producteur » ci-dessus est suffisamment large pour couvrir différents types de services rendus par les entreprises d’investissement à leurs clients émetteurs.

L’interprétation la plus répandue amène à considérer qu’une banque qui fournit un service de placement et/ou de prise ferme, dans le cadre de l’émission d’un nouvel instrument financier, participe à l’émission de cet instrument financier, et est donc « Productrice ». Cette banque sera soumise aux exigences de la gouvernance des produits.

Outre Rhin cependant, les banques allemandes considèrent qu’un service de conseil doit être fourni et porter sur les caractéristiques liées au risque du produit, pour considérer la banque comme « Productrice ». Cette interprétation exclue donc dans la pratique les situations où seuls les services de placement et services liés à la prise ferme sont fournis.

Cette singularité n’est pas formalisée dans le texte mais constitue la pratique des banques allemandes. Elle semble s’appuyer sur le point 15 page 2 de la Directive déléguée (UE) 2017/593 qui mentionne le « conseil » aux entreprises émettrices

On note d’ailleurs que lorsqu’il aborde la gouvernance de produits, le régulateur allemand, la BaFin, ne parle que de « design » et « développement » lorsqu’il évoque le Producteur (« Manufacturer »).

En d’autres termes, pour un même service de placement et/ou de prise ferme, une banque française est définie comme « Productrice » et doit se conformer aux exigences de la gouvernance des produits, tandis que sa filiale allemande ne se considère pas nécessairement comme « Productrice ».

comment appliquer les exigences de gouvernance des produits ?

Si une banque qui ne fournit que des services de placement et/ou de prise ferme n’est pas « Productrice », à qui revient la responsabilité de se conformer aux exigences de la gouvernance des produits, notamment la définition d’un marché cible ?

gouvernance des produits : une responsabilité qui revient au « distributeur » ?

On trouve dans certaines positions du régulateur allemand, la « BaFin », la suggestion que l’émetteur est responsable d’identifier le marché cible dans le cadre de ses propres émissions.

Ceci sous-entend l’idée que l’émetteur est lui-même le producteur. Or cette hypothèse n’est valide que si l’émetteur est aussi une entreprise d’investissement, c’est-à-dire capable de fournir des services d’investissement sous MiFID II.

Dans ces conditions, si une banque allemande ne fournit que des services de placement et/ou prise ferme dans le cadre d’une émission, elle n’est pas considérée comme « Productrice ». Son client émetteur, s’il n’est pas lui-même une entreprise d’investissement, n’est pas non-plus « Producteur ».

En l’absence de « Producteur », la responsabilité de définir un marché cible pour le produit financier sujet de l’émission reviendrait au « Distributeur », c’est-à-dire à l’entreprise qui commercialise le produit financier auprès de ses clients investisseurs dans le cadre de services d’investissement, conformément à l’article 10 de la Directive déléguée (UE) 2017/593.

Dans la pratique, la fonction de Distributeur peut être assurée par la division de marchés/vente de la banque qui fournit les services de placement et/ou prise ferme.

quid du concept règlementaire de « producteur » ?

Ici encore une même règlementation est interprétée de deux façons différentes.

Ce conflit d’interprétation n’est certes pas insurmontable mais souligne surtout la singularité de cette situation. Cette contradiction règlementaire interpelle, dans la mesure où :

  • elle pourrait amener une banque et sa filiale à se conformer différemment à une même règle,
  • et l’une de ces interprétations rend un concept règlementaire, celui de la fonction de « Producteur », non strictement nécessaire.

Conflits de règlementation ou d’interprétation : synthèse des cas présentés

Cas pratique 1

Liste d’initiés envoyée au régulateur (Europe)

Liste d’initié envoyée au client (Inde)

Cas pratique 2
Rachat d’actions au plus haut du prix de la dernière opération indépendante ou à l’offre d’achat actuelle la plus élevée (Europe)
Rachat d’action au plus haut du prix de la dernière opération indépendante ou à l’offre d’achat actuelle la plus élevée, ou 5% au-dessus de la moyenne de trading les 5 jours précédant la date de rachat (Royaume Uni).

Cas pratique 3
Les investisseurs sont des clients (France)
Les investisseurs ne sont pas des clients, ce sont des « contacts » qui permettent le placement de titres financiers (Royaume Uni).

Cas pratique 4
La prise ferme déclenche les responsabilités de Producteur MiFID II (France) La prise ferme, accompagnée de conseil a l’émetteur sur les caractéristiques de risque du produit, déclenchent les responsabilités de Producteur MiFID II (Allemagne).

On pourrait citer de nombreux autres exemples de différences de réglementation ou d’interprétation des règlementations, créant des éventuelles situations de conflits.

Ces différences s’expliquent parfois par un biais culturel, une application à la lettre d’un texte règlementaire ou au contraire une interprétation de l’esprit de ce texte, ou encore par l’existence d’une ambiguïté ou d’une lacune dans une règlementation. Ces écarts d’interprétations ne trouvent parfois pas d’explication.

Il est indispensable pour les responsables de Conformité se trouvant face à ces conflits de ne pas s’éparpiller dans des débats sémantiques ou encore de pointer du doigt l’imperfection des textes. Ils doivent au contraire analyser ces situations, afin d’appréhender les conséquences et enjeux de chaque interprétation et décider efficacement.

Auteur

Jean- Baptiste GICQUEL
Conseiller en conformité bancaire,
Rédacteur pour le Blog Conformité de L’ESBanque (Cycle Expert Conformité)