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Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Créé le 1er mars, le Parquet européen ou EPPO (European Public Prosecutor’s Office) est un pas novateur et important vers un droit pénal européen de la conformité. Explications.

Retardé en raison de la pandémie du coronavirus, le Parquet Européen dit EPPO (European Public Prosecutor’s Office) ou Bureau du Procureur Général Européen (BPGE) est entré en vigueur ce 1er mars. A sa tête, Laura Kösevi, ex-procureur général puis dirigeante de la Direction Nationale Anticorruption de Roumanie, a été nommée chef du Parquet.

Laura Kösevi est dans son pays une véritable égérie de la lutte contre la corruption. Sa nomination à la tête du Parquet européen témoigne de l‘objectif déterminé de l’Europe de lutter contre toute atteinte financière aux fonds européens, qu’il s’agisse de fraude transfrontalière à la TVA, de corruption, de détournement de fonds ou de blanchiment de capitaux.

Point sur les objectifs, les compétences, l’organisation et les défis qui attendent le Parquet européen.

objectifs du parquet européen

Jusqu’à l’entrée en vigueur du Parquet européen, la lutte contre les infractions portant atteinte au budget de l’UE relevait de la compétence pénale exclusive des Etats Membres, chacun ayant son propre mécanisme judicaire et de sanctions.

Les juridictions nationales ne sont compétentes que dans leur propre pays, ce qui constitue une limite pour lutter contre la fraude financière devenue transnationale.

L’UE dispose d’organismes visant à identifier et lutter contre la criminalité financière internationale, tels l’OLAF (Office européen de lutte antifraude), Eurojust (Unité européenne de coopération judiciaire), Europol (Office européen de police) mais ces derniers n’ont pas de possibilité d’enquête, ni d’initiation de poursuites pénales dans les différents pays membres.

Or l’ampleur des fraudes au budget européen est significative :

  • L’écart de TVA entre les recettes attendues et perçues au sein de l’UE représente 147 milliards d’euros en 2018 selon les estimations de la Commission européenne. La fraude à la TVA liée à la criminalité organisée s’élève entre 40 et 60 milliards d’euros par an selon Europol.
  • Les infractions au budget européen prennent aussi la forme de détournement d’actifs, d’escroquerie, de corruption, d’abus de confiance ou de blanchiment de capitaux.
  • Les infractions portant atteinte aux fonds de l’UE et signalées par les Etats se sont élevées à 1.197 millions d’euros en 2018 selon la Commission européenne.
  • En 2010 et 2019, l’OLAF a identifié plus de 7,3 milliards d’euros de fraude et a émis plus de 2.700 recommandations de mesures judiciaires, financières, disciplinaires ou administratives.

L’enjeu financier est donc important pour l’UE. Les mesures d’aides financières à la suite de la Covid-19 risquent par ailleurs de considérablement accroître ces phénomènes de fraudes. Selon Europol, seuls 11 % des sommes liées à la criminalité financière sont actuellement récupérées.

Il devenait donc indispensable pour l’UE de disposer d’une institution transnationale, ayant pour objectif de protéger ses intérêts financiers et disposant d’un pouvoir pénal à l’échelle européenne.

Le Parquet européen tire son origine du Traité de Lisbonne de décembre 2009. L’article 86 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’UE) a permis d’établir la base du règlement du Conseil de l’UE du 12 octobre 2017 portant création du Parquet européen, le 20 novembre 2017.

Compte tenu de désaccords sur son adoption, seuls 22 Etats membres de l’UE ont accepté le principe du Parquet européen, dans le cadre du mécanisme de coopération renforcée. La Hongrie, la Pologne, l’Irlande, la Suède et le Danemark n’en font pas partie.

Sa mise en place a ensuite nécessité l’approbation de chacun des 22 pays membres. Le projet de loi sur le Parquet européen a été adopté en France par le Sénat, puis l’Assemblée Nationale, le 16 décembre 2020.

Le Parquet européen est officiellement entré en fonction le 1er mars 2021.

compétences du parquet européen

Le Parquet européen est compétent à l’égard de toute infraction commise après sa date d’entrée en vigueur, le 20 novembre 2017 et portant atteinte au budget de l‘UE, qu’il s’agisse de :

  • fraude, notamment la fraude transfrontalière à la TVA
  • corruption
  • blanchiment de capitaux, escroquerie, détournement de fonds ou certains délits douaniers.

Le Parquet interviendra à partir d’un seuil de 10.000 € de fraude et 10 Millions € de préjudice pour la fraude à la TVA.

Jusqu’à présent, ces infractions au budget de l’UE ne pouvaient être poursuivies que par un État.

La création du Parquet européen est donc d’importance capitale. Il dispose d’un pouvoir pénal transnational et d’une véritable indépendance vis-à-vis des juridictions nationales des Etats membres.

Quand une enquête est menée par le Parquet européen, l’autorité nationale concernée doit arrêter la sienne et transmettre au Parquet les informations dont elle dispose.

Toutefois, la création du Parquet européen ne s’accompagne pas d’une instance judiciaire européenne. Les affaires instruites seront jugées par les tribunaux compétents de chaque pays.

organisation et pouvoirs du parquet européen

Le Parquet européen a son siège au Luxembourg, comme la Cour de Justice de l’UE (CJUE) et la Cour des comptes européenne.

Le chef du Parquet européen est nommé pour un mandat de 7 ans non renouvelable, choisi sur une liste établie après appel à candidature, par la Cour de Justice et le Parlement européen. Il n’est révocable que par la Cour de Justice, ce qui assure son indépendance.

La Procureure générale de Roumanie, Laura Codruta Kövesi, a été nommée présidente du Parquet européen le 16 octobre 2019.

Le fonctionnement du Parquet s’articule sur deux niveaux :

  • Le 1er niveau a pour objectif de définir la stratégie et de décider des enquêtes à mener.

    Il est dirigé par le chef du Parquet et composé d’un collège de 22 procureurs généraux, un par État membre.

    Les procureurs généraux sont nommés pour un mandat non renouvelable de 6 ans, prorogeable pour une durée maximale de 3 ans.

    Ils sont désignés par le Conseil de l’UE sur proposition de chacun des pays membres et doivent avoir occupé activement des fonctions du ministère public ou du corps judiciaire de l’État.
    Frédéric Baab, magistrat, ayant longuement exercé pour la coopération européenne, ancien membre de l’Unité européenne de coordination judiciaire Eurojust, a ainsi été nommé procureur général pour la France.

  • Le 2ème niveau est constitué de 140 procureurs européens délégués. Basés dans chaque État membre, leur nombre diffère selon les pays : la France compte ainsi 5 procureurs, l’Allemagne 11, l’Italie 20.

    Leur rôle est de superviser les enquêtes et les poursuites dans leur pays respectif. Ils sont indépendants de toute hiérarchie nationale et relèvent exclusivement du Parquet européen. Ils constituent donc de nouveaux magistrats au sein de chaque pays membre. Pour la France, les procureurs européens délégués sont basés au sein du parquet financier à Paris.

    Les procureurs européens délégués disposent d’un pouvoir équivalent à ceux d’un juge d’instruction : ils pourront ouvrir une enquête, procéder à une mise en examen. Les perquisitions pourront être réalisées à leur initiative, sous contrôle du juge des libertés et de la détention français. Les arrestations ne pourront être faites qu’avec l’aval des autorités judiciaires nationales.

    Les procureurs européens délégués traiteront donc des enquêtes relevant de leur pays, en étant supervisés par les membres permanents du collège des procureurs généraux (1er niveau). Chaque affaire traitée par un procureur délégué européen sera ainsi suivie par 3 procureurs généraux de 3 pays différents qui prendront les décisions d’investigation.

Le Parquet européen pourra enquêter dans toute l’Europe sans avoir à passer par des voies diplomatiques ou des commissions rogatoires internationales.

Le Parquet européen en quelques chiffres : 

Entrée en vigueur 1er mars 2021

Chef du Parquet

Nommé pour 7 ans, non renouvelable.
Première nomination : Laura Kösevi

1er niveau

Chef du Parquet
+ 22 procureurs généraux, 1 par État membre

2ème niveau

140 procureurs européens délégués basés dans les Etats membres et nommés par ces derniers (nombre variable selon les pays, 5 pour la France).
Au 31 mars, 32 procureurs délégués européens nommés dans 7 pays.

Objectifs

2.000 affaires traitées en moyenne chaque année.
A ce jour, déjà 3.000 dossiers en attente.

Budget

44 millions d’euros pour 2021

les défis à venir pour le parquet européen

Première instance européenne de ce type, le Parquet européen doit relever de nombreux défis.

Tout d’abord, réussir son démarrage et en réduire au maximum la durée, la crise de la Covid-19 ayant déjà retardé son entrée en vigueur.

Alors que les nominations des procureurs généraux ont eu lieu en juillet 2020, celle des 140 procureurs délégués européens prend plus de temps. A ce jour, seuls 32 ont été nommés dans 7 pays.

Ensuite, assurer le rythme attendu et fixé par la chef du Parquet de traitement des 2.000 affaires en moyenne par an. A ce jour, 3.000 dossiers seraient déjà en attente.

Enfin, disposer d’un budget suffisant à la hauteur des moyens à mettre en place. Le coût de fonctionnement actuellement évalué à 44 millions se présente déjà comme insuffisant, selon la chef du Parquet, compte tenu de l’ampleur de la tâche.

Autre défi de taille, le Parquet européen va devoir réussir sa coopération avec :

  • les autorités judiciaires nationales
  • mais aussi, les autres organes européens existants et luttant contre la fraude au budget de l’UE (Union européenne), notamment :
    • l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) : cette instance européenne mène des enquêtes administratives, émet des recommandations mais ne peut engager de poursuites. Sa coopération avec le Parquet européen est donc essentielle.
    • l’Unité européenne de coopération judiciaire (Eurojust) : cette agence a pour objectif de faciliter la coopération et la coordination entre autorités judiciaires des pays mais ne dispose pas non plus de pouvoir de poursuite. Cet organe pourra aider le Parquet à mieux coopérer avec les Etats non participants et avec les autres pays de manière générale.
    • l’agence de coordination des polices européennes (Europol) : son rôle est d’aider les autorités de police nationales à lutter contre la criminalité et le terrorisme au niveau international. La coopération avec le Parquet européen est ainsi centrale, en termes de partage d’informations et d’analyses dans les enquêtes menées.

La création du Parquet européen est incontestablement une étape importante vers l’émergence d’un droit pénal européen en matière de conformité.

Les textes prévoient la possibilité d’élargir les compétences du Parquet européen à une dimension transfrontalière, plus large qu’européenne, telle la lutte contre la corruption internationale par exemple. Il serait alors un pas important sur la voie de la création d’un droit pénal international de la conformité.

Auteur

Anne Brouard

Anne Brouard est Intervenante-formatrice pour l’ESBanque

Sources :