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Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

En perpétuelle évolution, les techniques de blanchiment s’adaptent sans cesse à leur environnement. Tour d’horizon de ces nouveaux modèles par secteur et cas pratiques.

 

Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, le blanchiment d’argent ne cesse de croître à l’international.

Les techniques de blanchiment sont multiples et particulièrement évolutives. Elles s’adaptent à leur environnement, à l’économie et aux nouvelles technologies et présentent malheureusement une grande richesse créative.

Les activités de LCB-FT (Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme) doivent ainsi faire face à de nouvelles techniques de blanchiment, savoir les détecter et les contrer. Les processus de gestion du risque de LCB-FT doivent donc être eux aussi en permanente évolution.

Quelles sont les techniques de blanchiment « montantes » depuis plusieurs années ? Tour d’horizon en France et à l’international.

 

SOMMAIRE

  • Blanchiment par les mules financières ou Money Mule Network
  • Blanchiment par l’immobilier
  • Blanchiment par arnaques aux faux présidents
  • Blanchiment d’argent et assurance

 

Blanchiment par les mules financières ou Money Mule Network

 

Les mules financières sévissent un peu partout dans le monde. Les mules sont des personnes qui prêtent leurs comptes bancaires à des criminels.

En Tunisie, la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF) cite un cas de mule dans son rapport annuel de 2021. La déclaration de soupçon concernant X, une femme ayant la triple nationalité, tunisienne, suisse et britannique, et son époux Y un anglo-libanais, tous deux vivant dans un des quartiers privilégiés.

  • X et Y ont chacun créé entre 2014 et 2018 des sociétés de services ayant un capital social à hauteur de 1 £ (voire 100 £ soit environ 380 dinars).
  • Les deux intéressés ont ouvert plusieurs comptes bancaires en dinar tunisien et en devise dans une banque tunisienne.

 La coopération internationale avec l’homologue étranger de la CTAF, ainsi que les recherches sur les sources ouvertes, ont permis d’obtenir les informations suivantes :

  • X et Y font partie d’un réseau international spécialisé dans le crime organisé qui attire des étrangers pour les inciter à créer des sociétés ou ouvrir des comptes bancaires. Ces comptes sont des « Mule Accounts » par lesquels transitent des fonds résultant de fraude et de corruption. X et Y ont épuisé les trois étapes du blanchiment d’argent en se servant de la place bancaire et financière tunisienne.
  • X est accusée d’être impliquée dans une opération de fraude de multi-millions de livres sterlings, et ce en ayant escroqué des personnes physiques et morales à travers des services fictifs offerts.

En conclusion, la CTAF indique que l’argent transféré en Tunisie résulte d’opérations d’escroquerie, de fraude et de corruption.

Au vu des indices de soupçons collectés, la CTAF a gelé les fonds en rapport avec ces déclarations de soupçons (DS) et a transmis le dossier au Procureur de la République. Une enquête judiciaire a été ouverte.

En Belgique, 1 jeune sur 10 est sollicité pour devenir une mule via les réseaux sociaux comme Facebook, whatpps, Instagram ou TIK TOK.  Une mule financière met son identité à disposition des criminels aux blanchisseurs de capitaux. Une mule peut être tenue responsable du blanchiment d’argent. Elle risque non seulement de lourdes amendes et une peine de prison.

Si les faits sont avérés, la mule financière peut être poursuivie pour blanchiment d’argent. Elle risque une amende de 375 000 € et une peine de 5 ans de prison. Son compte bancaire peut être annulé. Les mules financières peuvent être repérées grâce au contrôle des paiements entrants. 

 

 

Blanchiment par l’immobilier

 

Le secteur de l’immobilier est un bon placement pour le blanchisseur. Il procure à l’acquéreur des revenus qui s’inscrivent dans la légalité.

Il existe différents procédés. L’un des plus courant est l’achat de biens à un prix inférieur, une partie étant payée en dessous-de-table. Le bien immobilier peut être revendu au prix du marché par la suite. Les opérations d’achat-revente de biens immobiliers permettent d’effacer la provenance des fonds.

Le blanchisseur peut acheter, par exemple, une maison d’une valeur de deux millions d’euros pour seulement un million et transmettre en secret au vendeur le reste de l’argent qu’il lui doit. Après une certaine période de détention du bien immobilier, le blanchisseur la vend à son prix réel, soit deux millions d’euros.

L’opération peut devenir plus complexe pour brouiller les pistes : transfert d’argent dans un paradis fiscal, ouverture d’un contrat d’assurance-vie…

Des villes sont notoirement connues pour être complaisantes avec le blanchiment d’argent lié à l’immobilier. Londres est ainsi surnommée « Londongrad ». Cette appellation fait référence à l’afflux d’argent de l’Est pendant plus de deux décennies pour acquérir des biens immobiliers dans les quartiers les plus recherchés de la capitale. Ces mêmes personnes créaient des sociétés et collectaient des fonds à Londres.

Mais un tournant en 2017 est atteint avec l’introduction « des ordonnances sur la richesse inexpliquée » entraînant saisie forcé et gel d’actifs dans toute la capitale. Avec l’invasion de l’Ukraine, le Londongrad vacille. Aujourd’hui le marché Londonien reste moins réglementé que la City de Londres et doit se plier pleinement au régime de sanctions britannique.

Les agents immobiliers sont sensibilisés et en première ligne contre le crime organisé, le blanchiment d’argent et le non-respect des sanctions. A ce titre, ils font partie des « gatekeepers » sensibles en matière de LCB-FT. Malgré l’entrée en vigueur du registre des entités étrangères en 2022, il est encore difficile de savoir qui possède réellement les propriétés britanniques achetées par des sociétés étrangères. Un rapport de BBC News et Transparency International a révélé que près de 50 % des entreprises n’ont pas déclaré qui était le véritable propriétaire.

 

Blanchiment par arnaques aux faux présidents

 

Les arnaques « aux faux président » sont de plus en plus courantes.

Récemment la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) a interpellé différentes personnes dans une affaire dont le préjudice est de 38 millions d’euros. Les investigations ont été menées au Portugal, à Israël et en Croatie pour mener à des interpellations à Paris au mois de janvier dernier avec le concours d’Interpol.

Les procédés utilisés sont :

  • l’usurpation d’identité et des adresses mails,
  • la substitution d’IBAN (International Bank Account Number),
  • la connaissance de l’agenda du patron, des noms des personnes et de leurs fonctions.

Ce réseau a utilisé le blanchiment de l’escroquerie visant à transformer l’origine des sommes obtenues de façon illégale.

Le mode opératoire est le suivant :

Le comptable d’un promoteur immobilier dont le siège est à Paris reçoit l’appel d’un escroc qui se fait passer pour un avocat. Il prétend être mandaté pour une opération confidentielle de rachat de sociétés avec l’accord du président de la société. Puis, le comptable reçoit un e-mail usurpant l’identité du PDG (Président Directeur Général) lui confirmant que l’opération est réalisée à sa demande. En quelques semaines plus de 40 virements sont effectués pour un montant record de 38 millions d’euros.

Au même moment en Haute Marne, une entreprise est victime du même type d’ arnaque au président d’un montant de 300.000 euros.

En faisant le rapprochement entre les deux affaires, les enquêteurs parviennent à remonter les fonds avec l’aide d’Europol. L’argent transite sur différents comptes bancaires ouverts sous de fausses identités ou des sociétés fictives au Portugal, en Espagne, en Hongrie et en Croatie.

Les individus arrêtés en France sont des « mules ». Ils sont chargés d’ouvrir des comptes dans différents pays européens. Les personnes identifiées sont dans une grande précarité financière.

 

Blanchiment d’argent et assurance

 

Le secteur de l’assurance peut être utilisé dans la phase d’empilage :

  • Selon les pays, certains produits de société d’assurance peuvent être acquis en espèce, comme les bons de capitalisation ou les contrats d’assurance vie. Il suffit de les payer en liquide, puis de dénoncer le contrat le mois suivant. La compagnie d’assurance rembourse alors par chèque. Il ne reste plus qu’à déposer ce chèque émanant d’une compagnie d’assurance à la banque. D’éventuelles complicités au sein de la société d’assurance facilitent ce genre d’opérations.

Parfois, le bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie est inconnu : c’est une clause testamentaire déposée chez un notaire donc soumis à secret professionnel qui contient son identité.

  • Placer de l’argent dans une police d’assurance, c’est réussir l’empilage, phase ultime du processus de blanchiment. Un capital provenant d’une compagnie d’assurance supposé « propre », n’attire ni la vigilance ni l’attention des institutions financières qui en reçoivent paiement.

Cette opération d’empilage peut être facilitée dans certains pays à la législation permissive par l’absence d’éthique de personnels corruptibles et de courtiers privilégiant leurs commissions.

En France, longtemps le thème du blanchiment reste un sujet délicat, voire tabou pour les assureurs.

La loi de finances pour 2000 a limité le montant des paiements en espèces pouvant être acceptés par les assureurs à 1.000 €. Rare sont aujourd’hui les assureurs qui acceptent les souscriptions en espèces en France mais la vigilance demeure notamment pour les compagnies filiales de banques.

Dans ce cas, la déclaration de soupçon relève le plus souvent de la responsabilité du correspondant Tracfin de la banque, mais pas de celle de la compagnie d’assurances.

Cette explication a longtemps été avancée pour justifier le faible nombre de déclarations de soupçon transmis à Tracfin par les assureurs, or les chiffres démontrent le contraire.

Dans le secteur de l’assurance un certain nombre de méthode de blanchiment ont été repérées, les plus répandue sont :

  • en assurance de personne : la souscription et rachat précoce ou le dénouement au profit d’un tiers, le blanchiment par la souscription d’un bon de capitalisation
  • en assurance de dommage : l’opération est très souvent doublée d’une escroquerie à l’assurance.

Internet, phishing et mules dans le secteur des assurances :

En 2022, plusieurs compagnies (MAIF, Generali, Allianz et Swiss Life) ont été victime de « phishing » sur internet et ont gagné gain de cause dans une affaire qui remonte à 2017. Des mails frauduleux sont envoyés aux assurés pour les inviter à changer leurs identifiants. Les criminels en profitent pour accéder aux comptes en lige. Puis ils changent l’IBAN bénéficiaire et font des arbitrages en leur faveur.

Des mules sont ensuite recrutées pour faire transiter l’argent. Ils acceptent de recevoir l’argent détourné sur leurs propres comptes contre rémunération.

 

Ce dernier exemple montre que différentes techniques peuvent être accumulées pour finir par servir des criminels dans de vastes opérations de blanchiment d’argent. Si les processus de blanchiment sont toujours les mêmes, les techniques sont sans cesse renouvelées dans un contexte virtuel et numérique, constituant de réels défis en matière de lutte anti-blanchiment.

 

Auteur

Rachida Bodinier ​​

Expert Conformité – Fondateur de Horasis Data Compliance – Concepteur pour le Cycle Expert Métiers Conformité de l’ESBanque