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Quelle conformité à l’international : supervision à l’échelle d’un groupe

Quelle conformité à l’international : supervision à l’échelle d’un groupe

Temps de lecture estimé : 9 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

La maitrise des risques de non-conformité est aujourd’hui intégrée dans la stratégie des groupes internationaux. Le degré de supervision par l’organe central d’un groupe avec une présence à l’international peut varier suivant le niveau de maturité de son dispositif Conformité, l’appétence aux risques décidée par les dirigeants et la stratégie du groupe de décentraliser ou non les prises de décisions. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire et important d’avoir une approche structurante afin d’organiser au mieux le dispositif Conformité à l’échelle d’un groupe.

SOMMAIRE

  • Pourquoi décliner le dispositif Conformité à l’échelle groupe
  • Comment superviser au-delà des frontières ?
  • Quels sont les indicateurs d’une gestion efficace et maitrisée ?

 

Pourquoi décliner le dispositif Conformité à l’échelle groupe

 

Une obligation réglementaire ou une démarche volontaire ?

Le secteur d’activité concerné influe sur le caractère obligatoire ou volontaire d’une approche à l’échelle groupe plus ou moins stricte.

Pour les groupes exerçant dans le secteur financier qui sont soumis à agrément (comme les établissements de crédits, les banques digitales, les sociétés d’assurances, les courtiers, etc.), les règles de la société mère sont en principe appliquées par les filiales étrangères ; cela découle d’une obligation réglementaire.

Ainsi, la veille réglementaire est obligatoire à mettre en place pour les entreprises assujetties en France et leurs filiales à l’étranger.

Pour les autres entreprises, elles transposent à minima leur dispositif Conformité pour (i) assurer l’application du programme Anti-corruption (cadre extraterritorial de la loi Sapin II), (ii) assurer des vérifications sur les noms des clients, fournisseurs ou tout autre tiers contre les listes consolidées au regard des sanctions internationales (iii) lutter contre la fraude avec un programme à l’échelle groupe et (iv) respecter la confidentialité des données personnelles.

Cette cascade du dispositif conformité à l’échelle du groupe tend à assurer une supervision cohérente et efficace du dispositif global.

Nécessité de cascader le dispositif de la maison mère dans une perspective de maitrise des risques à l’échelle du groupe

La mise en place d’une gouvernance adaptée permet une telle maitrise des risques.

Ainsi, le Corps procédural va permettre une cohérence dans l’application des règles ;

Exemple : sur les sanctions internationales contre la Russie, sanctions EU et sanctions US (OFAC office of foreign assets control), diffusion à l’échelle groupe pour une application cohérente et uniforme par toutes les entités du groupe.

Un autre élément important est l’exercice de la cartographie des risques. Elle va aider à avoir la visibilité nécessaire : la société mère diffuse la méthodologie et ensuite, remontée des informations pour consolidation. Les risques spécifiques identifiés sont ainsi pris en compte et escaladés au niveau central.

De même, les « Key Risk Indicators » (KRI) sont ceux adressés par la société mère pour assurer un pilotage cohérent des risques identifiés.

Exemples : des KRI spécifiques sur le traitement des alertes en matière de Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Des indicateurs sur les correspondants bancaires : nombre, due diligence avant toute nouvelle relation, etc.

Enfin, cette cascade est liée également à la nécessité de contrôler les entités pour remédier à d’éventuels ajustements du dispositif (supervision) et assurer une maitrise globale des risques.

Superviser impose également de s’assurer de la bonne application des règles ; le contrôle est défini et déployé à tous les niveaux de l’organisation. Des contrôles effectués au niveau local mais également des contrôles décidés et exécutés depuis la société mère suivant le plan de contrôle annuel défini. Il s’agit bien d’assurer la maitrise des risques de non-conformité à l’échelle du groupe.

 

Comment superviser au-delà des frontières

L’exercice peut parfois paraitre difficile : les informations demandées ou cascadées depuis la société mère peuvent ne pas être comprises par les équipes locales ou appréhendées dans la même perspective.

 

La gouvernance en place comme passage obligé

  • Mettre en place une comitologie et en définir le cadre (fréquence, participants, contributions, présentations, décisions ou avis). Prendre en compte les différences de langues s’agissant du corps procédural, définir la hiérarchie des normes (politiques, procédures, instructions, etc.) Expliquer cette hiérarchie aux entités qui doivent bien appréhender les attentes.
  • Assurer un canal de diffusion : Diffusion des procédures, instructions, notes et toute autre information aux entités.
  • Pour les Etablissements de crédit, la gouvernance intègre la gestion harmonisée des correspondants bancaires, c’est-à-dire les banques partenaires qui fournissent des prestations de services bancaires notamment la gestion de trésorerie ou encore les virements internationaux. Une politique unique pour le choix de ces correspondants est mise en place dans les Etablissements de crédits afin d’assurer des dispositifs conformité équivalents et qui répondent aux exigences et standards internationaux. Enfin, la gestion des correspondants bancaires est souvent centralisée afin d’assurer un suivi consolidé et un contrôle cohérent pour l’ensemble du groupe.
  • Installer des reportings: la remontée des informations nécessaires permettra de compléter la visibilité de la société mère ; cela peut être une demande du régulateur et donc remontée des informations pour une consolidation par le central. Cela peut aussi être lié aux changements survenus dans un pays (nouvelle loi, audit régulateur, nouvelle liste de sanction, etc.).
  • Organiser des entretiens réguliers/visites de supervision : avec une liste des sujets à traiter et à sur lesquels échanger. Formaliser également cette supervision par le biais de rapports sur les sujets discutés.
  • Prendre en compte l’environnement réglementaire spécifique local, qui peut imposer un traitement différent des sujets Conformité (par exemple, résoudre la situation où certains dossiers présentent une sensibilité ou un impact potentiel sur le groupe dans un contexte réglementaire local interdisant l’escalade à la société mère).

L’extraterritorialité est-elle considérée/traitée comme une spécificité locale ? L’extraterritorialité n’est pas une spécificité locale mais plutôt s’impose comme une règle devant être appliquée en local. La conséquence est que parfois, un conflit de lois impose des avis juridiques et un traitement spécifique.

Exemple: extraterritorialité des règles américaines notamment sur les sanctions impose leur application au-delà des frontières. Autre exemple : extraterritorialité de la loi Sapin II avec les 8 piliers à mettre en place au sein des entités françaises avec leurs filiales situées à l’étranger.

Formaliser et suivre les spécificités locales

Pour identifier ces différences, il faut avoir mis en place une supervision rapprochée et donc avoir posé les bonnes questions au bon moment.

L’exercice de la cartographie des risques va aider à avoir cette visibilité en assurant la participation des entités locales à l’exercice et en ayant des échanges avec une méthodologie uniformisée en place au sein du groupe pour faciliter la consolidation des résultats.

Les comités mis en place permettront de remonter les informations pertinentes comme l’adoption d’une nouvelle loi, les difficultés d’implémentation d’une procédure cascadée par le central, etc.

Il s’agit donc de formaliser toute spécificité locale qui ferait obstacle à l’application des règles du groupe.

Mise en place de procédure opérationnelle dans chaque filiale tenant compte des spécificités organisationnelles et réglementaires.

Si des contraintes locales empêchent l’application d’une procédure, il faut formaliser cette exception et préciser si nécessaire quelle est l’option dégradée à mettre en œuvre.

Le système des exceptions doit toutefois rester spécifique et très limité.

La formation, partie intégrante du dispositif de supervision

Du fait de l’application des réglementations de la société mère à l’ensemble du groupe, et, plus globalement, de l’évolution réglementaire et environnementale pouvant impacter l’activité de l’entreprise, il est nécessaire d’avoir une interprétation cohérente et comprise par tous d’une manière identique. Par ailleurs, il est important d’expliquer ce niveau d’exigence lorsque cela est plus restrictif ou encore une nouvelle réglementation qui doit être déployer. La formation est clé pour les équipes locales.

Enfin, les formations sont ciblées et ont pour objectif de transmettre aux équipes conformité locales ce savoir et cette interprétation de la société mère pour qu’elles puissent former, à leur tour, les équipes métier locales. Les échanges font parfois apparaitre les spécificités/difficultés du local dans cette transposition des procédures de l’organe central.

Cela a également pour objectif de permettre une meilleure analyse des sujets conformité par les locaux ; une responsabilisation grandissante et donc une délégation locale plus large.

 

Quels sont les indicateurs d’une gestion efficace et maitrisée ?

Les indicateurs visés sont ceux liés à l’activité de l’entreprise et permettront de superviser efficacement le dispositif Conformité en place.

 

Des indicateurs de non-conformité sur les Know Your Customer

Le principe: il s’agit de s’assurer de l’uniformité dans l’application des règles.

La gestion uniformisée des tiers impose les mêmes exigences pour tout type de tiers (KYC, KYI, KYS, etc.). Les procédures de gestion des tiers sont détaillées et différencient les informations à collecter suivant le statut du tiers. Ainsi, des différences sont à prendre en compte suivant la relation entretenu avec le tiers : client, fournisseur, intermédiaire, etc. Tous ces tiers vont être définis au niveau de la MS pour avoir des règles cohérentes pour chaque type de tiers. Ce sont donc les mêmes procédures pour tous (à l’échelle groupe), etc. Au niveau local, les procédures sont implémentées avec des dispositions plus opérationnelles (ou des procédures opérationnelles) tenant compte de l’organisation, des processus ou encore des spécificités locales.

Quelques indicateurs à retenir : indicateur lié à la distinction de statut des tiers visés qui sera donc répercuté sur les informations à collecter. Un autre indicateur pourra être le nombre de clôtures des relations/tiers, par type de tiers, pour des raisons de non-conformité.

Un autre indicateur peut viser le nombre de Personnes Politiquement Exposées (PPE) à l’entrée en relation par rapport à l’ensemble des entrées en relation.

Indicateurs sur les transactions/flux financiers/outils

Les éléments qui sont à relever dans cette partie pourraient concerner le nombre d’alertes générées par l’outil LCB-FT (lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme) par rapport au nombre total de transactions (pour une banque), le taux de génération des alertes pourra aider à évaluer la pertinence des paramétrages ou encore la bonne couverture des risques avec les scénarios activés.

D’autres indicateurs pourront cibler le respect des sanctions financières, les résultats des contrôles effectués pour mieux pointer les axes d’amélioration ou encore la formation (avec des indicateurs sur le taux de participation, le taux d’achèvement, etc.).

Un point d’attention à prendre en compte sur les outils. Les systèmes d’information peuvent être différents au sein d’un groupe mais les informations à collecter sont bien les mêmes (suivant les procédures en place); on s’assure d’avoir les mêmes données bien que les outils soient différents. Pour certains traitements, des outils sont utilisés au niveau central pour permettre de maitriser davantage le risque de non-conformité : par exemple, vérifications des noms contre les sanctions (paramétrage, taux de similarité imposé, etc.).

Des outils pour la supervision des opérations, ex-post avec des scenarios couvrant les mêmes risques (socle commun) même si des spécificités locales peuvent également exister. Parfois, les outils sont centralisés pour la sécurisation des données ; cela est parfois difficile à concilier avec des réglementations sur la protection des données personnelles.

Les limites aux exigences du groupe

  • Les exigences locales : la loi locale peut imposer une interdiction sur les échanges d’informations (données personnelles); elle peut imposer que les décisions soient prises par les responsables locaux; elle peut également imposer que les outils soient localisés dans le pays (exemple du système d’information) etc.
  • Le dispositif conformité est local mais l’organisation souvent cascadée de la direction centrale : les structures des équipes, les différents domaines de la conformité, le lien hiérarchique de la fonction, etc. Toutefois, une spécificité locale peut imposer une organisation différente comme la séparation des équipes AML avec une unité distincte qui déclare les déclarations de soupçon (DS).
  • Les exigences réglementaires du central : les régulateurs peuvent être plus conservateurs. Par Exemple, la réglementation EU impose la collecte d’un certain nombre d’informations notamment s’agissant des PPE, l’origine du patrimoine et l’origine des fonds impliqués dans la relation d’affaire. Pour les entités qui ne sont pas dans l’UE, ceci n’est pas toujours requis. Toutes ces contraintes peuvent interférer dans la maitrise du risque global au niveau groupe.
  • Le risque spécifique local peut être lié à l’environnement géopolitique, à la culture, etc. par exemple l’usage fréquent du cash (normal dans certains pays) peut rendre difficile l’identification des transactions suspicieuses.

 

 

En conclusion, on peut noter certaines difficultés depuis le contexte de la pandémie du COVID.

L’absence de déplacements a impacté la connaissance du terrain : le contrôle se fait à distance, les formations également.

Conséquence, responsabilisation accrue des équipes locales mais renforcement de la supervision à distance et renforcement de la formation.

Une adaptation rapide avec tous les changements environnements et contextuels est nécessaire pour assurer le même niveau de supervision avec des moyens différents.

 

Auteur

Nathalie Sabek​​

Experte Conformité – Chargé de projet « Compliance transformation and Training » chez Arval Groupe – Intervenante pour le Certification Responsable Conformité / Compliance Officer

 

Sources :

Cas pratiques de blanchiment : l’évolution incessante des modèles

Cas pratiques de blanchiment : l’évolution incessante des modèles

Temps de lecture estimé : 7 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

En perpétuelle évolution, les techniques de blanchiment s’adaptent sans cesse à leur environnement. Tour d’horizon de ces nouveaux modèles par secteur et cas pratiques.

 

Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, le blanchiment d’argent ne cesse de croître à l’international.

Les techniques de blanchiment sont multiples et particulièrement évolutives. Elles s’adaptent à leur environnement, à l’économie et aux nouvelles technologies et présentent malheureusement une grande richesse créative.

Les activités de LCB-FT (Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme) doivent ainsi faire face à de nouvelles techniques de blanchiment, savoir les détecter et les contrer. Les processus de gestion du risque de LCB-FT doivent donc être eux aussi en permanente évolution.

Quelles sont les techniques de blanchiment « montantes » depuis plusieurs années ? Tour d’horizon en France et à l’international.

 

SOMMAIRE

  • Blanchiment par les mules financières ou Money Mule Network
  • Blanchiment par l’immobilier
  • Blanchiment par arnaques aux faux présidents
  • Blanchiment d’argent et assurance

 

Blanchiment par les mules financières ou Money Mule Network

 

Les mules financières sévissent un peu partout dans le monde. Les mules sont des personnes qui prêtent leurs comptes bancaires à des criminels.

En Tunisie, la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF) cite un cas de mule dans son rapport annuel de 2021. La déclaration de soupçon concernant X, une femme ayant la triple nationalité, tunisienne, suisse et britannique, et son époux Y un anglo-libanais, tous deux vivant dans un des quartiers privilégiés.

  • X et Y ont chacun créé entre 2014 et 2018 des sociétés de services ayant un capital social à hauteur de 1 £ (voire 100 £ soit environ 380 dinars).
  • Les deux intéressés ont ouvert plusieurs comptes bancaires en dinar tunisien et en devise dans une banque tunisienne.

 La coopération internationale avec l’homologue étranger de la CTAF, ainsi que les recherches sur les sources ouvertes, ont permis d’obtenir les informations suivantes :

  • X et Y font partie d’un réseau international spécialisé dans le crime organisé qui attire des étrangers pour les inciter à créer des sociétés ou ouvrir des comptes bancaires. Ces comptes sont des « Mule Accounts » par lesquels transitent des fonds résultant de fraude et de corruption. X et Y ont épuisé les trois étapes du blanchiment d’argent en se servant de la place bancaire et financière tunisienne.
  • X est accusée d’être impliquée dans une opération de fraude de multi-millions de livres sterlings, et ce en ayant escroqué des personnes physiques et morales à travers des services fictifs offerts.

En conclusion, la CTAF indique que l’argent transféré en Tunisie résulte d’opérations d’escroquerie, de fraude et de corruption.

Au vu des indices de soupçons collectés, la CTAF a gelé les fonds en rapport avec ces déclarations de soupçons (DS) et a transmis le dossier au Procureur de la République. Une enquête judiciaire a été ouverte.

En Belgique, 1 jeune sur 10 est sollicité pour devenir une mule via les réseaux sociaux comme Facebook, whatpps, Instagram ou TIK TOK.  Une mule financière met son identité à disposition des criminels aux blanchisseurs de capitaux. Une mule peut être tenue responsable du blanchiment d’argent. Elle risque non seulement de lourdes amendes et une peine de prison.

Si les faits sont avérés, la mule financière peut être poursuivie pour blanchiment d’argent. Elle risque une amende de 375 000 € et une peine de 5 ans de prison. Son compte bancaire peut être annulé. Les mules financières peuvent être repérées grâce au contrôle des paiements entrants. 

 

 

Blanchiment par l’immobilier

 

Le secteur de l’immobilier est un bon placement pour le blanchisseur. Il procure à l’acquéreur des revenus qui s’inscrivent dans la légalité.

Il existe différents procédés. L’un des plus courant est l’achat de biens à un prix inférieur, une partie étant payée en dessous-de-table. Le bien immobilier peut être revendu au prix du marché par la suite. Les opérations d’achat-revente de biens immobiliers permettent d’effacer la provenance des fonds.

Le blanchisseur peut acheter, par exemple, une maison d’une valeur de deux millions d’euros pour seulement un million et transmettre en secret au vendeur le reste de l’argent qu’il lui doit. Après une certaine période de détention du bien immobilier, le blanchisseur la vend à son prix réel, soit deux millions d’euros.

L’opération peut devenir plus complexe pour brouiller les pistes : transfert d’argent dans un paradis fiscal, ouverture d’un contrat d’assurance-vie…

Des villes sont notoirement connues pour être complaisantes avec le blanchiment d’argent lié à l’immobilier. Londres est ainsi surnommée « Londongrad ». Cette appellation fait référence à l’afflux d’argent de l’Est pendant plus de deux décennies pour acquérir des biens immobiliers dans les quartiers les plus recherchés de la capitale. Ces mêmes personnes créaient des sociétés et collectaient des fonds à Londres.

Mais un tournant en 2017 est atteint avec l’introduction « des ordonnances sur la richesse inexpliquée » entraînant saisie forcé et gel d’actifs dans toute la capitale. Avec l’invasion de l’Ukraine, le Londongrad vacille. Aujourd’hui le marché Londonien reste moins réglementé que la City de Londres et doit se plier pleinement au régime de sanctions britannique.

Les agents immobiliers sont sensibilisés et en première ligne contre le crime organisé, le blanchiment d’argent et le non-respect des sanctions. A ce titre, ils font partie des « gatekeepers » sensibles en matière de LCB-FT. Malgré l’entrée en vigueur du registre des entités étrangères en 2022, il est encore difficile de savoir qui possède réellement les propriétés britanniques achetées par des sociétés étrangères. Un rapport de BBC News et Transparency International a révélé que près de 50 % des entreprises n’ont pas déclaré qui était le véritable propriétaire.

 

Blanchiment par arnaques aux faux présidents

 

Les arnaques « aux faux président » sont de plus en plus courantes.

Récemment la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) a interpellé différentes personnes dans une affaire dont le préjudice est de 38 millions d’euros. Les investigations ont été menées au Portugal, à Israël et en Croatie pour mener à des interpellations à Paris au mois de janvier dernier avec le concours d’Interpol.

Les procédés utilisés sont :

  • l’usurpation d’identité et des adresses mails,
  • la substitution d’IBAN (International Bank Account Number),
  • la connaissance de l’agenda du patron, des noms des personnes et de leurs fonctions.

Ce réseau a utilisé le blanchiment de l’escroquerie visant à transformer l’origine des sommes obtenues de façon illégale.

Le mode opératoire est le suivant :

Le comptable d’un promoteur immobilier dont le siège est à Paris reçoit l’appel d’un escroc qui se fait passer pour un avocat. Il prétend être mandaté pour une opération confidentielle de rachat de sociétés avec l’accord du président de la société. Puis, le comptable reçoit un e-mail usurpant l’identité du PDG (Président Directeur Général) lui confirmant que l’opération est réalisée à sa demande. En quelques semaines plus de 40 virements sont effectués pour un montant record de 38 millions d’euros.

Au même moment en Haute Marne, une entreprise est victime du même type d’ arnaque au président d’un montant de 300.000 euros.

En faisant le rapprochement entre les deux affaires, les enquêteurs parviennent à remonter les fonds avec l’aide d’Europol. L’argent transite sur différents comptes bancaires ouverts sous de fausses identités ou des sociétés fictives au Portugal, en Espagne, en Hongrie et en Croatie.

Les individus arrêtés en France sont des « mules ». Ils sont chargés d’ouvrir des comptes dans différents pays européens. Les personnes identifiées sont dans une grande précarité financière.

 

Blanchiment d’argent et assurance

 

Le secteur de l’assurance peut être utilisé dans la phase d’empilage :

  • Selon les pays, certains produits de société d’assurance peuvent être acquis en espèce, comme les bons de capitalisation ou les contrats d’assurance vie. Il suffit de les payer en liquide, puis de dénoncer le contrat le mois suivant. La compagnie d’assurance rembourse alors par chèque. Il ne reste plus qu’à déposer ce chèque émanant d’une compagnie d’assurance à la banque. D’éventuelles complicités au sein de la société d’assurance facilitent ce genre d’opérations.

Parfois, le bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie est inconnu : c’est une clause testamentaire déposée chez un notaire donc soumis à secret professionnel qui contient son identité.

  • Placer de l’argent dans une police d’assurance, c’est réussir l’empilage, phase ultime du processus de blanchiment. Un capital provenant d’une compagnie d’assurance supposé « propre », n’attire ni la vigilance ni l’attention des institutions financières qui en reçoivent paiement.

Cette opération d’empilage peut être facilitée dans certains pays à la législation permissive par l’absence d’éthique de personnels corruptibles et de courtiers privilégiant leurs commissions.

En France, longtemps le thème du blanchiment reste un sujet délicat, voire tabou pour les assureurs.

La loi de finances pour 2000 a limité le montant des paiements en espèces pouvant être acceptés par les assureurs à 1.000 €. Rare sont aujourd’hui les assureurs qui acceptent les souscriptions en espèces en France mais la vigilance demeure notamment pour les compagnies filiales de banques.

Dans ce cas, la déclaration de soupçon relève le plus souvent de la responsabilité du correspondant Tracfin de la banque, mais pas de celle de la compagnie d’assurances.

Cette explication a longtemps été avancée pour justifier le faible nombre de déclarations de soupçon transmis à Tracfin par les assureurs, or les chiffres démontrent le contraire.

Dans le secteur de l’assurance un certain nombre de méthode de blanchiment ont été repérées, les plus répandue sont :

  • en assurance de personne : la souscription et rachat précoce ou le dénouement au profit d’un tiers, le blanchiment par la souscription d’un bon de capitalisation
  • en assurance de dommage : l’opération est très souvent doublée d’une escroquerie à l’assurance.

Internet, phishing et mules dans le secteur des assurances :

En 2022, plusieurs compagnies (MAIF, Generali, Allianz et Swiss Life) ont été victime de « phishing » sur internet et ont gagné gain de cause dans une affaire qui remonte à 2017. Des mails frauduleux sont envoyés aux assurés pour les inviter à changer leurs identifiants. Les criminels en profitent pour accéder aux comptes en lige. Puis ils changent l’IBAN bénéficiaire et font des arbitrages en leur faveur.

Des mules sont ensuite recrutées pour faire transiter l’argent. Ils acceptent de recevoir l’argent détourné sur leurs propres comptes contre rémunération.

 

Ce dernier exemple montre que différentes techniques peuvent être accumulées pour finir par servir des criminels dans de vastes opérations de blanchiment d’argent. Si les processus de blanchiment sont toujours les mêmes, les techniques sont sans cesse renouvelées dans un contexte virtuel et numérique, constituant de réels défis en matière de lutte anti-blanchiment.

 

Auteur

Rachida Bodinier ​​

Expert Conformité – Fondateur de Horasis Data Compliance – Concepteur pour le Cycle Expert Métiers Conformité de l’ESBanque

Gatekeepers : avocat, comptables, notaires, quel rôle dans la connaissance client ?

Gatekeepers : avocat, comptables, notaires, quel rôle dans la connaissance client ?

Temps de lecture estimé : 11 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Les gatekeepers deviennent les acteurs clés de la lutte contre le blanchiment de capitaux. Qui sont-ils ? Quels sont leurs rôles et obligations règlementaires ?

La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme prend place plus que jamais sur tous les fronts, gouvernementaux avec notamment le Groupe Egmont ou encore le Comité de Bâle, bancaire avec le Groupe Wolfsberg ou international avec le GAFI.

Au quotidien, cette action repose en grande partie sur les institutions financières et intermédiaires financiers assujettis. Cette lutte passe par la connaissance client en collectant, analysant et contrôlant les informations fournies par les clients aux institutions financières (processus KYC, Know Your Costumer) mais son champ d’application s’est étendu en intégrant les recommandations et orientations du GAFI. Le rapport de 2013 du GAFI souligne notamment le rôle central des « gatekeepers », gardiens du système financier en termes de LCB-FT.

Il n’y a pas de définition instituée de la notion de « gatekeeper », mais le GAFI la définit brièvement comme une personne ou entreprise non-financière et toutes professions qui peuvent recevoir la confiance d’une tierce personne. Ceci inclut les avocats, notaires, agents immobiliers, fiducies, casinos, comptables et autres professions indépendantes.

Les récents scandales et fuites de données massives relatives à des montages financiers très complexes pouvant mener à de l’évasion fiscale, corruption et blanchiment de capitaux montrent le rôle central que jouent les gatekeepers dans ce combat. Ces professions, par leur expertise, sont en effet au premier rang de la provenance et de la destination de fonds mais aussi de l’identification des bénéficiaires effectifs de personnes morales.

Gatekeepers et obligations LCB-FT

 

Les gatekeepers ont naturellement une position centrale dans les processus de lutte contre le blanchiment des capitaux et par conséquent des obligations règlementaires spécifiques.

 

Rôle des gatekeepers dans la LCB-FT

Le blanchiment d’argent suit un processus en trois étapes :

  • Le placement: introduction de l’argent provenant de crime dans le système financier d’un pays
  • L’empilage: consistant à cacher l’origine des fonds en multipliant les opérations bancaires et financières ou en ayant recours à des montages financiers complexes
  • L’intégration: investissement de l’argent d’origine frauduleuse dans des circuits légaux

Source : Gatekeepers’ roles as a fundamental key in money laundering – Paku Utama ,Indonesia Law Review – May August 2016

 

Les gatekeepers se trouvent généralement à une étape clé et sensible du processus de blanchiment : le placement.

C’est notamment par ces intermédiaires que peut transiter l’argent d’origine illicite pour être intégrée au système financier classique et par conséquent que le processus de blanchiment peut commencer. En pratique, toutes les transactions à but de blanchiment ne suivent pas toujours les trois étapes. De par leur connaissance et expertise du système financier, les fraudeurs et leurs intermédiaires peuvent combiner certaines étapes.

 

Les gatekeepers, à l’entrée des systèmes financiers, peuvent donc être vulnérables et approchés par les criminels voulant blanchir des capitaux. Ayant des connaissances accrues des systèmes financiers, des divers régimes fiscaux et des réglementations offshore souvent non-équivalentes, les gatekeepers sont sollicités pour :

  • Créer et gérer des contrats légaux souvent complexes comme les trusts dans le droit anglo-saxon (fiducie) ou encore des fondations qui peuvent être utilisés pour cacher l’origine des fonds et les bénéficiaires effectifs
  • Acheter ou vendre des biens immobiliers: le transfert de propriété est une technique utilisée par les blanchisseurs afin d’intégrer des fonds d’origine illégale dans le système financier
  • Servir de tiers introducteur auprès d’institutions financières régulées dans des pays équivalent
  • Fournir des conseils fiscaux pour optimiser les charges fiscales ou placer des titres en cachant le détenteur final de ces derniers.

 

Les gatekeepers jouent donc un rôle essentiel pour le système financier dans la connaissance clients.  Ils sont en première ligne de la détection des opérations de blanchiment de capitaux et ne doivent pas céder à des actions de corruption visant à utiliser leur expertise pour crédibiliser et cacher ces actions criminelles.

 

Gatekeepers et obligations réglementaires LCB-FT

Le blanchiment de capitaux est défini pénalement comme un délit qui consiste à masquer, par tout moyen, l’origine des biens et/ou revenus issus d’un crime ou d’un délit. Est aussi considéré comme blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation de l’origine ou la conversion de fonds d’origine illicite.

Les institutions financières classiques comme les banques, mais aussi les notaires, avocats ou encore comptables, sont des professions considérées comme « gatekeeper », c’est à dire celui qui garde la porte d’entrée au système financier.

 

A ce jour, le dispositif mis en place dans le monde économique et financier repose sur une évaluation des risques LCB-FT par les professionnels propres à chaque activité, et ceci pour tout type de clients et opérations effectuées.  Ces professionnels doivent mener les diligences adaptées aux types de risques engendrés par la situation et y consacrer les ressources nécessaires.

À minima, des procédures de contrôles et de gouvernance simples doivent être mises en place (vérification de l’identité du client et du bénéficiaire effectif). Il relève de la responsabilité des « gatekeepers » d’effectuer cette évaluation du risque et de mettre en place les processus adaptés au risque de blanchiment rencontré.

 

Les obligations réglementaires ont progressivement été renforcées par les différents textes de loi transposant les directives européennes anti-blanchiment mais aussi avec l’aide du GAFI dont les recommandations font office de véritables références sur le marché.

Ces textes affirment et précisent notamment les obligations des « gatekeepers ». Ces professions sont ainsi soumises aux obligations :

  • de vigilance et de déclaration de soupçon
  • de mise en place des systèmes d’évaluation et de gestion des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme,
  • de diffusion de procédures et d’informations régulières à l’ensemble des employés afin de les sensibiliser et les former à ces risques.

 

Ces obligations se traduisent de manière pratique par l’identification des clients, de l’objet de la relation d’affaires et la nature de cette dernière. Tout processus d’identification du client doit être adapté au niveau de risque LCB-FT évalué lors de l’évaluation des risques préalablement effectuée sur le client, afin d’adapter le niveau de vérification nécessaire.

Pour éviter toute opacité, les « gatekeepers » ne peuvent plus opposer le secret professionnel pour se soustraire à leurs obligations, notamment réglementaires, en termes de déclaration de soupçon.

En incluant ces professions au spectre réglementaire de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les régulateurs ont pour objectif d’optimiser la connaissance client afin de contrecarrer les montages de blanchiment des criminels.

 

Gatekeepers et connaissance client : un rôle clé dans la première ligne de défense LCB-FT

 

Le terme de KYC (Know Your Customer ou Connaissance client), maintenant familier des professions financières, englobe à la fois les obligations réglementaires imposées aux assujettis autour de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ainsi que tous les processus associés découlant de ces obligations.

Ce processus de connaissance client vise à vérifier le profil des clients (personne morale et personnes physiques) avant d’entrer en relation d’affaire mais aussi tout au long de cette dernière. Cette connaissance client permet de monitorer l’adéquation des opérations effectuées par le client avec son objectif et la nature de la relation d’affaire.

 

L’enjeu principal est la lutte contre la criminalité financière (blanchiment, financement du terrorisme, fraude financière, évasion fiscale…).

Les derniers scandales financiers et fuites de données massives relatifs au blanchiment (Panamas Papers, Pandora Papers, Danske Bank …) soulignent l’importance de la connaissance client. Cette obligation est devenue l’une des priorités des régulateurs à l’échelle européenne.  Leur action s’est traduite par le durcissement des réglementations et des obligations s’appliquant aux personnes assujettis. De manière justifiée, les régulateurs font de la connaissance client (KYC) une pierre angulaire de la lutte contre le blanchiment de capitaux.

Le KYC, va bien au-delà de la simple application de la réglementation, c’est aussi un point clé de la relation d’affaire avec le client.

Une connaissance client maitrisée permet non seulement de se conformer aux obligations réglementaires mais permet aussi d’optimiser l’approche commerciale afin de proposer des produits adaptés au profil client.

 

Les « gatekeepers », souvent sollicités pour des opérations plus complexes pouvant présenter un risque accru de fraude ou de blanchiment, sont d’autant plus concernés par la connaissance client. L’expertise de ces professionnels est recherchée par les criminels dans l’objectif de dissimuler l’origine des fonds en leur possession. Leurs compétences permettent en effet de créer des montages et structures financières complexes, impliquant souvent des juridictions à haut risque de blanchiment et fraude, où les institutions financières sont peu regardantes et les régulateurs peu actifs en termes de contrôle et de sanctions.

Il appartient donc à chaque entité assujettie de définir leur propre évaluation des risques LCB-FT, en tenant en compte de différents facteurs (géographie, produits et services proposés, canal de distribution… ) et de définir leur process internes afin d’appliquer le niveau de vigilance adaptés à la situation.

 

Mais alors comment mettre en place une connaissance client efficiente dans la lutte contre le blanchiment de capitaux ?

Une bonne connaissance client passe avant tout par une collecte de document afférent aux clients afin de pouvoir établir un lien entre les fonds du client, sa situation personnelle et professionnelle et ses objectifs relatifs à la relation d’affaire.

Tous les documents recueillis doivent être analysés par les professionnels des établissements assujettis afin de vérifier leur véracité et lien avec la situation établie par le client.

Une fois le profil du client établi et sa situation patrimoniale vérifiée, les opérations pourront être effectuées en adéquation avec les objectifs d’investissement originairement établis.

 

Une bonne connaissance client passe par l’établissement et le respect de procédures et de règles de gouvernance. Les établissements assujettis ont la responsabilité de mettre en place le cadre de connaissance client et la vérification des dossiers clients, au minima par un contrôle dit des quatre yeux.

Cette transparence entre le client et l’établissement assujetti permet une meilleure compréhension des opérations et activités réalisées et un meilleur conseil et orientation de la part des professionnels.

Avec leurs connaissances extrêmement pointues sur des sujets sensibles de blanchiment de capitaux, tels que les différents systèmes fiscaux à travers le monde, et leur pouvoir de certification de documents des clients potentiellement dans des pays à haut risques, les « gatekeepers » se trouvent être une porte d’entrée privilégiée des criminels.

 

Ce processus de KYC, obligation réglementaire et véritable pierre angulaire de la LCB-FT, est à la base de toute déclaration de soupçon et demande de justification d’opérations effectuées par les divers clients. Sans connaissance client, il est impossible de déclarer aux autorités compétentes et de documenter toute situation potentiellement à haut risque, comportement anormal ou tout soupçon aussi bien en raison d’incohérence dans le dossier client ou d’opération sans objectif économique clair et justifié. Sans connaissance client et sans recherche et transparence de la part des « gatekeepers », la lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme se trouve dans l’impasse.

 

Avec le renforcement des textes réglementaires, les contrôles toujours plus pointus des régulateurs et l’application stricte au quotidien des obligations, on observe depuis plusieurs années, selon les rapports de TRACFIN, une conséquente augmentation des déclarations de soupçon par les « gatekeepers ». Ces derniers sont une source croissante de déclarations auprès des autorités compétentes. Ceci s’explique par leur niveau d’exposition au risque de blanchiment.

Néanmoins, les gatekeepers font souvent parti de petite entreprises et leurs moyens consacrés à la lutte anti-blanchiment sont parfois limités en terme humain, de budget et d’outils de détection.

 

Depuis plusieurs années, les secteurs se dotent de moyens de plus en plus importants et automatisés afin d’appréhender au mieux le risques de LCB-FT. Par exemple, le Conseil Supérieur du Notariat (CSN) a ouvert un accès à une base de données afin d’identifier les personnes politiquement exposées (PEP) ou biens les individus dont la notoriété est à prendre en compte lors de l’évaluation des risques client. De nombreux outils d’information et séances de formation sont aussi développés sur le marché afin d’augmenter la sensibilité des collaborateurs exposés et de détecter les « negative news » concernant les clients. Ces efforts traduisent la prise de conscience réelle de ces professions sur les enjeux de blanchiment.

 

La transparence avec les régulateurs compétents mais aussi entre les régulateurs régionaux reste néanmoins insuffisante. En effet, le dernier bilan de TRACFIN montre que 53% des déclarations de soupçon lui étant remontées ne comportent pas de pièce justificative, ce qui oblige le régulateur à actionner son droit de communication afin de recueillir les informations nécessaires. Par ailleurs, une partie non négligeable des déclarations de soupçon effectuées repose sur des critères et analyses fragiles ne constituant pas de faisceaux d’indices clairs.

Enfin, la création prochaine d’une autorité compétente en termes de LCB-FT à l’échelle européenne, va permettre d’améliorer la coordination entre les régulateurs européens et donner des orientations claires et harmonisées aux pays de l’union européenne.

 

Gatekeepers : forces et faiblesses dans la lutte contre le blanchiment de capitaux

 

Exposés par leurs compétences spécifiques sur des montages complexes, mais aussi du fait de leur parfaite connaissance de réglementations offshore, les « gatekeepers » peuvent faire face à des risques intrinsèques.

Ces vulnérabilités sont liées aux services qu’ils fournissent, à leur expertise dans le domaine juridique et fiscal, à la nature des relations d’affaires entretenues avec les clients et au grand secret professionnel régnant encore dans le secteur.

Les compétences de certains professionnels, notamment les avocats, peuvent être exploitées à des fins de blanchiment et/ou fraude fiscale. Ils peuvent être sollicités pour la mise en place de montages complexes, tels que les empilements de personnes morales « écrans ». La création de ces multiples entités permet d’ouvrir des comptes bancaires dans des pays différents afin de rendre l’origine des fonds très opaque ou de cacher le bénéficiaire effectif des fonds. Selon l’Analyse Nationale des Risques (ANR) réalisée en France, les vulnérabilités propres à la profession d’avocat restent élevées en ce qui concerne le blanchiment de capitaux.

 

Le secteur de l’immobilier est lui aussi au cœur du sujet du blanchiment. Ce phénomène, déjà connu depuis plusieurs années, a été remis en lumière récemment avec la crise Ukrainienne. Comme cela a été souligné́ dans la dernière évaluation de la France par le GAFI, les investissements immobiliers sont une stratégie prisée d’intégration de fonds d’origine illicite.

Les « gatekeepers » et autres entités assujetties sont dans l’obligation de se conformer aux différentes réglementations en vigueur dans leur juridiction, notamment lors de la mise en place de structures juridiques complexes pouvant cacher des fonds d’origines illicites ou des personnes sous sanctions. Le risque est alors extrêmement élevé, puisque ces professions peuvent se transformer en « facilitateur » dans des schémas de corruption ou blanchiment de capitaux. Malgré leurs obligations, les « gatekeepers » sont néanmoins moins régulés que les institutions financières et soumis à moins d’obligations réglementaires selon le GAFI. Ces obligations de transparence envers le régulateur sont en effet en contradiction avec le secret professionnel et la confidentialité qui régissent souvent ces professions.

 

Afin d’aider ces « gatekeepers », dont le rôle est clé dans la LCB-FT,  le GAFI met à disposition une liste de red flags permettant aux entités assujettis de détecter certains comportements suspicieux et tout autre comportement anormal ou suspicieux. Parmi les situations identifiées devant attirer l’attention des gatekeepers, on peut citer :

  • la recherche d’une confidentialité absolue par le client, son souhait d’éviter toute rencontre en passant par un intermédiaire, son refus de fournir certains document requis pour passer des transactions, le fait que le client soit une personne politiquement exposée, ou ait déjà été jugé coupable de crime ou connu pour avoir des liens avec des criminels ou encore curieux sur les processus de contrôle …
  • des parties prenantes résidents dans un pays à haut risque LCB-FT, n’ayant pas de raison économique, répétant des transactions non justifiées sur une courte période ou tentant de dissimuler le nom des bénéficiaires effectifs
  • concernant la source des fonds : une récente augmentation de capital pour une nouvelle entité, un collatéral localisé dans des pays à haut risque LCB-FT, des transactions de montants n’ayant aucun lien avec le bien exporté/importé, des fonds fournis selon une méthode de paiement inhabituelle …

 

En tant que professions exposées au risque de blanchiment de capitaux, les gatekeepers sont au centre des recommandations du GAFI et des réglementations locales, afin de mettre en place un cadre procédural et de contrôle efficace.

Les pays et gouvernements du monde entier ont ajouté de nouvelles responsabilités incombant à certains professionnels comme les avocats, les comptables/commissaires aux comptes, les auditeurs et autres intermédiaires financiers qui ont le pouvoir de bloquer ou faciliter l’entrée d’argent issue de crime dans le système financier. Dans l’Union Européenne, les 40 recommandations du GAFI sont déjà intégrées à la règlementation et couvrent ainsi les avocats, juristes et autres gatekeepers.

 

Les responsabilités de ces professionnels, gatekeepers, inclues l’identification et la connaissance clients, l’établissement de due diligence selon le niveau de risque du client établi lors du « client risk assessment », la conservation des documents clients et la déclaration de toute activité suspicieuse aux autorités compétentes.

Certaines de ces règles interdisent la divulgation aux clients ou tiers parties engagées dans la relation client de toute information relative à une analyse approfondie et/ou déclaration relative à ces derniers. Des sanctions financières, pénales ou encore administratives peuvent être engagées à cet égard contre les gatekeepers, qui deviennent ainsi des acteurs clés de la première ligne de défense contre le risque de LCB-FT.

 

Auteur
Jules CHARTIER​

Assistant Vice-Président Sécurité Financière , Diplômé du Cycle Expert Conformité de l’ESBanque

Blanchiment d’argent : définition, dimension et principales techniques

Blanchiment d’argent : définition, dimension et principales techniques

Temps de lecture estimé : 12 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Le blanchiment d’argent est un phénomène international malheureusement croissant. Quels en sont l’importance, les principes et les techniques les plus utilisées ?

 

Si l’argent n’a pas d’odeur pour les criminels, pour les spécialistes du blanchiment il peut avoir différentes couleurs. L’argent blanc peut devenir noir, sale ou gris. Il existe en réalité autant de nuances au tableau que de situations en fonction du degré de gravité dans la logique criminelle.

Le terme de « blanchiment d’argent » aurait pour origine les blanchisseries utilisées par Al Capone dans le Chicago mafieux des années 30. Différentes techniques de blanchiment étaient en effet utilisées dans les « Sanitary Clearing Shops ». Il s’agit déjà à ce moment-là de donner un visage légal aux nombreuses activités illicites. Les bases techniques du blanchiment naissent à ce moment-là.

L’art de la dissimulation de l’origine illicite est couplé au placement dans des établissements assimilés à des paradis fiscaux. Mais c’est la réglementation qui donne un sens juridique et normé au « blanchiment d’argent ». C’est à partir de 1980 que les premiers textes anti-blanchiment sont apparus et que le contrôle d’identité aux guichets des banques, lors de l’ouverture d’un compte a été institué.

Pour le GAFI, organisme international spécialisé dans la lutte contre le blanchiment, « le blanchiment de capitaux consiste à retraiter des produits d’origine criminelle pour en masquer l’origine illégale ». Quelles sont les méthodes de blanchiment d’argent ?

Nous aborderons dans ce premier article la dimension géopolitique et internationale du blanchiment d’argent, sa définition et ses principales techniques.

Ces dernières connaissent d’importantes évolutions et mutations, jusqu’à constituer de nouveaux modèles de blanchiment, que nous étudierons dans un deuxième article.

SOMMAIRE

  • Techniques de blanchiment : définition, facteurs criminologiques et approche géographique
  • Blanchiment d’argent : méthodes et techniques

 

Techniques de blanchiment : définition, facteurs criminologiques et approche géographique

 

Le blanchiment d’argent comporte un caractère géopolitique et une dimension internationale.

 

Le blanchiment d’argent dans l’économie mondiale: géopolitique du crime organisé

 

Le blanchiment d’argent est souvent présenté comme une maladie endémique de notre monde interconnecté dans une économie mondiale globalisée. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), le volume du blanchiment des capitaux dans le monde se situe dans une fourchette entre 2 % et 5 % du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial. Ce qui représente plus de deux fois le budget de la France (233 Mds euro). 

Selon le Groupe d’action financière (GAFI), le montant des intérêts résultant du placement des capitaux de la drogue depuis dix ans s’élèverait à plus de 600 Mds €. La richesse dégagée par les mafias avoisinerait 2000 Mds de dollars par an (ONU, FMI, GAFI). Les mafias sont devenues de véritables multinationales. Pour l’ONU, les activités illicites représentent plusieurs milliers de milliards de dollars chaque année.

Le trafic de stupéfiants serait à l’origine de près de la moitié du chiffre d’affaires total du crime dans le monde. Il est suivi de très près par le trafic d’armes, le trafic d’êtres humains, l’esclavage, la prostitution. Le trafic humain prend de plus en plus d’ampleur juste derrière celui du trafic de stupéfiant. Il est intéressant de noter qu’Eurostat exige que l’argent de la prostitution et de la drogue soit intégré dans le PIB officiel de chaque pays de l’UE depuis 2014.

Le blanchiment d’argent est sanctionné par la loi, c’est un délit.  C’est un processus qui réinjecte dans l’économie légale des produits d’infractions pénales en leur donnant une apparence légitime.

L’article 324.1 du code pénal en donne la définition suivante : « « Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. », « Constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit. »

Les sanctions sont définies aux articles 324.1 et 324.2 du même code : le blanchiment avéré est punissable de 5 ans de prison et peut être accompagné d’une amende allant jusqu’à 375.000 euros. Cela concerne les personnes morales comme les personnes physiques. Si le blanchiment est aggravé, les peines peuvent être doublées.

Les activités illicites, frauduleuses sont sources d’argent « sale ». On distingue différentes échelles de gravité selon l’implication criminelle et ses conséquences. On parle ainsi :

  • d’argent noir, c’est l’argent criminel provenant des crimes de sang, des trafics les plus grave. Il est malheureusement solidement ancré dans les économies et les rouages financiers dans le monde. Il représente jusqu’à 8 à 9 % du PIB mondial.
  • d’argent gris faisant référence aux moyens d’augmentation du capital par des moyens illégaux, il relève de la dissimulation. Pour certain, c’est la partie cachée de l’iceberg de l’argent sale. Il y a peu de pays qui sont épargnés par l’argent gris. Il représente un pourcentage du PIB mondial équivalent à celui de l’argent noir. Il s’agit de la fraude fiscale, détournement de marchés publics, les délits d’initiés, les abus de biens sociaux …

On peut distinguer différents facteurs criminogènes dans les logiques de blanchiment d’argent :

  • Les paradis fiscaux
  • Le secret financier
  • La criminalité organisée
  • La corruption
  • Le système informel avec les transmetteurs de fonds (hawala, hundi …)
  • Les acteurs légaux pervertis : les banquiers, chefs d’entreprises, policiers qui basculent dans l’illégalité

 

Blanchiment d’argent et interconnexions internationales

 

Le blanchiment d’argent s’inscrit aujourd’hui dans une dynamique et une dimension transnationale. Il connaît un développement des processus et une diversification de techniques. Elles permettent une plus grande fluidité dans la circulation des capitaux. Selon un processus plus ou moins sophistiqué, les organisations criminelles font circuler les produits du crime dans l’économie informelle, ou mieux, tentent de les intégrer en tout ou partie dans l’économie légale.

Les cartes de la criminalité dans le monde montrent l’argent sale drainé par les mafias, le trafic de drogue. Aucun continent n’est épargné. Il suffit de lire la presse pour découvrir les implications internationales des cas de blanchiment d’argent.      

 

Cas du 24 février 2023 : Canada, blanchiment, sociétés fictives, Hawala vers les Emirats, l’Iran, la Chine

Le 24 février dernier, le chef d’un réseau de recyclage des produits de la criminalité a été démantelé à la suite d’une enquête de la Gendarmerie Royale du Canada. Gramian Nick était à la tête d’une organisation comprenant plusieurs entreprises. Certaines servaient de façades. Des bureaux de change illégaux servaient d’intermédiaires pour blanchir et transférer à travers le monde des centaines de millions de dollars provenant d’activités illicites dont le trafic de stupéfiants.

Il recevait des centaines de millions de dollars à blanchir par des organisations criminelles de l’Ontario et du Québec. De fausses factures sont émises par ses différentes sociétés. Certaines ont inventé des activités à l’aide de fausses factures. Ce qui permet de percevoir des taxes et cacher les transferts de dizaines de millions de dollars dans des comptes enregistrés aux Emirats Arabes Unis, en Iran et en Chine.

Il exploitait le système informel de transfert de fonds d’une région à une autre sans déplacement physique. Ce système de transfert est appelé « hawala ». Les fonds représentent un flux financier atteignant 469 à 538 millions entre 2016 et 2018. La police Canadienne a confisqué des biens pour une valeur de 6 millions. 

Source : Horasis Data Compliance Consulting

Ce système de transferts de fonds permet de ne pas passer par le circuit bancaire. Ce système est né en Asie du Sud Est et s’est répandu dans le monde musulman au huitième siècle. Il permet aux migrants d’envoyer de l’argent aux familles sans passer par un compte bancaire, inaccessible pour certains en raison de son coût.

Cette méthode traditionnelle repose sur la confiance et par la tenue d’un registre des flux entrant et sortant. Pour chaque transaction, une commission est perçue. Un code est donné lors de la transaction pour garantir l’identité. Les dettes dans le système de l’Hawala ne sont pas payées immédiatement. Elles peuvent être réglées en argent, en bien ou en services. Si un Hawaladeur ne règle pas sa dette, il perd son honneur au sein de la communauté.

Certaines enquêtes révèlent qu’ils utilisent des canaux de communication cryptés. Ce système est largement utilisé dans le financement d’activités terroristes. Le criminel confie l’argent à un hawaladeur qui transmet un code d’identification à un autre hawaladeur dans un autre pays. A l’aide du code, un complice dans ce pays peut récupérer l’argent.

En Inde, près de 50% de l’activité économique repose sur le système hawala de transferts de fonds, même s’il est interdit par la loi.

Des casinos traditionnels aux casinos virtuels :

Les outils de communications via internet jouent un rôle important dans l’intensification du blanchiment d’argent dans le monde. Ils facilitent la communication et la circulation des flux. Mais il est aussi un gage de traçabilité pour les professionnels de la lutte anti-blanchiment.

Un phénomène récent prend de l’ampleur et est à l’image de ce défi technologique dans la lutte anti-blanchiment : c’est le développement des casinos virtuels accessibles en un clic à travers le monde.

Si on regarde une carte des casinos dans le monde, on relève qu’ils irriguent les flux financiers mondiaux. Les casinos permettent de blanchir de petites sommes en les déguisant en gains. La géographie des casinos est liée à celle du tourisme et de la finance. Les jeux d’argent ont un poids économique comparable à celui de l’industrie de l’armement.

Tous les Etats n’ont pas de politique de régulation de cette activité économique. Ils sont interdits dans 86 pays. Ils dessinent des circulations monétaires licites et illicites.

Cette activité est estimée à 1,18 % du PIB mondial, ce qui représente un quart des dépenses mondiales consacrées à l’éducation. Les Etats-Unis arrivent devant la Chine, le Japon, l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne et la France… Parallèlement, on constate la montée en puissance des jeux en ligne qui concurrencent les jeux dans les casinos.

Le réel et le virtuel se conjuguent et représentent des flux financiers colossaux. Les jeux en ligne représentent en 2018 plus de 50 milliards d’euros. Depuis quelques années un nouveau type de paiement se développe dans le cadre des jeux en ligne : le e-monney (electronic money) pouvant être échangé par l’intermédiaire de smart cards d’une personne à l’autre sans avoir à passer par un intermédiaire.      Une entreprise en Irlande a créé un système permettant la vérification d’opérations financières sur internet et des transactions virtuelles.

Il existe de nombreuses techniques de blanchiment liées aux jeux et paris sportifs. Par exemple la pratique du rachat de tickets gagnants, qui consiste à racheter un ticket à un parieur chanceux par exemple afin de justifier la possession de sommes en liquide.

Enfin, il y a une réelle collusion entre les magnats des jeux et la corruption dans le monde politique. La figure de Sheldon Adelson, homme le plus riche et le plus influent dans le monde des jeux d’argent est un bon exemple.

Carte des jeux d’argent et des casinos dans le monde :

Source : Laura Margueritte, Carto n° 66, © Areion/Capri, avec l’aimable autorisation de l’autrice et de la revue, tous droits réservés.

 

Blanchiment d’argent : méthodes et techniques

 

Le blanchiment d’argent passe par un processus connu et peut utiliser de nombreuses techniques.

 

Processus du blanchiment

 

Il existe de nombreuses techniques de blanchiment, 150 sont répertoriées. Le but n’est pas de toutes les aborder mais de décrire le mode de fonctionnement de quelques-unes.

Le blanchiment de l’argent a pour but de donner une apparence parfaitement légale aux capitaux provenant des activités criminelles. Selon un processus plus ou moins sophistiqué, les organisations criminelles font circuler les produits du crime dans l’économie informelle. Une étape cruciale est l’intégration partielle ou intégrale dans l’économie légale.

Traditionnellement le modèle du processus de blanchiment d’argent se compose de trois étapes :

  • le placement, le prélavage ou l’immersion
  • l’empilage, la dispersion, le brossage ou le lavage
  • l’intégration, le recyclage ou l’essorage.

Source : Horasis Data Compliance Consulting

 

Première étape : Le placement, le prélavage ou l’immersion

Le placement ou le prélavage sont les points de départ du processus, c’est l’introduction des capitaux illégaux dans le système financier.

La tendance la plus courante est le fractionnement des espèces pour obtenir des sommes moins importantes, moins suspectes. Ces sommes sont déposées sur un ou plusieurs comptes bancaires. Il peut s’agir aussi d’investissement dans des secteurs qui fonctionnent avec beaucoup de liquidités (casinos, restaurants, hôtels, etc….).  C’est aussi l’acquisition de biens mobiliers ou immobiliers.

Le prélavage est un processus plus complexe qui peut être composé de différentes étapes. C’est ainsi que des sommes importantes peuvent être lavées plus « blanc que blanc » par des opérations financières plus ou moins complexes.      

 

Deuxième étape : Empilage, Dispersion, Brossage ou Lavage

Cette étape doit rendre difficile l’identification des capitaux blanchis par des transactions successives. Dans cette étape l’acquisition d’or ou d’œuvre d’art, par exemple, a pour but de dissimuler l’identité de l’acquéreur et des fonds illicites.

Le blanchisseur procède à une série de conversions ou déplacements des fonds pour les éloigner de leur source. Le « lavage » sert à brouiller les pistes. Il s’agit de multiplier les opérations pour rendre la traçabilité difficile. Les capitaux peuvent être employés dans des placements. Ils peuvent également être dispersés dans différentes banques dans le monde. Le blanchisseur va privilégier les territoires qui n’apportent pas de coopération aux enquêtes anti-blanchiment.      

 

Troisième étape : Intégration, Recyclage ou Essorage

Cette méthode sert à réintroduire les capitaux blanchis dans l’économie. A cette étape, la preuve de l’illégalité est presque impossible à démontrer. Les techniques de blanchiment peuvent revêtir diverses formes comme l’utilisation des sociétés écrans et les prêts adossés. Le blanchisseur peut alors décider de les investir dans l’immobilier, dans les produits financiers, les produits de luxe ou la création d’entreprise. Le « recyclage » est la dernière phase qui intègre les sommes blanchies dans les « circuits propres » de l’économie.

Ces trois étapes sont ici distinctes. Cependant, il peut arriver qu’elles se produisent simultanément. Cela dépend des besoins des organisations criminelles.

 

Zoom sur quelques techniques de blanchiment

 

Les techniques de blanchiment sont multiples. Quelques exemples de techniques fréquentes :

  • Le fractionnement des dépôts bancaires ou « schtroumpfage» :  c’est le dépôt de petites sommes sur différentes comptes bancaires pour ne pas éveiller les soupçons.

 

  • L’achat d’objets de luxe : cette technique consiste à payer de nombreux objets de luxe en argent liquide (voiture, objet d’art, bijoux). Il est possible de revendre à une ou plusieurs boutiques complices. Un dérivé de cette méthode est appelé « la fourmi japonaise ». Cette technique utilise de faux touristes qui, avec une somme moyenne d’argent sale, se rendent dans un pays touristique pour y acheter des produits de luxe qui seront, à leur retour dans leur pays, écoulés dans des boutiques de souvenirs pour personnes fortunées.

 

  • le faux procès: cette technique utilise les systèmes légaux à des fins criminelles. Pour déclencher un faux procès, le blanchisseur doit utiliser deux entreprises situées dans des zones différentes. L’une d’elle réclame des dommages et intérêts pour des montants importants. L’objet réel de l’affaire est l’argent sale à blanchir et non le différend commercial. La société lésée perçoit une indemnité exonérée d’impôts dans de nombreux pays. Le système judiciaire est détourné et utilisé comme machine à laver.

 

  • Les fausses ventes aux enchères: très répandue, cette technique consiste pour un trafiquant à mettre en vente des objets d’art difficilement identifiables. Elle nécessite de trouver un complice qui doit acquérir ces objets avec une somme d’argent liquide assez importante. Elle est ensuite remise par le commissaire – priseur au vendeur. Les sommes d’argent en question sont blanchies.

 

  • Les fausses factures: des sociétés simulent des relations commerciales. La fausse facture va permettre aux blanchisseurs de transformer l’argent liquide en monnaie scripturale tout en justifiant leurs revenus.

 

  • Le faux crédit documentaire : technique de commerce international, le crédit documentaire permet théoriquement à deux partenaires étrangers, qui ne se connaissent pas, d’importer des marchandises. Le partenaire est assuré de la réalité de la cargaison transportée par le connaissement. Il est également rassuré de la réalité du paiement par à un banquier dûment mandaté. Revu et corrigé par les cartels, le mécanisme permet de payer cent fois la valeur des denrées. Par la suite de créditer ainsi le compte d’une société importatrice, qui, bien sûr, leur appartient indirectement. Concrètement, il peut s’agir d’un embarquement fictif de marchandises.

 

  • Le prêt adossé: cette technique classique consiste d’abord à transférer des fonds dans un pays étranger, puis à déposer une demande de crédit auprès d’un établissement bancaire de ce pays. Les fonds sont proposés en garantie. Les fonds prêtés par la banque seront rapatriés ensuite dans le pays d’origine, ce qui permet de conclure le blanchiment. Les montages font intervenir une ou plusieurs sociétés écran titulaires de comptes dans des paradis fiscaux.

 

  • L’endossement de chèque : les chèques endossés ont pour but de modifier le bénéficiaire et utilisent les failles des banques correspondantes. Les criminels utilisent le système bancaire qui permet à une banque étrangère d’encaisser des chèques tirés sur des établissements français via une banque correspondante. Les endossements sont réalisés au profit de banques étrangères de bonne réputation. C’est pourquoi les banques françaises ne les rejettent pas. Il s’agit le plus souvent de petits montants successifs.

 

  • Technique de la classification Jurado : Franklin Jurado a mis au point la technique qui porte son nom dans les années quatre vingt pour le blanchiment des capitaux des fonds du cartel de Cali en Colombie. L’objectif de cette technique est de rendre respectable l’argent de la drogue. La technique consiste à brouiller les pistes. L’argent de la drogue suit la route dite de « la sanctification » : l’argent de la drogue, passe au Etats Unis, puis Panama. L’argent transite par différents comptes dans le monde (Allemagne, Monaco, Luxembourg, Autriche, France …) puis est rapatrié en Colombie au travers de sociétés européennes appartenant au cartel.

 

La criminalité en col blanc, le blanchiment à l’ère numérique

 

Dans les délits dits « en col blanc », nous connaissons l’évasion fiscale, les faux bilans, les délits d’initié. Il nous est plus difficile de repérer le blanchiment sur les marchés financiers.

Les marchés financiers connaissent aussi des techniques de blanchiment quasiment indétectables par les régulateurs, en intervenant par exemple sur plusieurs marchés. Cette technique fait intervenir plusieurs complices et il est difficile de faire le lien entre les différentes opérations.

Certains produits financiers rendent opaque les flux et les opérations financières. C’est le cas de la « ronde des swaps », produit financier très répandu. Après de multiples opérations entre des sociétés, via des comptes souvent ouverts dans des paradis fiscaux, il est difficile de retracer le mécanisme des mouvements financiers.

L’émergence de nouvelles techniques financières alliées au paiement numérique fait apparaître une nouvelle criminalité liée au blanchiment. Dans le domaine des monnaies virtuelles, les risques sont importants notamment liés à l’anonymat des transactions. Dans certaines enquêtes numériques, si les VPN (Virtual Private Network) et proxies sont utilisés pour rendre anonymes et masquer les adresses IP (Internet Protocol), l’analyse des appareils utilisés peut amener à la piste des criminels.

Les méthodes de blanchiment sont sans cesse renouvelées dans un environnement en constante évolution technologique.  Nous verrons dans un prochain article quels nouveaux modèles de blanchiment de capitaux tendent à émerger.

 

Auteur

Rachida Bodinier
Expert Conformité – Fondateur de Horasis Data Compliance – Concepteur pour le Cycle Expert Métiers Conformité de l’ESBanque

 

Sources :

LCB-FT : des risques accrus suite à la pandémie de Covid 19

LCB-FT : des risques accrus suite à la pandémie de Covid 19

Temps de lecture estimé : 10 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Fraude au commerce sanitaire, usurpation d’identité, cybercriminalité, détournement de fonds… Quels sont les nouveaux risques LCB-FT suite à la crise de Covid-19 ?

 

La pandémie Covid-19 apparue au premier trimestre 2020 est un événement inédit. Cette situation exceptionnelle a contraint les gouvernements à mettre en place différentes mesures dont l’objectif principal est de restreindre l’évolution de la pandémie et limiter l’impact sur la situation.

Parallèlement et indépendamment de la volonté gouvernementale, la crise liée à la pandémie a créé les conditions propices au développement des infractions. Les mesures mises en place par les Etats peuvent offrir aux criminels et aux terroristes de nouvelles opportunités de collecte frauduleuse et de blanchiment de fonds dont l’origine est illégale.

Dans ce contexte, le Groupe d’action financière (GAFI – organisme intergouvernemental indépendant), et TRACFIN (service de renseignement français chargé de la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) ont constitué des analyses et des recommandations  qu’ils mettent à la disposition des professionnels.

Quelles situations deviennent les plus propices à la fraude et au blanchiment de capitaux ? Quelles formes revêtent ces opérations ? Le point sur cet accroissement des risques LCB-FT.

les risques lcb-ft liés au commerce de matériels sanitaires

La pandémie a créé un besoin inédit de matériel sanitaire dans le monde entier et les fraudeurs profitent de cette occasion pour réaliser de fausses ventes (masques, matériel sanitaire…). Dans ce contexte, les risques LCB-FT (Lutte Contre le Blanchiment et le Financement du Terrorisme) sont donc accrus.

vente fictive de matériel sanitaire et risques de fraude

Il s’agit de ventes dont les produits ne sont jamais livrés ou lorsque les fournisseurs sont des criminels qui se présentent comme des professionnels du secteur médical.

Les fonds issus de ces ventes fictives avec les acheteurs tels que les hôpitaux, entreprises publiques ou privées sont transférés aux comptes bancaires des fraudeurs à la fin de l’opération.

D’après l’analyse de TRACFIN dans la plupart des cas, les professionnels doivent être vigilants à certains indicateurs d’alertes tels que :

  • les modifications d’objet social depuis le premier trimestre 2020 avec une possibilité de travailler dans le secteur du commerce de matériel sanitaire
  • les documents présentant des éléments incohérents pour justifier l’achat de matériel sanitaire
  • les sites internet présentant les caractéristiques de sites fictifs : fautes d’orthographe …

faux ordres de virement dans le commerce de matériel sanitaire

Ce risque est étroitement lié à l’augmentation des ventes de matériel en raison de la pandémie.

Dans ce cas de figure, les criminels s’immiscent frauduleusement dans les ventes entre les fournisseurs et les clients en communicant de nouvelles coordonnées bancaires via une adresse e-mail ressemblant fortement à celle du vendeur. On observe très peu de différences avec l’adresse électronique véritable (une lettre, un trait…).

TRACFIN attire ainsi l’attention des professionnels sur « le formalisme des commandes et la conformité des coordonnées de messagerie du donneur d’ordre » pour prévenir ce type de risque.

Par ailleurs, l’organisme a également constaté que les fonds frauduleux sont majoritairement transférés sur des comptes en Asie. Autrement dit, les virements destinés aux clients localisés en Asie en lien avec le commerce de matériel sanitaire doivent être considérés comme une alerte pour les professionnels durant cette période.

fraude et escroquerie aux aides contre la pandémie de Covid-19

Les mesures gouvernementales liées à la pandémie consistant à restreindre les déplacements (confinement, restriction de voyages internationaux) ont créé involontairement des nouvelles occasions pour les criminels.

usurpation d’identité de fonctionnaires et risques de fraude aux aides publiques

D’après le rapport du GAFI, des criminels profitent de la pandémie pour contacter des personnes physiques en se présentant comme des salariés de la fonction publique, et en particulier des fonctionnaires du service des impôts.

Ils demandent alors des renseignements bancaires personnels soi-disant nécessaires à l’obtention d’une réduction d’impôt dans le cadre des mesures mis en place par le gouvernement. Aux Etats-Unis, le Département du Trésor alerte ainsi publiquement les particuliers sur ces risques de fraude.

Dans la pandémie actuelle, le GAFI précise qu’ « il est probable que les cas d’usurpation d’identité de fonctionnaires se multiplient à mesure que les gouvernements du monde entier versent des subventions et des crédits d’impôt à leurs ressortissants, attisant la convoitise des criminels qui tentent de tirer parti de ces paiements ».

Par conséquent, il est nécessaire d’informer les clients de leur droit de ne pas communiquer certaines informations et de signaler aux autorités les cas suspects via les portails dédiés, tel celui mis en place par le FBI américain (Internet Crime Complaint Center IC3).

risque de fausse collecte de dons dans la lutte contre la pandémie

Aussi bien le GAFI que TRACFIN soulignent dans leurs rapports l’augmentation de fausses collectes de fonds liée à la pandémie.

Les fraudeurs adoptent différentes stratégies d’hameçonnage (phishing) consistant à obtenir du destinataire d’un courriel qu’il transmette ses coordonnées bancaires ou ses identifiants de connexion à des services financiers. Dans ce cas de figure, ces criminels créent des sites internet frauduleux d’appels aux dons fictifs pour recueillir des fonds. Leur stratégie peut par exemple prendre la forme d’un e-mailing de diffusion d’une campagne de collectes pour la recherche contre le Covid-19, en faveur d’une fausse association. Les cagnottes en ligne avec un appel de collecte de fonds en faveur des pays en difficultés sont également un scénario utilisé par les criminels.

Face à ce nouveau risque, des campagnes de sensibilisation contre le phishing sont déployées afin d’apporter des mesures de protection autonomes aux particuliers. Il est également recommandé aux professionnels d’alerter leurs clients sur ce type de risque potentiel lié à la pandémie. En outre, les cagnottes en ligne créées durant cette période et en lien avec le Covid-19 doivent faire l’objet d’une surveillance renforcée de la part des professionnels.

Source : EULER-HERMES – DFCG – 2021

placements et investissements frauduleux dans des entreprises de traitement potentiel de Covid-19

Dans son rapport, le GAFI souligne qu’il existe « des offres faisant valoir à tort que des produits ou services de sociétés cotées en bourse permettraient de prévenir, de détecter ou de traiter le Covid-19 ». Il s’agit encore de tentatives d’escroquerie dont l’objectif est d’obtenir illégalement des fonds avant de les transférer légalement aux comptes personnels des malfaiteurs.

Face à cette situation, l’agence européenne EUROPOL recommande aux particuliers :

  • d’obtenir des conseils d’investissement de la part des professionnels qualifiés avant de placer leurs fonds.
  • de rejeter la prospection téléphonique (cold call) proposant des opportunités d’investissement alors qu’aucun contact préalable avec le vendeur n’a eu lieu.
  • d’être vigilant sur les offres promettant des investissements sécurisés avec une garantie de rentabilité élevée.
  • de contacter la police en cas de suspicion.

Ces mesures peuvent être intégrées aux campagnes de communication des professionnels dans le but de sensibiliser leurs clients aux risques exposés.

les opérations à distance : risques accrus depuis la crise de covid-19

Dans le cadre de la pandémie, la limitation de déplacement accompagnée des fermetures des commerces non-essentiels a obligé la population à effectuer des opérations à distance, créant de nouvelles conditions favorables pour les malfaiteurs.

vérification de l’identité de la clientèle à distance

Pour les professionnels, connaître son client est fondamental afin de s’assurer que les fonds impliqués ne soient pas liés à la criminalité.

 Du fait de la pandémie, l’accès personnalisé aux services bancaires devient plus difficile et les opérations à distance sont recommandées par les autorités afin de réduire le risque de propagation du virus. Cette situation est un nouveau défi pour les professionnels dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT), aussi bien lors de l’intégration d’un nouveau client que lors d’une transaction.

D’après le GAFI, certaines institutions financières « pourraient ne pas disposer des moyens nécessaires pour vérifier l’identité des clients à distance ». Lorsque les opérations à distance sont basées sur une identification numérique fiable, elles ne sont pas nécessairement à haut risque et peuvent constituer des opérations normales. Par ailleurs, l’organisme encourage l’utilisation des solutions d’identification numérique pour faciliter les opérations pendant la durée de cette pandémie.

utilisation des crypto-monnaies dans des opérations de blanchiment liées au Covid-19

Avec l’évolution des nouvelles technologies, les monnaies virtuelles, telles que le Bitcoin, sont utilisées comme des outils de paiement ou d’investissement par leurs utilisateurs internationaux.  (cf. https://www.economie.gouv.fr/particuliers/cryptomonnaies-cryptoactifs).

Cependant, ces actifs virtuels n’ont pas de statut légal en droit français et leur fonctionnement et leurs caractéristiques, notamment leur caractère anonyme, favorisent le contournement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux ou peuvent participer au financement du terrorisme.

Le rapport du GAFI mentionne ainsi une affaire en lien avec les actifs virtuels et le COVID-19.  D’après les faits exposés, un vendeur du Darknet a été arrêté pour des accusions de distribution illégale de médicaments contre le COVID et de blanchiment d’argent en encaissant ses paiements en Bitcoin.

Ces crypto-monnaies doivent toujours faire l’objet d’une surveillance renforcée de la part des professionnels, surtout en période de pandémie où les transactions en ligne sont plus nombreuses.

la cybercriminalité accrue par la pandémie de Covid-19

Les criminels profitent de l’inquiétude et des communications liées au COVID-19 pour attaquer davantage la population sensibilisée sur leur santé.

attaques d’hameçonnage

D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les pirates profitent de la pandémie pour envoyer des courriels frauduleux et des messages via les réseaux sociaux incitant les destinataires à cliquer sur des liens malveillants, ou à ouvrir des pièces jointes permettant ensuite d’avoir accès au nom d’utilisateur et au mot de passe de la personne.

Il existe également des cas où les criminels se présentent frauduleusement comme l’OMS ou le Fonds de réponse solidaire COVID-19 pour demander le paiement des factures.

Dans ce contexte, l’OMS rappelle qu’elle ne demande jamais des identifiants personnels ou des coordonnées bancaires et encourage les victimes à signaler rapidement les escroqueries sur leur site.

Il est également recommandé aux professionnels de sensibiliser leur clientèle sur ce risque.

attaques de rançongiciel

Selon le GAFI, les cybercriminels profitent des communications liées au COVID-19 pour installer sur les appareils des victimes des applications malveillantes et verrouiller l’accès jusqu’à la réception d’un paiement.

Ces attaques visent en particulier les entités publiques (villes, hôpitaux) dont l’objectif est de réclamer des rançons. Il s’agit dans la majorité des cas d’actions à l’encontre des agents en télétravail à domicile. Ce cadre ne garantit pas la sécurité informatique en raison de connexions sortant du réseau sécurisé de l’entreprise.

Pendant la période de télétravail, il est important de sensibiliser tous les utilisateurs sur la sécurité informatique par des « gestes barrières » indispensables, telles que la mise à jour des logiciels, la limitation des droits administrateurs, la signalisation au responsable de la sécurité informatique de l’entreprise en cas d’anomalie dans l’utilisation du poste de travail.

le détournement de fonds publics dans le contexte de pandémie

La crise induite par le Covid-19 oblige les gouvernements à injecter des fonds dans l’économie pour aider la population à surmonter les difficultés financières (perte de l’emploi, arrêt d’activité). Des criminels peuvent tenter de recevoir frauduleusement ses fonds ou les détourner.

risque de corruption en lien avec les aides internationales

Avec la pandémie, de nombreux pays ont besoin d’une aide financière d’urgence de la part de la communauté internationale. Les institutions financières internationales mettent en garde contre le risque de détournement de cette aide financière par des fonctionnaires corrompus, notamment dans les pays où le système politique et juridique n’est pas encore stable.

Les marchés publics tels que l’achat du matériel sanitaire est un contexte qui, selon le GAFI, pourrait favoriser le détournement de fonds publics. Ces achats passent en effet par des processus informels d’urgence sans passer par les procédures habituelles de marchés publics.

Ce constat est également confirmé par une communication de l’ONU dans laquelle « Le Secrétaire général a invité instamment tous les gouvernements et tous les dirigeants à faire preuve de transparence et de responsabilité et à utiliser les instruments prévus dans la Convention des Nations Unies contre la corruption ».

Par conséquent, le GAFI a précisé dans son rapport que « les pays bénéficiant d’une aide économique de la part d’organisations internationales telles que le FMI peuvent recevoir des recommandations supplémentaires pour la mise en œuvre de mesures ciblées de LBC/FT destinées à garantir que ces fonds ne soient pas détournés à d’autres fins (notamment de corruption ou de blanchiment de capitaux) ».

sollicitations frauduleuses des aides publiques

Les aides publiques en faveur de la population sont des mesures nécessaires durant la pandémie. Certains acteurs économiques essaient néanmoins de solliciter frauduleusement ces aides, accroissant les risques de fraude et de blanchiment massif de capitaux.

Certaines sociétés essaient ainsi de bénéficier abusivement des mesures de relances, malgré leur situation économique stable pendant la pandémie.

Face à risque, TRACFIN précise que « L’examen des données financières des sociétés sollicitant les dispositifs d’aides publiques doivent ainsi faire l’objet d’une vigilance particulière ».

 

la multiplication des opérations en espèces dans le contexte de covid-19

La pandémie et son nouveau contexte économique a accru les inquiétudes des particuliers sur une éventuelle défaillance du système bancaire. Cette crainte les incite à recourir aux retraits d’espèces.

Ce besoin fondamental de la population de disposer de fonds en espèces peut favoriser les dissimulations des activités de blanchiment de capitaux.

Le GAFI donne des exemples de situations à risque afin de sensibiliser les professionnels. Il s’agit par exemple :

  • des retraits d’espèces avec COVID-19 comme objet ou motif
  • des retraits d’espèces pour acheter de l’or dont la traçabilité est difficile
  • des retraits frauduleux par les criminels dans les distributeurs automatiques

Malgré cette multiplication des retraits, le système bancaire peut lutter contre le risque de blanchiment en améliorant le système de paiement sans contact.

C’est aussi l’occasion pour les banques d’encourager leurs clients à utiliser ce mode de paiement de contacts indirects, non seulement pour leur facilité d’utilisation, mais aussi pour réduire le risque de propagation du COVID-19.

La pandémie du COVID-19 est une situation inédite, pour le secteur médical amenés à développer de nouvelles recherches, pour les gouvernements dans les mesures de relances économiques déployées, pour le secteur financier en prise à de nouveaux challenges financiers et des risques accrus de blanchiment, et pour les criminels eux-mêmes à la recherche de nouveaux moyens de contourner les mesures de vigilance en place.

On constate ainsi, par les analyses et études des fraudes révélées, que la pandémie a créé de nouvelles et nombreuses occasions pour les criminels de dissimuler et de blanchir les fonds d’origine illicite (le détournement de fonds publics, le recours au secteur financier non réglementé, le télétravail, la cybercriminalité …).

Les professionnels doivent bien sûr renforcer leur niveau de vigilance face à cet accroissement de risques. Ils doivent également renforcer leur partage d’informations et d’expériences, en lien avec les autorités de contrôle nationales et internationales, afin de lutter efficacement contre cette criminalité.

Auteur
Le Anh Dong  
Chargé de Conformité, Diplômé du Cycle Expert Conformité de L’ESBanque

Cryptomonnaies et LCB-FT : comment réguler ces nouveaux actifs ?

Cryptomonnaies et LCB-FT : comment réguler ces nouveaux actifs ?

Temps de lecture estimé : 13 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

La régulation LCB-FT des crypto-actifs devient un véritable défi pour les Etats. Le point sur les règlementations AML actuelles et les enjeux à venir.

Les cryptomonnaies suscitent à la fois inquiétudes et intérêts. Pour les uns, il s’agit d’opportunités nouvelles, pour d’autres, des risques accrus de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

Si ces deux réalités existent, l’investissement ou l’utilisation de ces monnaies virtuelles par les particuliers, entreprises ou institutionnels sont en progression partout dans le monde. Or cet usage s’inscrit dans un vide juridique abyssal.

Les cryptomonnaies ont un statut juridique encore imprécis et différent selon les pays. Certains aiment à dire que nous sommes dans un « Far West » qui laisse une grande place à la cybercriminalité.

Dans ce contexte les régulateurs tentent d’imposer au secteur des limites et un cadre d’usage légal règlementé. Dans différentes juridictions, l’Anti-Money Laundering (AML) ou Lutte Anti-Blanchiment (LCB) tentent d’encadrer les cryptomonnaies. Une fracture se dessine entre différents acteurs qui jouent le jeu de la transparence et des contrôles KYC (Know Your Customer) et les autres. L’usage des cryptomonnaies fait apparaitre de nouveaux paradis fiscaux dans des zones géographiques où la régulation n’est pas appliquée.

Si notre économie de plus en plus digitalisée a ouvert la voie aux monnaies virtuelles, le cadre d’intégration juridique, financier et réglementaire est en devenir.

L’anti-Money Laundering (AML) appliqué aux cryptomonnaies est une nouvelle donne encore hésitante et qui soulève de nombreuses interrogations.

Quels sont les risques et les schémas types de blanchiment liés aux cryptomonnaies ? Comment tracer, surveiller et investiguer sur ces nouveaux moyens de paiement et d’investissement ? La blockchain est-elle un garde-fou infaillible ?

interdiction, régulation et aml des cryptoactifs dans le monde: une ligne mouvante

La régulation mondiale des cryptomonnaies est loin d’être uniformisée. Les Etats ont fait évoluer leur approche règlementaire de ces nouveaux actifs et ont chacun adopté des dispositifs spécifiques.

les etats et la montée de la régulation anti-blanchiment des cryptomonnaies

Si parler de crypto-actifs et d’Anti-Money Laundering a semblé pendant un temps incompatible, aujourd’hui la régulation semble s’imposer dans beaucoup de juridictions.

Petit à petit se dessine une nouvelle carte géopolitique de l’usage des crypto-actifs.

Certains Etats ont d’emblée et de manière catégorique interdit l’utilisation des crypto-actifs. On peut citer la Chine, l’Egypte, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, l’Iraq, Oman. D’autres avec prudence tendent à imposer une régulation qui se cherche encore.

Mais ces lignes sont mouvantes. Les Etats doivent en effet faire face à l’investissement et l’utilisation de plus en plus important des cryptomonnaies par leur population.

Pour exemple un Etat comme le Maroc, qui se place en quatrième position économique sur le continent africain, derrière le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya, est également le vingt-quatrième utilisateur de cryptomonnaies. Même si l’interdiction d’user des cryptomonnaies par ce pays date de 2017, les investissements dans ces crypto-actifs ne fait que s’amplifier. Or, de nombreux avocats marocains estiment qu’il faut un encadrement de ces usages. C’est pourquoi la ministre des Finances a soulevé la question au Parlement. Pour beaucoup, il vaut mieux légaliser une pratique qui laisse un vide juridique et un flou judiciaire.

Cet Etat projette également d’y adjoindre une taxation de 30 % sur la vente et l’échange de cryptomonnaies et parallèlement, de donner naissance à une monnaie numérique de banque centrale à l’horizon 2023. Ici aussi, face à l’utilisation grandissante des cryptomonnaies par les populations, il n’est plus question d’interdire mais de réguler. Après avoir en 2021 voté une loi interdisant les actifs numériques, l’Inde prépare une réglementation de l’usage des cryptomonnaies.

Dans d’autres pays, les cryptomonnaies se sont tout de suite imposées comme une opportunité financière et technique à ne pas rater. C’est le cas de Dubaï, qui est devenu en très peu de temps un vrai « hub » de la « crypto-sphère ». Le Dubaï World Trade Center (DWTC) a pour mission de favoriser la promotion et l’adoption des cryptomonnaies dans un cadre de plus en plus règlementé. L’émirat veut s’inscrire comme leader dans le monde des affaires et de la technologie. Il mise beaucoup sur la technologie blockchain. L’ambition est de créer un écosystème « crypto-sécurisé ».

La Suisse s’est également très tôt engagée dans l’adoption des cryptomonnaies. Une région s’est même spécialisée sur ce sujet : le canton de Zoug, connu sous le nom de « Crypto Valley » accueille la plupart des acteurs de l’industrie des crypto-actifs. En 2020, le parlement suisse a approuvé l’adoption d’une loi sur les registres électroniques distribués (« Blockchain Law »). Celle-ci définit les modalités du trading des crypto-actifs et la gestion des échanges en droit suisse en instaurant des exigences en termes d’AML et de lutte contre le financement du terrorisme. Ce cadre juridique a permis le développement de la « tokenisation » des actifs financiers (actions, obligations et autres valeurs mobilières).

Dans ce contexte contrasté au niveau mondial, les États-Unis préparent prochainement un décret présidentiel visant à établir une stratégie unifiée de régulation des crypto- actifs. L’État américain sera au centre de la stratégie de régulation.

Les acteurs du secteur demandent avant tout de la clarté. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui car les cadres juridiques restent variables selon les cryptomonnaies. Les compétences des autorités sont mal définies et les cryptomonnaies ont des statuts différents. Par exemple le bitcoin ou l’etherum sont assimilés à des matières premières. C’est pourquoi, ces cryptomonnaies sont contrôlées par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC). Les autres cryptomonnaies sont surveillés par la Securities and Exchange Commission (SEC). Les américains attendent beaucoup du décret de l’administration Biden afin de clarifier le cadre d’usage des cryptomonnaies.

La balance risques et opportunités des crypto-actifs restera dans tous les cas sous surveillance.

institutionnels, entreprises, banques et protection des consommateurs dans l’usage des cryptomonnaies

L’engouement que suscite les cryptomonnaies gagne de nombreux acteurs de l’économie mondiale souhaitant être présents sur ce marché.

Qu’est-ce que les cryptomonnaies ?

Monnaies virtuelles et innovation technologique :

Les cryptomonnaies sont des moyens de paiement utilisés dans un protocole informatique décentralisé (de type blockchain). Les transactions sont donc réalisées sans intermédiaire financier.

Ce sont des monnaies digitales. Elles n’ont pas cours légal et ne sont pas émises, ni garanties, par une banque centrale ou par une autre institution, à la différence des monnaies dites fiat (dollar, euro, yen…).

Elles sont dites cryptographiques parce qu’elles sont uniquement numériques et permettent des échanges de valeur sur internet.

Leur fonctionnement suppose un environnement informatique décentralisé. L’information est partagée par tous les participants, les opérations sont validées par un commun accord. Beaucoup d’entre elles, mais pas toutes, utilisent la technologie blockchain. Elles s’inscrivent dans un contexte de la dématérialisation de la monnaie et de l’économie. Elles apportent une innovation technologique nouvelle dans le développement digital.

Innovation et sécurité

Depuis la création des cryptomonnaies de nombreuses failles de sécurité appellent à l’amélioration des systèmes en place. De nombreux piratages ont été répertoriés, les montants perdus sont colossaux, se chiffrant en milliards. Le cas le plus courant est la falsification des clés privées des utilisateurs et l’utilisation de logiciels malveillants qui met en déroute le code de la blockchain lui-même.

Les failles des systèmes peuvent concerner :

  • les serveurs et les clés de sécurité (vol)
  • l’encryptage des données
  • les logiciels pour les transactions
  • le hameçonnage des employés des plates formes

Les difficultés de « consensus » au moment des transactions constituent également un risque. Le consensus est un process par lequel certains particpants introduisent l’information (les mineurs) et où d’autres interviennent pour les valider (les nœuds). Mais ces opérations réunissent des milliers de participants, et l’information n’est pas accessible à tous au même moment.

Les risques de blanchiment d’argent

Les cryptomonnaies peuvent être utilisées pour cacher la source ou la destination des fonds. L’anonymat et la décentralisation des systèmes favorisent les opérations de blanchiment et de financement du terrorisme. Les clés privées des cryptomonnaies anonymes sont au cœur des problématiques du risque de blanchiment.

Dans les déclarations de soupçon à Tracfin, la majorité concerne le doute sur l’origine ou la destination des fonds (en 2018, 528 déclarations de soupçon sont en lien avec les crypto-actifs, en doublement par rapport à 2017, Rapport annuel 2020 Tracfin).

C’est au moment de l’entrée et la sortie de l’argent liquide dans les transactions que le risque de blanchiment est élevé.

Des études comme celle du cabinet Chainalysis indique que le blanchiment d’argent pour le secteur des cryptomonnaies a connu une augmentation annuelle de 30 % en 2021, ce qui représente 8,6 milliards de dollars blanchis, soit 2 milliards de dollars par supplémentaires par rapport à l’année précédente.

L’anonymat attire également dans un objectif :

  • de contournement des sanctions internationales, tel le Venezuela en 2018
  • de fraude fiscale. Certains territoires s’affichent comme des paradis fiscaux en n’appliquant pas les règles AML, tel Porto Rico par exemple.
D’après une étude d’American Banker le nombre de banques développant des activités sur crypto-actifs devrait doubler en 2022. Parmi ces services, on peut citer les dépôts réalisés directement, le paiement des factures ou les transferts de fonds à prix faible.

Pour beaucoup, les cryptomonnaies représentent une nouvelle classe d’actif d’investissement.  Des sociétés d’investissement ou des fonds créent ainsi des véhicules d’investissement basés sur les cryptomonnaires. BlackRock, le plus grand fonds d’investissement, travaille sur un projet d’ETF (Exchange Traded Fund) qui se focalise sur la technologie de la blockchain. D’autres établissements financiers profitent de la baisse récente des cryptomonnaies pour renforcer leurs investissements sur ce marché, tel Rothschild & Co via le fonds Grayscale Bitcoin.

La course technologique utilisant des cryptomonnaies est bien lancée, ainsi que celle des investissements dans le monde virtuel. C’est le cas du groupe Carrefour qui pour 120 etherum (300 000 euros) s’offre 36 hectares dans le métaverse The Sandbox. Ces acquisitions dans le monde virtuel participent au développement des cryptomonnaies puisqu’elles sont nécessaires aux paiements sur ce marché.

Devant cette offre pléthorique ne cessant de progresser, les régulateurs ont comme objectif premier de protéger les consommateurs. Beaucoup ont déjà essuyer des pertes considérables. A Londres, le gouvernement compte adopter une loi pour une double régulation du marché mais aussi de la publicité sur les crypto-actifs, par l’Advertising Standard Authorithy (ASA) et le Financial Conduct Authorithy (FCA)

aml et cryptomonnaies : les dispositifs existant dans le monde

Les obligations AML s’imposent petit à petit à de nombreux sites qui proposent des cryptomonnaies.

Mais cette pratique est encore loin d’être généralisée. Il existe ainsi de multiples sites où l’on peut acheter du bitcoin de façon anonyme.

D’autre part, toutes les cryptomonnaies n’ont pas de registre public comme l’ethereum (ETH) ou le bitcoin (BTC). Certains cryptomonnaies sont par nature anonymes comme monero (XMR).

La traçabilité des cryptomonnaies est une condition de mise en place d’une législation et d’une surveillance AML. De la même façon qu’il est interdit de détenir un compte bancaire anonyme dans la législation européenne LCB-FT (Lutte contre le blanchiment et financement du terrorisme), il devrait être interdit de détenir des crypto-actifs anonymes.

L’Union Européenne souhaite ainsi tendre vers un meilleur suivi des cryptomonnaies. Cela suppose que les acteurs en crypto-actifs doivent collecter et stocker des éléments d’information sur les expéditeurs et les destinataires comme dans les virements électroniques.

Le champ d’application de contrôle des transactions des cryptomonnaies reste néanmoins limité :

  • à certains seuils : opérations en cryptomonnaies dépassant 1000 euros (Décret n° 2021-387 du 2 avril 2021), ainsi que les règlements en espèces et en monnaie électronique anonyme.

Les plateformes de cryptomonnaies doivent vérifier l’identité et les données personnelles de ses utilisateurs avant de les laisser opérer. Elles sont également autorisées à surveiller les opérations suspectes de certains clients et doivent aussi déclarer les opérations suspectes en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

Concrètement, l’utilisateur doit indiquer :

  • une adresse mail,
  • un mot de passe,
  • un numéro de téléphone,
  • un justificatif d’identité (passeport, carte d’identité, permis de conduire, permis de résidence). Il peut dans certain cas lui être demandé d’allumer sa webcam pour vectoriser et certifier son visage.
  • l’adresse de son portefeuille numérique personnel
  • les informations de sa carte de paiement.

Dispositifs de régulation des cryptomonnaies dans le monde 

Une étude détaillée de la Library of Congress, publiée en novembre 2021, fait un état des lieux de l’avancement de la régulation des cryptomonnaies dans le monde.  Elle indique pour chaque juridiction l’application des lois LCB-FT. Ce document permet de connaître, pour chaque pays, le nom de la loi de régulation et sa date d’application.

L’exemple de la Hongrie :

La Hongrie applique aux cryptomonnaies une loi LCB-FT de 2017, qui découle de la 5ème directive AML Européenne. Appliquée en France depuis le 14 février 2020, la 5ème directive européenne (UE 2018/843) impose de nouvelles obligations aux acteurs du marché des crypto-actifs. La 6ème directive européenne vient parachever ce dispositif règlementaire.

L’exemple du Luxembourg :

Le régulateur Luxembourgeois, la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF) a ouvert la porte aux investissements dans les actifs numériques aux fonds d’investissement alternatifs. Il est nécessaire d’obtenir une autorisation concernant ces actifs spécifiques, avec pour condition l’élaboration d’une cartographie du projet, des risques et des dispositifs LCB-FT. La CSSF réalise également un guide à ce sujet pour les gestionnaires de fonds d’investissement.

défis et enjeux aml dans la régulation des cryptomonnaies

La régulation LCB-FT des crypto-actifs suppose le développement d’outils technologiques, un encadrement visant à une meilleure intégration des cryptomonnaies à l’économie réelle, mais aussi une adaptation des métiers de la conformité à un environnement virtuel et décentralisé.

aml et cryptomonnaies : les défis technologiques

La règlementation AML des crypto-actifs soulève de véritables challenges technologiques, tant en termes de cyber-sécurité, que de traçabilité des transactions et de contrôles KYC (Know Yor Customer).

Blockchain et cyber-sécurité : un outil perfectible ?

Pour appréhender de manière simple la blockchain, il faut l’assimiler à une base de données. La blockchain permet de réaliser des transactions sur des actifs numériques en les validant par un protocole décentralisé.

Les actifs échangés via la blockchain sont divisés en jetons ou tokens. Ces tokens peuvent être fongibles, tels les cryptomonnaies, ou au contraire non fongibles représentant dans ce cas des actifs uniques non interchangeables, tels les NFT (Non Fungible Tokens).

Les transactions validées sont stockées dans un registre partagé.

Source : Horasis Data Compliance Consulting 2022
On retrouve ainsi l’historique de toutes les opérations réalisées depuis sa création. Dans les blockchains publiques, les transactions apparaissent dans un registre ouvert, accessible à tous. Dans les blockchains privées, le droit de lecture peut être restreint.

Afin de valider de manière décentralisée et définitive les transactions, la blockchain fonctionne selon un principe de « blocs » rattachés et liés entre eux. On y trouve trace des transactions mais aussi toute inscription ou contenu que l’on décide d’y intégrer. Chaque bloc à une empreinte numérique décerné par un algorithme. La validation d’un bloc ne peut être effectué qu’à partir du moment ou un mineur a caractérisé un bloc et a informé l’ensemble du réseau pour valider le bloc suivant.

Source : Horasis Data Compliance Consulting 2022
Si cette technologie est prometteuse, elle reste sensible à de nombreuses failles de sécurité, liées à des erreurs de programmation. Les blockchains sont attaquées par les cybercriminels en exploitant des codes informatiques. L’actualité récente évoquant le vol de cryptomonnaies en témoigne. Le dernier en date est celui de la plate-forme Wormhole utilisant la technologie blockchain. Cette plateforme est utilisée pour la communication entre deux blockchains ethereum et solana. La faille de sécurité a été exploité pour voler 320 millions de dollars de cryptomonnaies.

Très proches des blockchains, les registres distribués ou Distributed Ledger Technology (DLT), sont un processus numérique enregistrant des opérations dans plusieurs emplacements. Ils présentent des avantages mais aussi de nombreux inconvénients en termes de sécurité. Testés dans le projet Hamilton aux Etats Unis, ils ont montré des erreurs au niveau du serveur de commande.

Au Luxembourg, la CSSF a également émis des avis de prudence sur les DLT dans son guide intitulé « Distributed Ledger Technologies and Blockchain, Technological risks and recommendations for the financial sector ».

Blockchain et AML : les outils d’analyse pour détecter les « mixeurs »

Les criminels utilisent souvent des « mixeurs » pour tenter de dissimuler les origines illicites des cryptomonnaies. Lors d’attaques informatiques, les portefeuilles sont déplacés vers ces « mixeurs ».

Des outils d’analyse permettent d’identifier ces « mixeurs » et de les répertorier comme tels. Il est ensuite nécessaire de pouvoir différencier un déplacement normal d’un portefeuille avec celui opéré par un mixeur.

Blockchain et applications KYC

Des start-ups évoluant dans le domaine des crypto-actifs conçoivent des outils « KYC » (Know your customer) afin de faciliter la mise en œuvre des obligations de lutte contre le blanchiment d’argent (AML).

Ces technologies automatisent le processus de partage des preuves visant à vérifier qu’un utilisateur possède un portefeuille de crypto-actifs privé. Ces applications sont régulièrement mises à jour pour améliorer la vérification de la propriété d’une adresse (AOPP : Address Ownership Proof Protocol).

Selon des « crypto-sceptiques » de la régulation, l’AOPP compromet « l’auto-conservation » des crypto-actifs, en permettant à d’autres intervenants d’autoriser ou d’arrêter les transactions.

Ce type d’application met en cause également « le pseudonymat » du Bitcoin. Ce qui explique le souhait de détenteurs d’actifs numériques d’obtenir la suppression de cette fonction, arguant d’une « sur-réglementation » qui entrave le bon fonctionnement des transactions.

L’anonymat est réellement un défi dans la lutte contre la cybercriminalité. De nombreuses applications facilitent l’anonymat en proposant des VPN (Virtual Private Network). Les hackers s’adaptent sans cesse aux évolutions technologiques. Des cybercriminels, tels BlueNoroff (groupe Lazarus), se sont spécialisés dans le vol de crypto-monnaies.

intégration des cryptomonnaies régulées dans l’économie réelle: un véritable enjeu

Une frontière est en train de se dessiner entre des acteurs de la cryptomonnaies qui jouent le jeu de la régulation et du KYC et ceux qui s’y refusent pour l’instant.

C’est une ligne mouvante mais dont l’enjeu est l’intégration à grande échelle des cryptomonnaies dans nos économies. L’adoption définitive et sans craintes des cryptomonnaies par les Etats passent par leur nécessaire règlementation.

La dernière conférence européenne du 21 janvier 2022 « Protéger les européens contre la criminalité financière et le financement du terrorisme » a pointé les menaces des crypto-actifs, tout en s’interrogeant sur les conditions d’encadrement et de supervision en Europe.

Les cryptomonnaies, les NFT représentent un intérêt croissant pour les consommateurs et les investisseurs. Il est donc important de pouvoir en atténuer les risques.

Ces risques concernent tout d’abord les consommateurs et investisseurs eux-mêmes. Il est nécessaire de pouvoir se protéger des menaces que constituent les « rançongiciels » liées au dark web. La législation européenne n’est pas encore à la hauteur du risque, notamment pour la protection des consommateurs. La proposition de Règlement « MICA » (Markets in crypto-assets) du 24 septembre 2020 commence à apporter des réponses aux risques liés aux cryptomonnaies. Ce règlement tant attendu doit aussi imposer la règle dite « de voyage » pour les portefeuilles non hébergés.

Le package européen et la proposition de 6ème Directive concernent également les prestataires de crypto-actifs dans un objectif de LCB-FT.

La régulation des plateformes est cruciale, notamment en tant qu’interface entre les cryptomonnaies et les monnaies internationales.

Pour l’Europe, l’enjeu de taille est aussi la stabilité financière en évitant un possible krach lié aux crypto-actifs.

l’adaptation des hommes: la compliance 3.0 généralisée ?

Le monde de la compliance doit également s’adapter à ce nouvel environnement AML appliqué au cryptomonnaies, d’un point de vue :

  • méthodologique: mise en place d’un système d’évaluation, de cartographie et de gestion des risques adapté, dispositif KYC efficace, mesures de vigilances spécifiques, maîtrise des risques liés à la surveillance des transactions et la déclaration de soupçons, adaptation aux dernières règlementations européennes sur les crypto-actifs tel le Règlement dit MICA du 19 novembre 2021.
  • technique: les différents outils doivent être utilisés de manière adaptée. Les problématiques de traçabilité dans la blockchain mettent en avant l’importance de la data à deux niveaux :
    • dans la récupération des éléments tels des adresses pour le traçage
    • mais aussi pour l’identification pertinente du client et donc du risque.

Dans cet environnement décentralisé, la sécurité et la protection de la data sont indispensables.

Auteurs
Rachida Bodinier 
Expert Conformité – Fondateur de Horasis Data Compliance – Concepteur pour le Cycle Expert Métiers Conformité de l’ESBanque