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Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Le gel des avoirs ne constitue pas le seul outil de mesures contraignantes à l’encontre de la Russie : le point sur les autres types de sanctions financières.

Avec l’adoption d’un sixième train de sanctions, l’Union Européenne a renforcé et diversifié son arsenal de mesures visant à infléchir le comportement de la Russie. Dans notre précédent article, nous avions abordé le régime du gel des avoirs, qui demeure la mesure restrictive la plus utilisée par l’UE et sans aucun doute la plus connue en matière financière.

Dans cet article, nous dresserons un panorama des autres types de mesures restrictives touchant la Russie, avec un focus sur les mesures financières les plus significatives pour les établissements financiers.

comment mesurer l’exposition d’un établissement financier aux sanctions prises contre la russie ?

Pour mesurer son exposition aux sanctions prises contre la Russie, une première approche consiste à identifier les grandes catégories de sanctions prises par chacun des Règlements adoptés par l’Union européenne :

Règlement européen Type de régime de sanctions
Règlement (UE) 208/2014 Gel des avoirs
Règlement (UE) 269/2014 Gel des avoirs
Règlement (UE) 692/2014 (Règlement « Crimée ») Mesures ciblant spécifiquement la Crimée et Sébastopol
Règlement (UE) 833/2014 Mesures « sectorielles »

Règlement (UE) 2022/263

(Règlement « Donetsk & Louhansk »)

Mesures ciblant spécifiquement zones des oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk non contrôlées par le gouvernement ukrainien

Source : Karim Djedid pour l’ESBanque

Il ressort du tableau ci-dessus trois grandes catégories de sanctions à prendre en compte par les établissements financiers :

  • des mesures de gel des avoirs visant des personnes/entités ayant compromis par leurs actions l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine
  • des mesures ciblant de manière plus large des territoires ayant échappé au contrôle du gouvernement ukrainien, restreignant certaines activités ou certains échanges avec ces territoires
  • des sanctions visant spécifiquement certains secteurs de l’économie russe notamment la défense, l’énergie et le secteur financier, soit de manière indistincte, soit en ciblant des acteurs importants de ces secteurs (ex : Gazprombank).

Un établissement financier souhaitant déterminer son degré d’exposition aux sanctions prises contre la Russie devra le faire non seulement à l’aune de ses contreparties au sens large, mais également aux regards de ses activités.

A ce sujet, plusieurs points d’attention méritent d’être mentionnés :

  • certaines restrictions à caractère commercial peuvent s’accompagner d’interdictions financières. L’article 2 ter du Règlement Crimée et l’article 4 du Règlement Donetsk et Louhansk interdisent ainsi « de vendre, de fournir, de transférer ou d’exporter » certains biens et technologies, mais interdit également de « fournir, directement ou indirectement, un financement ou une aide financière en rapport avec les biens et technologies » en question, à toute personne physique ou morale, organisme ou entité en Crimée ou Sébastopol, ou dans les oblasts de Donetsk et Louhansk non contrôlés, ou en vue d’une utilisation sur ces territoires.

    Ainsi, une lecture minutieuse des Règlements s’impose pour ne pas écarter prématurément une exposition aux sanctions russes.

  • les Règlements s’accompagnent également d’une interdiction de faire droit à des demandes à l’occasion de tout contrat ou opération dont l’exécution a été affectée par les mesures instituées par ces Règlements. Cela inclut notamment les demandes d’indemnisation et autres demandes similaires (demande de compensation ou demande à titre de garantie) présentées par certaines personnes et entités.
  • enfin, les Règlements incluent l’interdiction de « participer, sciemment et volontairement, y compris de façon indirecte, à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les interdictions énoncées dans le présent règlement ».Si cette disposition pose des difficultés d’interprétation quant à sa portée, la lecture de cette obligation suggère que les critères de connaissance et d’intentionnalité entrent en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu une violation de cette interdiction.

des sanctions ciblant des territoires spécifiques

En réaction à l’annexion de la Crimée et de Sébastopol par la Russie, l’Union européenne avait adopté une forme d’embargo à l’encontre de ces deux territoires. Des mesures similaires ont été mises en place pour les zones des oblasts de Donetsk et de Louhansk non contrôlées par le gouvernement ukrainien.

Le tableau ci-dessous reprend de manière schématique les principales sanctions en lien avec les territoires ainsi visés.

Si ces Règlements peuvent également cibler certains secteurs, ils se caractérisent surtout par leur dimension géographique. Il est d’ailleurs probable que des Règlements similaires soient adoptés dans l’hypothèse où d’autres régions viendraient à échapper au contrôle du gouvernement ukrainien.

Biens et services touchés Mesures restrictives Références
Règlement  (UE) 692/2014 Règlement (UE) 2022/263
Marchandises originaires des territoires visés

Interdiction d’importer dans l’UE des marchandises originaires des territoires visés.

 

Interdiction de fournir, directement ou indirectement, un financement, une aide financière et des services d’assurance et de réassurance en rapport avec ces importations.

Art. 2 et Art. 3 Art. 2
Biens immobiliers Interdiction d’acquérir une participation ou augmenter une participation existante dans la propriété de biens immobiliers situés dans les territoires visés. Art. 2 bis a) et Art. 2 sexies Art. 3 a) et Art. 7
Participation financière dans des entités Interdiction d’acquérir une nouvelle participation ou d’augmenter une participation existante dans la propriété ou le contrôle des entités dans les territoires visés. Art. 2 bis b) et Art. 2 sexies Art. 3 b) et Art. 7
Prêts ou crédits Interdiction d’accorder des prêts ou crédits, ou de participer à de tels accords, ou de fournir d’une autre manière un financement, y compris une participation au capital, à une entité dans les territoires visés ou dans le but établi de la financer. Art. 2 bis c) et Art. 2 sexies Art. 3 c) et Art. 7
Coentreprise Interdiction de créer toute coentreprise dans les territoires visés ou avec une entité dans les territoires visés. Art. 2 bis d)  et Art. 2 sexies Art. 3 d) et Art. 7
Services d’investissement Interdiction de fournir des services d’investissement directement liés aux activités énumérées aux points a) à d) de l’Article 2. Art. 2 bis e) et Art. 2 sexies Art. 3 e) et Art.7
Biens et technologies (secteurs des transports, télécommunication, énergie, ainsi que la prospection, l’exploration et la production pétrolières, gazières et minières)

Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter certains biens et technologies (énumérés à l’Annexe II) à tout personne ou entité dans les territoires visés ou en vue d’une utilisation dans ces territoires.

 

Interdiction de fournir une assistance technique, des services de courtage en rapport avec ces biens et technologies, ou liés à la fourniture, fabrication, entretien, utilisation de ces articles à toute personne/entité dans les territoires visés, ou en vue d’une utilisation dans ces territoires.

 

Interdiction de fournir directement ou indirectement un financement ou une aide financière en rapport à ces biens et technologies à toute personne/entité dans les territoires visés ou en vue d’une utilisation dans ces territoires.

Art. 2 ter et Art. 2 sexies Art. 4, Art. 4 bis et Art. 7
Infrastructure Interdiction de fournir une assistance technique ou des services de courtage, construction ou ingénierie directement liés à des infrastructures dans les territoires visés dans les secteurs des transports, télécommunication, énergie, ainsi que la prospection, l’exploration et la production pétrolières, gazières et minières. Art. 2 quater Art. 5 et 5 bis
Tourisme Interdiction de fournir des services directement liés à des activités touristiques dans les territoires visés. Art. 2 quinquies Art. 6

Source : Karim Djedid pour l’ESBanque

De manière générale, les sanctions visent ainsi à restreindre les échanges avec ces territoires et les activités favorisant le développement des entités qui y sont présentes.

Les services d’investissement sont définis de manière très large et comprennent les services et activités suivants :

  • la réception et la transmission d’ordres portant sur un ou plusieurs instruments financiers
  • l’exécution d’ordres pour le compte de clients
  • la négociation pour compte propre
  • la gestion de portefeuille
  • le conseil en investissement
  • la prise ferme d’instruments financiers et/ou le placement d’instruments financiers avec engagement ferme
  • le placement d’instruments financiers sans engagement ferme
  • tout service en liaison avec l’admission à la négociation sur un marché réglementé ou la négociation dans un système multilatéral de négociation.

A titre d’exemple, un fonds d’investissement ne peut donc pas réaliser d’investissements en private equity ou real estate (immobilier) dans ces territoires.

Il faut également noter que ces sanctions sont bien circonscrites dans l’espace et dans le temps.

A titre d’exemple, l’article 2 du Règlement Crimée et l’article 3 du Règlement Louhansk précisent que les interdictions et restrictions énoncés « ne s’appliquent pas à l’exercice d’activités économiques légitimes avec des entités en dehors de [ces territoires], pour autant que les investissements concernés ne soient pas destinés aux entités dans [ces territoires] ». De même, les interdictions visées par ces articles sont « sans préjudice de l’exécution d’une obligation découlant d’un contrat conclu avant [le 20 décembre 2014 pour le Règlement Crimée et le 23 février 2022 pour le Règlement Donetsk et Louhansk] ou de contrats accessoires à l’exécution d’un tel contrat, pour autant que l’autorité compétente en ait été informée au moins cinq jours ouvrables à l’avance ».

Enfin, ces sanctions sont également assorties d’exceptions et d’autorisations, parfois précisées dans d’autres articles (par exemple l’article 2 sexies du Règlement (UE) 692/2014), si bien qu’une lecture exhaustive du Règlement demeure recommandée. Un tel encadrement existe également dans les mesures sectorielles du Règlement (UE) 833/2014.

quelles sont les mesures sectorielles du règlement (ue) 833/2014 ?

Le Règlement (UE) 833/2014 est de loin le plus étendu en termes de mesures restrictives.

Le tableau ci-dessous offre une vision synthétique des secteurs ainsi touchés et des principales restrictions à l’œuvre. Il s’agit moins ici d’être exhaustif que d’identifier les principaux biens et services sur lesquels portent les mesures restrictives.

Secteurs Mesures restrictives Références
Défense et sécurité

Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies à double usage (Annexe I du Règlement (UE) 2021/821). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière.

 

Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies susceptibles de contribuer au renforcement militaire et technologique russe ou au développement du secteur de la défense et de la sécurité (Annexe VII). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière.

Art. 2 à 2 quinquies
Interdiction de fournir une assistance technique, un financement ou une assistance financière en rapport avec les biens et technologies figurant dans la liste commune des équipements militaires. L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 4
Média Interdiction de diffuser ou de participer à la diffusion de contenus provenant de certaines entités listées en Annexe XV (ex : Russia Today France), ou de faire de la publicité dans les contenus produits ou diffusés par ces entités Art. 2 septies
Énergie Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies énumérés à l’Annexe II. L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3
Interdiction d’acquérir/augmenter une participation dans une entité, d’accorder de nouveaux prêts, crédits ou autres financements, de créer une nouvelle coentreprise à une entité établie ou constituée selon le droit de la Russie ou de toute autre pays tiers et opérant dans le secteur de l’énergie en Russie ou de fournir des services d’investissement liés à ces activités. Art. 3 bis
Interdiction d’acheter, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies propices à une utilisation dans le raffinage et la liquéfaction de gaz naturel (Annexe X). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 ter
Transports Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des biens et technologies propices à une utilisation dans le secteur de l’aviation ou l’industrie spatiale (Annexe XI) et les carburéacteurs et additifs pour carburants (Annexe XX), de fournir des services d’assurance et de réassurance en rapport avec ces biens et technologies, ainsi que d’exécuter certaines tâches spécifiques. Art. 3 quarter
Interdiction pour certains aéronefs d’atterrir sur le territoire de l’UE, d’en décoller ou de le survoler Art. 3 quinquies et sexies
Interdiction d’accès aux ports de l’UE aux navires immatriculés sous pavillon russe Art. 3 sexies bis
Interdiction d’exporter des biens et technologies de navigation maritime (Annexe XVI). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 septies
Interdiction aux entreprises de transport routier établies en Russie de transporter des marchandises par route sur le territoire de l’UE, y compris en transit. Art. 3 terdecies
Matières premières et autres biens Interdiction d’importer, acheter ou transporter certains produits sidérurgiques (Annexe XVII). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage, d’un financement ou d’une assistance financière, ainsi que des produits d’assurance et de réassurance en lien avec ces interdictions. Art. 3 octies
Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter certains produits de luxe (Annexe VIII). Art. 3 nonies
Interdiction d’acheter, importer ou transférer certains biens générant d’importantes recettes pour la Russie ou lui permettant de mettre en œuvre des actions déstabilisatrices (Annexe XXI). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 decies
Interdiction d’acheter, importer ou transférer du charbon et d’autres combustibles fossiles solides (Annexe XXII). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 undecies
Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter certains biens susceptibles de contribuer au renforcement des capacités industrielles russes (Annexe XXIII). L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, de services de courtage et autres services, y compris la fourniture d’un financement ou d’une aide financière. Art. 3 duodecies

Interdiction d’acheter, importer ou transférer du pétrole brut ou produits pétroliers listés à l’Annexe XXV. L’interdiction s’étend à la fourniture d’une assistance technique, des services de courtage, d’un financement ou d’une aide financière ou tout autre service en lien avec cette interdiction.

 

Interdiction de fournir une assistance technique, des services de courtage ou un financement ou une aide financière en lien avec le transport vers des pays tiers de pétrole brut ou de produits pétroliers (Annexe XXV).

Art. 3 quaterdecies et quindecies
Finance Interdiction de fournir un financement ou une aide financière public en faveur des échanges commerciaux avec la Russie ou des investissements dans ce pays. Art. 2 sexies
Interdiction de fournir un soutien, y compris un financement, aide financière ou autre avantage au titre d’un programme national de l’UE, Euratom ou un État membre aux entités établies en Russie détenues ou contrôlées à plus de 50% par l’État. Art. 5 terdecies

Interdiction de réaliser des opérations d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire (après une certaine date d’émission ou sous une certaine maturité) ou toute autre transaction portant sur ceux-ci par certaines entités.

 

Interdiction de répertorier et de fournir des services sur certaines plates-formes de négociation pour les valeurs mobilières de toute entité établie en Russie et détenue à plus de 50% par l’Etat russe.

 

Interdiction de conclure un accord ou de faire partie d’un accord en vue d’accorder de nouveaux prêts ou crédits (selon les cas, sous une certaine échéance et après une certaine date).

Art. 5
Interdiction réaliser des opérations d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire (après une certaine date d’émission) ou toute autre transaction portant sur ceux-ci, y compris les nouveaux prêts et crédits, en lien avec la Russie et son gouvernement, la Banque centrale de Russie ou une entité agissant pour le compte ou sous les instructions de la Banque centrale. Art. 5 bis
Interdiction de participer directement ou indirectement à toute transaction avec une entité listée à l’Annexe XIX . Art. 5 bis bis

Interdiction d’accepter des dépôts de ressortissants russes ou personnes physiques résidant en Russie, personne morale, entités ou organismes établies en Russie si la valeur totale des dépôts dépasse 100 000 par établissement de crédit.

 

Interdiction de fournir des services de portefeuille de crypto-actifs, de compte en crypto-actifs et de conservation de crypto-actifs si la valeur totale dépasse 10 000 par fournisseur de services de portefeuille, de compte ou de conservation.

 

Obligation de fournir des informations relatives aux dépôts susvisés.

Art. 5 ter à quinquies et 5 octies
Interdiction touchant les services de dépositaires centraux pour certaines valeurs mobilières à tout ressortissant russe, personne physiques résidant en Russie ou entité établie en Russie. Art. 5 sexies
Interdiction de vendre des valeurs mobilières libellées dans une monnaie officielle d’un État membre ou des parts d’organismes de placement collectif (OPC) offrant une exposition à ces valeurs à tout ressortissant russe, personne physique résidant en Russie ou entité établie en Russie. Art. 5 septies
Interdiction de fournir de services spécialisés de messagerie financière. Art. 5 nonies
Interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des billets de banque libellés dans une monnaie de l’un État membre à ou vers la Russie ou toute personne physique ou entité en Russie, y compris le gouvernement et la Banque centrale de Russie, ou aux fins d’une utilisation dans ce pays. Art. 5 decies
Interdiction de fournir des services de notation de crédit à tout ressortissant russe, personne physique résidant en Russie ou entité établie en Russie. Art. 5 undecies
Interdiction d’attribuer ou de poursuivre l’exécution de marché public ou contrats de concessions. Art. 5 duodecies
Interdiction de fournir un soutien, y compris un financement, aide financière ou autre avantage au titre d’un programme national de l’UE, Euratom ou un État membre aux entités établies en Russie détenues ou contrôlées à plus de 50% par l’État. Art. 5 terdecies
Autres services Interdiction d’enregistrer une fiducie ou autre construction juridique similaire, ou de fournir un siège statutaire, une adresse commerciale/administrative ou des services de gestion à une fiducie ou tout construction juridique similaire. Art. 5 quaterdecies
Interdiction touchant les services de comptabilité, de contrôle des comptes, de tenue de livres ou de conseils fiscaux, ou de services de conseil en matière d’entreprise et de gestion ou de services de relations publiques. Art. 5 quindecies

Source : Karim Djedid pour l’ESBanque

Plusieurs remarques d’ordre général méritent là encore d’être soulevées.

A la différence des Règlements visant les territoires échappant au contrôle du gouvernement ukrainien, les mesures restrictives sont dans l’ensemble plus spécifiques. Elles visent des biens et services particuliers et le Règlement renvoie à de nombreuses annexes pour identifier le périmètre précis des sanctions. Dans le secteur de la finance, certaines restrictions ne visent que certaines entités déterminées.

Cela étant, le Règlement partage certaines caractéristiques des Règlements visant la Crimée et Sébastopol ainsi que Donetsk et Louhansk.

Les restrictions de prime abord purement commerciales et touchant les échanges de certains biens et technologies sont souvent bien plus larges et peuvent ainsi couvrir, en plus de l’interdiction de fournir une assistance technique, des services de courtages ou autres, la fourniture d’un financement ou d’une aide financière.

Ainsi, l’article 3 octies interdit de fournir « directement ou indirectement, une assistance technique, des services de courtage, un financement ou une assistance financière, notamment des produits dérivés, ainsi que des produits d’assurance et de réassurance, en lien avec les interdictions » liées à l’importation, l’achat et le transport des produits sidérurgiques énumérés à l’Annexe XVII. Connaître le sous-jacent d’un financement peut donc être déterminant pour savoir si une transaction est impactée par les sanctions.

Les opérations de trade finance d’une banque pourraient ainsi être exposés par ces restrictions.

Ensuite, ces restrictions peuvent également être accompagnées d’exceptions ou de demandes possibles d’autorisations, et sont encadrées dans le temps.

Ainsi, le même article 3 octies prévoit que les interdictions ne s’appliquent pas à l’exécution jusqu’au 17 juin 2022 des contrats conclus avant le 16 mars 2022 ou des contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats. Il est donc là encore nécessaire de consulter le contenu des articles pour déterminer la portée exacte de ces interdictions.

Cet encadrement est encore plus manifeste pour les restrictions portant sur le secteur financier, où la date d’émission et d’échéance d’un titre peuvent entrer en ligne de compte. A titre d’exemple, l’article 5 paragraphe 2 interdit « les opérations, directes ou indirectes, d’achat, de vente, de prestations de services d’investissement ou d’aide à l’émission, de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire, émis après le 12 avril 2022, ou toute autre transaction portant sur ceux-ci » par certains établissements énumérés à l’Annexe XII (ex : Alfa Bank). Les valeurs mobilières émises avant le 12 avril 2022 par ces entités peuvent ainsi toujours être achetées ou vendues.

Enfin, ces obligations sont souvent formulées de manière très générique, tant et si bien que des incertitudes peuvent subsister quant à leur interprétation et leur application concrète. Pour aider les opérateurs à mieux comprendre la portée de ces obligations, la Commission européenne et la Direction Générale du Trésor (DG Trésor) ont publié des Foires aux Questions (FAQ) dédiées aux différents régimes de sanctions. La DG Trésor peut en outre être contactée pour toute question relative à la mise en œuvre de ces mesures (sanctions-russie@dgtresor.gouv.fr).

Les sanctions financières ci-dessous illustrent les difficultés d’interprétation auxquelles les établissements financiers peuvent être exposés :

L’interdiction d’accepter certains dépôts : article 5 ter

L’article 5 ter paragraphe 1 « interdit d’accepter des dépôts de ressortissants russes ou de personnes physiques résidant en Russie, ou de personnes morales, d’entités ou d’organismes établis en Russie si la valeur totale des dépôts de la personne physique ou morale, de l’entité ou de l’organisme dépasse 100 000 € par établissement de crédit. ».

Le paragraphe 3 précise que l’interdiction ne s’applique pas « aux ressortissants d’un État membre, d’un pays membre de l’Espace économique européen ni de la Suisse, ni aux personnes physiques titulaires d’un titre de séjour temporaire ou permanent dans un État membre, dans un pays membre de l’Espace économique européen ou en Suisse. »

Quels sont les comptes visés par cette interdiction et comment s’apprécie ce seuil de 100 000 € ?

Dans la continuité des lignes directrices de la Commission européenne, la DG Trésor a ainsi apporté des réponses à certaines des questions posées par les établissements de crédit, notamment :

  • la valeur des actifs détenus sur un compte titres ou un PEA n’est pas prise en compte, mais les montants détenus sur des comptes espèces liés à des comptes titres doivent être considérés.
  • le seuil de 100 000 € s’apprécie par client et par établissement, et non pour chaque compte pris individuellement. Il y aura donc lieu le cas échéant d’agréger les montants des différents comptes, en tenant compte s’il y lieu des soldes débiteurs.
  • l’interdiction de l’article 5 ter a pour effet d’interdire à un établissement de procéder à un versement d’intérêts, de coupons et de dividendes si ce versement a pour effet de dépasser le seuil de 100 000 €. Ces sommes pourront en pratique être isolées sur un compte séquestre auquel le client n’aura pas accès.
  • l’interdiction s’applique même aux comptes détenus par des mineurs.
  • les comptes bancaires détenus conjointement entre une personne sanctionnée et une personne non sanctionnée ne sont pas concernés par le plafonnement, pour autant que le compte ne soit pas utilisé à des fins de contournement des mesures de sanctions. Lorsque les deux titulaires du compte joint sont sanctionnés, le montant maximum autorisé est relevé à 200 000 €. Si l’un des titulaires est un binational européen, l’interdiction de plafonnement ne s’applique pas mais un devoir de vigilance subsiste pour s’assurer que le compte joint ne sert pas à contourner les sanctions.

Certaines de ces dispositions sont difficilement déductibles de la seule lecture de l’article 5 ter, d’où l’intérêt de consulter les FAQs pour en mesurer l’exacte portée.

La restriction de la vente d’OPC : article 5 septies

L’article 5 septies paragraphe 1 interdit, sauf exception prévue au paragraphe 2 « de vendre des valeurs mobilières libellées dans n’importe quelle monnaie officielle d’un État membre émises après le 12 avril 2022 ou des parts d’organismes de placement collectif offrant une exposition à ces valeurs, à tout ressortissant russe, à toute personne physique résidant en Russie ou à toute personne morale, toute entité ou tout organisme établi en Russie. »

La DG Trésor a confirmé que les ventes d’OPC ne sont interdites que pour les OPC exposés à des valeurs mobilières émises après cette date.

La DG Trésor a néanmoins précisé que « les sociétés de gestion pourraient juger pertinent, afin de garantir l’application à tout instant du régime de sanctions, de bloquer la commercialisation à des ressortissants russes de tout OPC susceptible d’être exposé à court ou moyen terme à des valeurs mobilières émises après le 12 avril, quand bien même leurs portefeuilles ne contiendraient pas de telles expositions à ce jour ».

Quid cependant lorsque des investisseurs russes sont déjà présents dans le registre du fonds ?

Ce point illustre les difficultés pratiques que peuvent poser la mise en œuvre des régimes de sanctions pour les fonds d’investissement. 

 

 

 

Au cours des dernières semaines, les mesures restrictives prises à l’encontre de la Russie se sont diversifiées, frappant notamment les zones géographiques ayant échappé au contrôle ukrainien et des secteurs importants pour l’économie russe.

A la différence des mesures de gel, ces sanctions ne visent pas, sauf exceptions, des personnes ou des entités déterminées, si bien qu’un établissement financier ne saurait faire reposer sa vigilance exclusivement sur le filtrage de ses clients ou de ses contreparties. Une lecture attentive des Règlements doit être réalisée pour s’assurer que ses activités sont bien conformes aux régimes de sanctions.

La Commission Européenne et la DG Trésor tiennent à présent régulièrement à jour des FAQs pour éclairer au mieux les opérateurs. En cas de doute ou de question sur la mise en œuvre des mesures restrictives, se rapprocher de la DG Trésor demeure l’action la plus recommandable pour s’assurer de rester en conformité avec les régimes de sanctions.

Sources :