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Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Notion peu habituelle, la sécurité psychologique ne peut être ignorée de la conformité. Elle garantit la liberté d’expression des collaborateurs et in fine l’efficacité des opérations et des contrôles. Explications.

sécurité psychologique : une notion d’origine anglo-saxonne

D’abord défini aux Etats-Unis, c’est au Royaume-Uni que le concept de sécurité psychologique a fait son entrée dans le régime réglementaire du régulateur financier. La mise en place d’un environnement de confiance et de liberté de communication améliore nettement l’efficience des processus de conformité.

qu’entend-on par sécurité psychologique ?

En 1999, Amy Edmondson, professeure à la Harvard University, publie l’article « Psychological Safety and Learning Behavior in Work Team », dans lequel elle utilise pour la première fois le terme de sécurité psychologique. Elle le définit comme la confiance qu’ont les membres d’une équipe de pouvoir prendre des risques interpersonnels, à savoir confronter des différences d’opinions afin d’améliorer la culture du groupe.

Presque vingt ans plus tard, le régulateur financier au Royaume-Uni, la Financial Conduct Authority (FCA) cite le terme de sécurité psychologique dans un article « Psychological safety : the secret to effective teams publié par son pôle d’Economie Comportementale (Behavioural Economics and Design Unit). Le régulateur britannique retient l’évolution du concept faite par Amy Edmondson comme « la disposition des collaborateurs à exprimer leur opinion sur leur lieu de travail ».

L’utilisation d’une notion qui relève du domaine psychologique par un régulateur financier est particulièrement innovante. Jusqu’ici, l’attention était principalement portée vers les compétences techniques des prestataires de services financiers, à savoir leur formation et leur aptitude à fournir des services en conformité avec la réglementation financière, plutôt qu’à leur psychologie.

 En introduisant le sujet de la sécurité psychologique et en soulignant son importance, le régulateur fait référence à la gouvernance et suggère un recours pour améliorer la culture d’entreprise dans l’industrie financière et la conduite des collaborateurs.

Sécurité Psychologique et Santé mentale :

L’Organisation Mondiale de la Santé définit la santé mentale comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Bien que les deux concepts soient intimement liés, la sécurité psychologique ne représente qu’un aspect, une sous-partie, du sujet plus large de santé mentale.

contexte réglementaire au royaume-uni

En 2016, la Financial Conduct Authority a mis en place le Senior Manager & Certification Regime, afin d’adresser les comportements à risque mis en lumière, entre autres, par la crise financière de 2008 et le scandale du Libor en 2011.

Le Code de Conduite du FCA est également mis à jour et met l’accent sur le comportement attendu des collaborateurs prestataires de services financiers.

Les raisons de l’implémentation de ce régime et la mise à jour du Code de Conduite sont simples : il s’agit de responsabiliser les collaborateurs en les rendant garants de leur bonne conduite dans le cadre de leurs activités professionnelles. Il s’adresse aussi aux managers dans la gestion des membres de leurs équipes.

Les institutions financières doivent s’assurer que leurs collaborateurs sont suffisamment formés et aptes à fournir des services financiers régulés. Elles doivent également établir des normes de bonne conduite, ainsi qu’un système d’identification des conduites à risque et des brèches de conformité.

En 2018, en mentionnant pour la première fois le concept de sécurité psychologique, la FCA met l’accent sur le défi pour les employeurs de créer un environnement dans lequel les collaborateurs se sentent à l’aise d’exprimer leurs opinions, de partager leurs préoccupations, et de parler de leurs erreurs, plutôt que de les taire par peur du blâme.

 

cas concrets : efficacité d’un contexte respectant la sécurité psychologique

Prenons un exemple pour mesurer l’efficacité d’un climat de sécurité psychologique :

Monsieur T. est un employé expérimenté dans une banque d’investissement. Il travaille sur des projets sensibles et se trouve régulièrement exposé à de l’information privilégiée. Alors qu’il s’apprête à terminer une longue journée de travail, il cherche à envoyer un dernier courriel contenant de l’information privilégiée concernant un client de la banque. Il ne se rend pas compte que le remplissage automatique de sa boite email lui suggère un mauvais destinataire, et Monsieur T., par mégarde, envoie le courriel et ne se rend compte de son erreur que le lendemain.

Scénario 1 :

Cette erreur semble inacceptable et inexcusable à Monsieur T. qui, bien préoccupé par sa réputation de banquier expérimenté et par son évaluation de fin d’année, préfère ne pas attirer l’attention vers lui. Il ne se manifeste ni auprès de son manager ni auprès du service de conformité. Il envoie un second courriel au mauvais destinataire leur indiquant que le courriel initial ne leur était pas destiné.

Quelques jours plus tard, la chaine de courriels en question est identifiée par le service de surveillance des communications, au sein du département de conformité de l’employeur. Monsieur T. est contacté par son responsable de conformité qui doit enquêter sur la fuite d’information.

Scénario 2 :

Dès qu’il se rend compte de son erreur, Monsieur T. s’empresse de téléphoner à son responsable de conformité, qui lui indique la démarche à suivre : demander au destinataire de supprimer le courriel, de confirmer la suppression du courriel, de confirmer que l’information contenue dans le courriel n’a pas été partagée, et de fournir un contact au sein du service de conformité de l’employeur du destinataire du courriel. Les services de conformité des deux employeurs peuvent échanger, confirmer la nature de l’information et les règles de confidentialité qui s’y attachent, et mettre à jour leurs listes d’initiés respectives. Le risque de fuite d’information est minimisé puisque l’information est contenue.Quelles leçons tirer de cet exemple ?

  • L’erreur commise génère plusieurs types de risque :
    • un risque règlementaire lié à la divulgation d’information privilégiée,
    • un risque commercial car cette divulgation par inadvertance pourrait compromettre le projet du client,
    • un risque de réputation pour ceux qui n’ont pas su gérer cette erreur
  • Ces risques sont mitigés dans le scénario 2, mais pas dans le scénario 1.
  • L’erreur initiale est humaine et donc inhérente à toute organisation qui exploite des ressources humaines. Un employeur peut chercher à minimiser la probabilité d’erreurs humaines, par la sélection de ses collaborateurs et leurs formations, mais ne pourra pas s’en débarrasser complètement. Il est essentiel pour cet employeur d’avoir des protocoles de gestion des risques générés par ces erreurs, mais avant tout des protocoles d’identification de ces erreurs. Nous le voyons dans cet exemple, l’auto-déclaration  (self-reporting) est bien plus efficace, puisqu’immédiate, que le protocole de contrôle des communications.

Un contexte propice à la sécurité psychologique favorise ainsi les comportements de communication efficiente et améliore nettement les contrôles de conformité. Plus globalement, ces pratiques doivent entrer dans une culture de bonne conduite.

quel lien entre la sécurité psychologique et la bonne conduite ?

La FCA suggère que la sécurité psychologique est la clé d’une culture de bonne conduite.

La FCA pointe en effet du doigt le partage d’expérience comme origine d’un cercle vertueux.

Si les managers ou les employés les plus expérimentés (Senior) partagent leurs expériences, bonnes comme mauvaises, auprès de leurs équipes et de tout autre collaborateur, ce partage est doublement bénéfique :

  • d’une part cela éduque les collaborateurs en leur donnant des exemples de bonne conduite, d’erreurs à ne pas commettre, ou des leçons tirées de ces erreurs
  • d’autre part cela encourage les collaborateurs à parler (Speak-up) lorsqu’ils ont quelque chose à dire. Les managers qui mènent par l’exemple renforcent en même temps la confiance de leurs équipes et leur sentiment de sécurité psychologique.

Reprenons l’exemple de notre banquier Monsieur T. qui a envoyé un courriel par inadvertance.

Si Monsieur T. partage cette expérience, il passera auprès de ses collègues le message :

  • de toujours bien vérifier la liste de destinataires de leurs courriels,
  • que l’information est plus vite contenue en rapportant immédiatement ce genre d’erreur,
  • et enfin qu’il s’agit tout simplement du comportement attendu de tout collaborateur.

Un environnement de travail dans lequel les employés se sentent à l’aise de reconnaitre leurs erreurs et d’en parler pour mieux les traiter, mais aussi de pointer du doigt les dérives ou comportements à risque sans crainte de représailles, permet d’améliorer la culture de l’ensemble des employés.

Initier et développer ce climat et cette culture de sécurité psychologique font indiscutablement partie des missions de la conformité.

quel rôle pour les services de conformité réglementaire ?

 Les services de conformité réglementaire ont un rôle clé à jouer pour encourager une culture de bonne conduite et d’expression, mais aussi pour maintenir un sentiment de sécurité psychologique au sein des collaborateurs.

Les services de conformité doivent tout d’abord connaitre les standards de conduite et comportements attendus à la fois par le régulateur et par les employeurs.

Ils ont un rôle pédagogique, celui d’éduquer les collaborateurs sur ces règles de bonne conduite, en participant par exemple activement aux formations des collaborateurs.

Au Royaume-Uni notamment, ces formations contribuent aux prérequis envisagés par la FCA pour certifier l’aptitude des collaborateurs prestataires de services financiers, dans le cadre du « Senior Manager & Certification Regime ».

Les services de conformité constituent en outre un point d’entrée pour le partage d’expérience, la dénonciation de conduite à risque, et l’auto-déclaration des erreurs, afin de pouvoir accompagner les collaborateurs en leur indiquant les démarches à suivre dans chaque cas ou les rediriger le cas échéant.

Dans le cas des erreurs ou brèches de conformité, celles-ci doivent être enregistrées, corrigées et suivies par les services de compliance car il s’agit d’une obligation réglementaire, mais elles doivent surtout être traitées de façon raisonnable et dépassionnée.

Il est important pour les services de conformité d’identifier les défaillances de culture, les manques de vigilance, les besoins de formations, mais il leur est aussi essentiel de mettre en lumière la bonne conduite et les comportements attendus, afin de ne pas instaurer ni renforcer une culture du blâme.

Dans notre exemple de courriel envoyé par inadvertance, Monsieur T. fait preuve de bonne conduite dans le scenario où il auto-déclare immédiatement son erreur. Nous avons vu que cette décision avait des conséquences positives sur la gestion de cet incident.

En mettant l’accent sur ces impacts positifs, plutôt que sur l’erreur, les services de conformité contribuent à un climat de sécurité psychologique.

qu’en est-il des déclarations anonymes et dénonciations ?

Les collaborateurs doivent pouvoir compter sur une procédure de déclaration confidentielle, qui leur permette de rester anonyme. Un tel protocole est utile notamment en interne, au sein même d’une entreprise, pour dénoncer les méfaits éventuels de leurs supérieurs, ou en externe, auprès du régulateur, pour dénoncer les fautes éventuelles de leurs entreprises. Ces procédures, dites de lanceurs d’alerte (whistle blowing), participent au climat de sécurité psychologique et constituent un autre aspect de la gouvernance attendue par le régulateur.

En France, la loi du n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite “Loi Sapin II”, envisage cette protection des lanceurs d’alerte. En application de cette loi, l’AMF et l’ACPR se sont dotées de dispositifs spécifiques de traitement des alertes liées aux manquements réglementaires.

 Le contexte récent de crise de la Covid-19 rend plus difficile le maintien de la culture de sécurité psychologique et requiert une vigilance supplémentaire.

sécurité psychologique, conduite et crise sanitaire

Outre l’impact de la crise du Covid-19 sur la santé physique et mentale de chacun, la crise sanitaire a sans aucun doute des conséquences sur la sécurité psychologique des collaborateurs.

Les contraintes de nature organisationnelle (confinement, travail à la maison, réorganisation du lieu de vie, du temps de travail par exemple pour intégrer l’école à domicile) affectent directement la façon dont les collaborateurs interagissent entre eux.  Si le tissu social qui lie le collaborateur a son équipe et son manager est affecté, c’est la culture du groupe qui est également impactée.

Dans un tel contexte où la communication se fait à distance, de façon intermédiée par téléphone ou visioconférence, il existe un risque de concentrer les efforts de communication sur des sujets prioritaires tels que l’opérationnel, les transactions, par souci d’efficacité et de contraintes de temps.  Les questions de conduite et la culture de sécurité psychologique sont alors reléguées à un second plan, voire ignorées.

Avec le travail à distance, une confiance accrue est aussi placée auprès des collaborateurs pour que ceux-ci maintiennent leurs standards de vigilance de façon autonome. Pour la protection de l’information par exemple, il sera conseillé d’utiliser uniquement des moyens de communications autorisés, de verrouiller son écran ou ne pas exposer d’information confidentielle en public.

La crise sanitaire présente des enjeux importants pour les employeurs en termes de sécurité psychologique : pallier la distanciation sociale tout d’abord mais aussi le sentiment éventuel que les collaborateurs travaillant à distance peuvent échapper aux règles de conformité.

Dans cette situation, il est encore plus essentiel de maintenir la dynamique vertueuse du partage d’expérience et de la sécurité psychologique, afin d’assurer une culture de bonne conduite.

 

La mise en place d’un climat de sécurité psychologique est primordiale à la liberté de communication, au libre partage des expériences et in fine à l’efficacité des opérations de contrôle. Il appartient à la conformité de développer une telle culture et de savoir la maintenir malgré un contexte de crise favorisant l’isolement des collaborateurs.

 

Auteur

Jean- Baptiste GICQUEL 
Conseiller en conformité bancaire
Rédacteur pour le Blog Conformité de L’ESBanque (Cycle Expert Conformité)