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L’EPPO, le nouveau Parquet européen entre en fonction

L’EPPO, le nouveau Parquet européen entre en fonction

Temps de lecture estimé : 7 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Créé le 1er mars, le Parquet européen ou EPPO (European Public Prosecutor’s Office) est un pas novateur et important vers un droit pénal européen de la conformité. Explications.

Retardé en raison de la pandémie du coronavirus, le Parquet Européen dit EPPO (European Public Prosecutor’s Office) ou Bureau du Procureur Général Européen (BPGE) est entré en vigueur ce 1er mars. A sa tête, Laura Kösevi, ex-procureur général puis dirigeante de la Direction Nationale Anticorruption de Roumanie, a été nommée chef du Parquet.

Laura Kösevi est dans son pays une véritable égérie de la lutte contre la corruption. Sa nomination à la tête du Parquet européen témoigne de l‘objectif déterminé de l’Europe de lutter contre toute atteinte financière aux fonds européens, qu’il s’agisse de fraude transfrontalière à la TVA, de corruption, de détournement de fonds ou de blanchiment de capitaux.

Point sur les objectifs, les compétences, l’organisation et les défis qui attendent le Parquet européen.

objectifs du parquet européen

Jusqu’à l’entrée en vigueur du Parquet européen, la lutte contre les infractions portant atteinte au budget de l’UE relevait de la compétence pénale exclusive des Etats Membres, chacun ayant son propre mécanisme judicaire et de sanctions.

Les juridictions nationales ne sont compétentes que dans leur propre pays, ce qui constitue une limite pour lutter contre la fraude financière devenue transnationale.

L’UE dispose d’organismes visant à identifier et lutter contre la criminalité financière internationale, tels l’OLAF (Office européen de lutte antifraude), Eurojust (Unité européenne de coopération judiciaire), Europol (Office européen de police) mais ces derniers n’ont pas de possibilité d’enquête, ni d’initiation de poursuites pénales dans les différents pays membres.

Or l’ampleur des fraudes au budget européen est significative :

  • L’écart de TVA entre les recettes attendues et perçues au sein de l’UE représente 147 milliards d’euros en 2018 selon les estimations de la Commission européenne. La fraude à la TVA liée à la criminalité organisée s’élève entre 40 et 60 milliards d’euros par an selon Europol.
  • Les infractions au budget européen prennent aussi la forme de détournement d’actifs, d’escroquerie, de corruption, d’abus de confiance ou de blanchiment de capitaux.
  • Les infractions portant atteinte aux fonds de l’UE et signalées par les Etats se sont élevées à 1.197 millions d’euros en 2018 selon la Commission européenne.
  • En 2010 et 2019, l’OLAF a identifié plus de 7,3 milliards d’euros de fraude et a émis plus de 2.700 recommandations de mesures judiciaires, financières, disciplinaires ou administratives.

L’enjeu financier est donc important pour l’UE. Les mesures d’aides financières à la suite de la Covid-19 risquent par ailleurs de considérablement accroître ces phénomènes de fraudes. Selon Europol, seuls 11 % des sommes liées à la criminalité financière sont actuellement récupérées.

Il devenait donc indispensable pour l’UE de disposer d’une institution transnationale, ayant pour objectif de protéger ses intérêts financiers et disposant d’un pouvoir pénal à l’échelle européenne.

Le Parquet européen tire son origine du Traité de Lisbonne de décembre 2009. L’article 86 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’UE) a permis d’établir la base du règlement du Conseil de l’UE du 12 octobre 2017 portant création du Parquet européen, le 20 novembre 2017.

Compte tenu de désaccords sur son adoption, seuls 22 Etats membres de l’UE ont accepté le principe du Parquet européen, dans le cadre du mécanisme de coopération renforcée. La Hongrie, la Pologne, l’Irlande, la Suède et le Danemark n’en font pas partie.

Sa mise en place a ensuite nécessité l’approbation de chacun des 22 pays membres. Le projet de loi sur le Parquet européen a été adopté en France par le Sénat, puis l’Assemblée Nationale, le 16 décembre 2020.

Le Parquet européen est officiellement entré en fonction le 1er mars 2021.

compétences du parquet européen

Le Parquet européen est compétent à l’égard de toute infraction commise après sa date d’entrée en vigueur, le 20 novembre 2017 et portant atteinte au budget de l‘UE, qu’il s’agisse de :

  • fraude, notamment la fraude transfrontalière à la TVA
  • corruption
  • blanchiment de capitaux, escroquerie, détournement de fonds ou certains délits douaniers.

Le Parquet interviendra à partir d’un seuil de 10.000 € de fraude et 10 Millions € de préjudice pour la fraude à la TVA.

Jusqu’à présent, ces infractions au budget de l’UE ne pouvaient être poursuivies que par un État.

La création du Parquet européen est donc d’importance capitale. Il dispose d’un pouvoir pénal transnational et d’une véritable indépendance vis-à-vis des juridictions nationales des Etats membres.

Quand une enquête est menée par le Parquet européen, l’autorité nationale concernée doit arrêter la sienne et transmettre au Parquet les informations dont elle dispose.

Toutefois, la création du Parquet européen ne s’accompagne pas d’une instance judiciaire européenne. Les affaires instruites seront jugées par les tribunaux compétents de chaque pays.

organisation et pouvoirs du parquet européen

Le Parquet européen a son siège au Luxembourg, comme la Cour de Justice de l’UE (CJUE) et la Cour des comptes européenne.

Le chef du Parquet européen est nommé pour un mandat de 7 ans non renouvelable, choisi sur une liste établie après appel à candidature, par la Cour de Justice et le Parlement européen. Il n’est révocable que par la Cour de Justice, ce qui assure son indépendance.

La Procureure générale de Roumanie, Laura Codruta Kövesi, a été nommée présidente du Parquet européen le 16 octobre 2019.

Le fonctionnement du Parquet s’articule sur deux niveaux :

  • Le 1er niveau a pour objectif de définir la stratégie et de décider des enquêtes à mener.

    Il est dirigé par le chef du Parquet et composé d’un collège de 22 procureurs généraux, un par État membre.

    Les procureurs généraux sont nommés pour un mandat non renouvelable de 6 ans, prorogeable pour une durée maximale de 3 ans.

    Ils sont désignés par le Conseil de l’UE sur proposition de chacun des pays membres et doivent avoir occupé activement des fonctions du ministère public ou du corps judiciaire de l’État.
    Frédéric Baab, magistrat, ayant longuement exercé pour la coopération européenne, ancien membre de l’Unité européenne de coordination judiciaire Eurojust, a ainsi été nommé procureur général pour la France.

  • Le 2ème niveau est constitué de 140 procureurs européens délégués. Basés dans chaque État membre, leur nombre diffère selon les pays : la France compte ainsi 5 procureurs, l’Allemagne 11, l’Italie 20.

    Leur rôle est de superviser les enquêtes et les poursuites dans leur pays respectif. Ils sont indépendants de toute hiérarchie nationale et relèvent exclusivement du Parquet européen. Ils constituent donc de nouveaux magistrats au sein de chaque pays membre. Pour la France, les procureurs européens délégués sont basés au sein du parquet financier à Paris.

    Les procureurs européens délégués disposent d’un pouvoir équivalent à ceux d’un juge d’instruction : ils pourront ouvrir une enquête, procéder à une mise en examen. Les perquisitions pourront être réalisées à leur initiative, sous contrôle du juge des libertés et de la détention français. Les arrestations ne pourront être faites qu’avec l’aval des autorités judiciaires nationales.

    Les procureurs européens délégués traiteront donc des enquêtes relevant de leur pays, en étant supervisés par les membres permanents du collège des procureurs généraux (1er niveau). Chaque affaire traitée par un procureur délégué européen sera ainsi suivie par 3 procureurs généraux de 3 pays différents qui prendront les décisions d’investigation.

Le Parquet européen pourra enquêter dans toute l’Europe sans avoir à passer par des voies diplomatiques ou des commissions rogatoires internationales.

Le Parquet européen en quelques chiffres : 

Entrée en vigueur 1er mars 2021

Chef du Parquet

Nommé pour 7 ans, non renouvelable.
Première nomination : Laura Kösevi

1er niveau

Chef du Parquet
+ 22 procureurs généraux, 1 par État membre

2ème niveau

140 procureurs européens délégués basés dans les Etats membres et nommés par ces derniers (nombre variable selon les pays, 5 pour la France).
Au 31 mars, 32 procureurs délégués européens nommés dans 7 pays.

Objectifs

2.000 affaires traitées en moyenne chaque année.
A ce jour, déjà 3.000 dossiers en attente.

Budget

44 millions d’euros pour 2021

les défis à venir pour le parquet européen

Première instance européenne de ce type, le Parquet européen doit relever de nombreux défis.

Tout d’abord, réussir son démarrage et en réduire au maximum la durée, la crise de la Covid-19 ayant déjà retardé son entrée en vigueur.

Alors que les nominations des procureurs généraux ont eu lieu en juillet 2020, celle des 140 procureurs délégués européens prend plus de temps. A ce jour, seuls 32 ont été nommés dans 7 pays.

Ensuite, assurer le rythme attendu et fixé par la chef du Parquet de traitement des 2.000 affaires en moyenne par an. A ce jour, 3.000 dossiers seraient déjà en attente.

Enfin, disposer d’un budget suffisant à la hauteur des moyens à mettre en place. Le coût de fonctionnement actuellement évalué à 44 millions se présente déjà comme insuffisant, selon la chef du Parquet, compte tenu de l’ampleur de la tâche.

Autre défi de taille, le Parquet européen va devoir réussir sa coopération avec :

  • les autorités judiciaires nationales
  • mais aussi, les autres organes européens existants et luttant contre la fraude au budget de l’UE (Union européenne), notamment :
    • l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) : cette instance européenne mène des enquêtes administratives, émet des recommandations mais ne peut engager de poursuites. Sa coopération avec le Parquet européen est donc essentielle.
    • l’Unité européenne de coopération judiciaire (Eurojust) : cette agence a pour objectif de faciliter la coopération et la coordination entre autorités judiciaires des pays mais ne dispose pas non plus de pouvoir de poursuite. Cet organe pourra aider le Parquet à mieux coopérer avec les Etats non participants et avec les autres pays de manière générale.
    • l’agence de coordination des polices européennes (Europol) : son rôle est d’aider les autorités de police nationales à lutter contre la criminalité et le terrorisme au niveau international. La coopération avec le Parquet européen est ainsi centrale, en termes de partage d’informations et d’analyses dans les enquêtes menées.

La création du Parquet européen est incontestablement une étape importante vers l’émergence d’un droit pénal européen en matière de conformité.

Les textes prévoient la possibilité d’élargir les compétences du Parquet européen à une dimension transfrontalière, plus large qu’européenne, telle la lutte contre la corruption internationale par exemple. Il serait alors un pas important sur la voie de la création d’un droit pénal international de la conformité.

Auteur

Anne Brouard

Anne Brouard est Intervenante-formatrice pour l’ESBanque

Sources :

Métiers de la Conformité et des Risques : évolutions et nouveaux défis

Métiers de la Conformité et des Risques : évolutions et nouveaux défis

Temps de lecture estimé : 11 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Dernière étude de l’Observatoire des Métiers de la Banque : les fonctions de la Conformité et et des Risques doivent relever de nouveaux défis : culturel, RH, nouvelles technologies. Décryptage.

 

L’Observatoire des Métiers de la Banque vient de publier une étude menée par Topics sur les métiers de la Conformité et des Risques. Nous en retraçons pour vous les principaux points.

Les métiers de la Conformité et des Risques n’ont pas connu le même parcours. Issus du monde juridique pour l’un, du monde du chiffre pour l’autre, leur évolution s’est particulièrement différenciée à partir de la crise financière de 2008 et de ses conséquences en matière d’exigence réglementaire et de multiplication des sanctions.

Après une intense période de croissance dans les métiers de la Conformité, et l’atteinte d’une stabilisation dans celui des Risques, ces deux fonctions ne présentent pas aujourd’hui les mêmes évolutions, ni les mêmes besoins.

Pour autant, elles sont soumises aux mêmes challenges : un enjeu culturel tout d’abord pour insuffler les principes et les réflexes de leur métier dans l’ensemble des secteurs de la banque, une stratégie de ressources humaines adaptée à des équipes expertes, diversifiées et en forte croissance, une intégration des nouveaux outils technologiques (Big Data, Intelligence Artificielle) indispensable à l’optimisation de leur activité.

fonction conformité, fonction risques : évolutions différentes et enjeux spécifiques

En réponse aux crises financières et aux exigences croissantes du régulateur, les métiers de la Conformité ont connu un développement conséquent ces quinze dernières années. Selon l’étude de l’Observatoire des Métiers de la Banque publiée ce mois-ci, ces filières doivent maintenant stabiliser et optimiser leurs moyens.

La même étude constate que les métiers des Risques ont suivi une trajectoire plus stable mais gardent une contrainte de gestion quantitative d’opérations qu’ils doivent optimiser.

métier de la conformité : une forte croissance à maîtriser

Suite à la crise des sub-primes de 2008 et l’avalanche de normes et de sanctions financières qui s’en suivirent, la fonction Conformité a considérablement renforcé ses moyens et ses effectifs.

L’étude précitée nous indique que ce très fort recrutement s’est opéré à 80 % en interne, dans un objectif d’intensifier la connaissance du métier et du terrain indispensable à la fonction.
L’effectif moyen des équipes Conformité est ainsi passé en l’espace de 5 ans de 2,4 % à 3,7 % de l’effectif total de la banque en 2019, rattrapant presque celui de la fonction Risques représentant 4,2 % de l’effectif à la même date.

Ce recrutement intensif s’est accompagné également d’une féminisation du métier, les femmes devenant majoritaires dans les effectifs Conformité à partir de 2016.

Parallèlement à ce développement en emplois, l’étude récemment publiée constate que la fonction Conformité, issu des fonctions juridiques, s’est profondément transformée pour devenir autonome et s’installer à part entière dans la fonction de contrôle permanent de 2ème niveau, dite encore « deuxième ligne de défense ».

Source : Etude « Evolution des Métiers de la Conformité et des Risques dans le secteur bancaire » réalisée par Topics pour l’Observatoire des Métiers de la Banque – Mars 2021

 

Selon l’enquête de l’Observatoire des Métiers de la Banque, le métier de la Conformité s’organise aujourd’hui autour de 3 pôles :

  • Pôle expertise garant des risques de non-conformité et organisé par type de risque :
    • La sécurité financière : regroupant les problématiques de LCB/FT (Lutte Contre le Blanchiment des capitaux et Financement du Terrorisme), le respect des sanctions internationales et des embargos, et la connaissance du client (KYC, Know Your Customer).
    • La déontologie, l’éthique et la conduite responsable : incluant la lutte contre la corruption, la prévention des conflits d’intérêt, et les enjeux de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises).
    • Les services responsables de l’application des réglementations
    • La data protection : protection des données personnelles
    • La protection de la clientèle
    • Le respect de l’intégrité des marchés
    • La lutte contre l’évasion fiscale.
  • Pôle supervision des métiers de la banque
  • Pôle Fonctions Transverses incluant les fonctions de secrétariat général, de formation, de pilotage des projets

L’étude précitée relève qu’après des années de fort développement, les enjeux spécifiques de la fonction Conformité se situent aujourd’hui :

  • Dans le management des équipes :Selon la même étude, le recrutement intense de ces dernières années devrait ralentir mais il est également nécessaire de pouvoir gérer et animer au mieux ces équipes, composées de profils très variés, chacun expert dans leur domaine. La montée en puissance des métiers de la Conformité s’est en effet réalisée par recrutements successifs de compétences très diversifiées, nécessaires pour couvrir tous les aspects du métier et les exigences du régulateur : profils juridiques issus de la déontologie, profils métiers issus de l’opérationnel et du réseau, profils experts en data et nouvelles technologies …

    Ces profils, souvent pointus, composent aujourd’hui la fonction Conformité, chacun spécialisé dans son expertise. Il est indispensable de savoir gérer ces ressources humaines et animer ces équipes.

    Le rapport de l’Observatoire des Métiers de la Banque souligne que ce management doit s’envisager de manière nouvelle et appropriée. Le manager ne doit pas rechercher sa légitimité dans sa technicité et être un expert parmi les experts. Il doit s’attacher prioritairement à sa fonction d’animation et de développement des talents de chacun.
    Pour cela, une formation spécifique est nécessaire, ainsi qu’une bonne coordination avec le service RH (Ressources Humaines).

  • Dans le rapprochement et la communication avec le terrain : L’étude menée remarque également qu’il est nécessaire à la fonction Conformité de se rapprocher du terrain, du cœur de métier, jusqu’aux techniques commerciales et aux produits. L’exhaustivité croissante des exigences de conformité demande en effet à être présent dès la conception des produits, afin de les adapter aux normes de régulation. La Conformité doit pour cela se rapprocher constamment des métiers dits « Business ».Or, originellement issue de la filière juridique, l’étude constate que la fonction Conformité est très localisée dans les sièges sociaux, plus éloignée en cela des métiers opérationnels et de la « première ligne de défense ».

    Cet enjeu a déjà été pris en compte dans les stratégies de recrutement avec la recherche de profils opérationnels et commerciaux.

    La même étude note que la proximité avec le terrain ressort lors des processus de traitements d’alerte. La fonction Conformité est en effet responsable des investigations dans les processus de sécurité. Elle traite alors les données dites « chaudes », en enquêtant et en analysant directement une situation jugée à risque, décrite et personnalisée.

    Selon le rapport précité, cette relation avec le terrain doit être encore intensifiée pour aboutir à une communication plus fluide, une compréhension des prérogatives mutuelles et une meilleure efficacité des activités respectives.

fonction risques : une filière plus stabilisée

Le métier des Risques correspond à une fonction historique de la banque.  Selon l’enquête de l’Observatoire des Métiers de la Banque, il s’est développé à un rythme plus mesuré ces dernières années. L’effectif est en effet resté relativement stable après une légère augmentation après les crises financières.

La même étude constate que le métier des Risques s’est également émancipé de la fonction Finances, pour devenir une filière autonome. Il intervient globalement dans six domaines :

  • Les risques de marché
  • Les risques de liquidité
  • Les risques pays ou politique
  • Les risques opérationnels
  • Les risques de crédit et de contrepartie
  • Les risques technologiques : IT (Information Technology) et cybercriminalité
  • Les risques climatiques et ESG

Historiquement plus proche du métier opérationnel, l’enquête indique qu’il est davantage réparti dans les implantations géographiques des banques, ce qui lui permet d’être en relation plus étroite avec les fonctions business et la « première ligne de défense ».

Sa particularité est de traiter d’un très grand nombre de données dites « froides », c’est à dire chiffrées et normalisées.

Selon l’étude publiée, les enjeux à venir pour le métier des Risques reposent principalement dans l’optimisation du nombre conséquent de ces traitements de données et la capacité à orienter l’activité vers des tâches à forte valeur ajoutée. Le rôle des nouvelles technologies est ici crucial comme nous allons le voir.

Les fonctions de la Conformité et des Risques ont connu des développements fort différents et doivent faire face à des contraintes spécifiques.

Pour autant, le rapport récemment publié identifie des défis communs que ces métiers doivent aujourd’hui relever.

métiers de la conformité et des risques : les défis communs

Les fonctions Conformité et Risques, malgré des parcours distincts, ont été soumises à des tendances proches et vont certainement, selon l’analyse précitée, connaître les mêmes enjeux à venir.

les évolutions similaires aux 2 métiers

Constat de l’étude, commun aux deux fonctions Conformité et Risques : elles sont devenues des métiers à part entière, dont les responsables sont souvent rattachés au plus haut niveau hiérarchique, développant autonomie et indépendance.

Les deux fonctions sont également aujourd’hui bien distinctes l’une de l’autre avec des périmètres d’intervention délimités. L’enquête constate ainsi que, même lorsqu’il est situé au sein de la filière Risque, le métier de la Conformité garde une place autonome.

L’étude rappelle que les deux métiers ont dû faire face ces dernières années à de nombreux défis communs :

  • L’entrée en vigueur des nouvelles réglementations ont concerné les deux fonctions : RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), Convention de Bâle, MIFID (Markets In Financial Instruments Directive), 4ème Directive UE 2015/849, Services de paiement DSP (Directive sur les Services de Paiement)
  • La montée en puissance de nouveaux domaines de risques : les sujets RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) mais aussi les impacts de réputation liés aux nouvelles communications par les réseaux sociaux
  • L’internationalisation : toujours aussi poussée, elle pose la question de la consolidation des données et de la maîtrise des risques.Sur ce point, le rapport indique que les établissements bancaires très implantés à l’international ont souvent fait le choix de l’offshoring, recrutant leurs fonctions Conformité et Risques directement dans les pays couverts. Cette internationalisation des activités Conformité et Risques soulèvent nécessairement le problème de la sécurité des données et des difficultés de communication. Pour ces raisons, certains établissements font aujourd’hui le choix d’un rapatriement de ces activités dans une zone plus proche de leur pays de base (nearshoring), voire d’une internalisation de ces plateformes.

Enfin, l’étude note que les deux métiers collaborent directement à la mise en place de certains outils comme la cartographie des risques et travaillent nécessairement ensemble sur les sujets de gestion des risques opérationnels ou de contrôle des risques de non-conformité.

un enjeu commun : insuffler la culture conformité et risques à tous les niveaux du métier bancaire

Pour l’étude menée par l’Observatoire des Métiers de la Banque, l’un des défis communs des filières Conformité et Risques est une meilleure synergie de métier avec la fonction opérationnelle dite « première ligne de défense ».

Il s’agit, selon l’analyse, de développer la culture Conformité et Risques au sein des activités « business ». Ceci suppose un travail de sensibilisation, de formation, de pédagogie, pour une meilleure acceptation et appropriation des nécessités règlementaires par les métiers de terrain.

En sens inverse, les fonctions Conformité et Risques doivent travailler à une meilleure compréhension des contraintes et des particularités des métiers opérationnels afin de devenir de véritables « business partners » les accompagnant sur le terrain.

nouveau challenge : une stratégie rh adaptée aux métiers conformité et risques

Selon l’enquête, les fonctions Conformité et Risque ne connaissent pas de difficultés d’attractivité et sont un passage valorisé dans les parcours professionnels.

Face à la forte demande pour rejoindre ces métiers, les politiques de recrutement sont devenues sélectives.

Mais le rapport relève que cette seule méthode ne suffit pas et que les deux métiers doivent aujourd’hui adapter leurs stratégies de ressources humaines. Il précise ainsi qu’il leur est nécessaire de :

  • Savoir gérer les nombreux profils disparates composant ces métiers et éviter les fractures :L’enquête a permis de constater que les deux fonctions Conformité et Risques sont composées de compétences très diverses et spécialisées :
    • Des profils issus de recrutements internes et provenant soit des métiers opérationnels et du réseau, des fonctions de juristes issus du secteur du contrôle, comme des spécialistes LCB/FT, aux profils souvent plus expérimentés et seniors.
    • Des profils externes, experts des nouvelles technologies (Big Data, Deep Learning, analyse de données) ou du RSE. Ce sont souvent de jeunes ingénieurs issus de cabinets de conseil.

Selon le rapport précité, cette composition hétérogène expose à des risques de dissociations entre profils juniors et plus seniors, mais aussi entre profils internes et externes. Ce dernier point pose la question des différences culturelles, de méthodes de travail différentes entre compétences externes et internes.

L’étude souligne qu’il est indispensable de créer un management adapté à cette situation et de le former.
Les managers doivent développer leur savoir-faire en termes d’animation d’équipe, de pratiques collaboratives, de conduite de projets. Ils doivent aussi gérer les risques de redondance d’activité et le turn-over des profils, particulièrement juniors. Ils ne sont plus attendus sur la seule maîtrise de leur expertise métier.

Des programmes de formation en leadership et en management, développés communément entre grandes écoles et établissements bancaires, sont mis en place pour cela.

Mais l’enquête précise que la réussite du management passe avant tout par :

  • la bonne collaboration entre le manager d’équipe Conformité et Risques et la direction RH.
  • l’adaptation des outils de ressources humaines et en premier lieu le niveau et les possibilités de formation aux nouveaux métiers de la Conformité et des Risques. Jusqu’en 2014, il existait peu de formations dédiées à ces métiers.Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des formations spécifiques, aujourd’hui fortement reconnues, ont été créées sur l’initiative des banques et d’institution de formation. L’étude de l’Observatoire des Métiers de la Banque relève ainsi l’existence de « partenariats avec l’Ecole Polytechnique, HEC ou l’ESBanque (Ecole Supérieure de la Banque),  par exemple, très novateurs ».Le rapport fait également référence au répertoire des métiers. Celui-ci doit évoluer pour prendre en compte ces nouvelles fonctions. Selon l’étude, l’AFB (Association Française des Banques) et les organisations syndicales travaillent également cette année à l’adaptation des conventions collectives à l’évolution de ces métiers.
  • L’étude prévient de la nécessité d’éviter l’hyper-spécialisation, qui risque d’apparaître suite aux recrutements d’experts de plus en plus pointus, en réponse aux exigences réglementaires dont le champ ne cesse de s’élargir.L’enquête indique que la fonction Risques, qui a plus de recul dans la gestion de son effectif, a déjà pris conscience de cette difficulté. La fonction Conformité va devoir aussi développer des profils plus généralistes ayant une vision globale des activités.

big data, ia, deep learning : les technologies de demain pour optimiser les métiers conformité et risques

Enfin, l’étude souligne l’importance des nouvelles technologies, indispensables aux deux métiers, Conformité et Risques, pour optimiser leurs moyens.

Selon l’enquête menée :

  • L’enjeu majeure de la Conformité est de passer d’une analyse et une réaction ex-post à la suite d’une alerte à une position pro-active permettant de détecter les signaux faibles de risque et les anticiper.
  • L’enjeu pour les Risques est de gagner en efficacité dans le traitement des nombreuses données chiffrées et de se focaliser sur les tâches à valeur ajoutée.

Les nouvelles technologies (Intelligence Artificielle, Machine Learning, Deep Learning, Big Data) permettent de répondre à ces problématiques.

L’étude de l’Observatoire des Métiers de la Banque conclut sur deux challenges fondamentaux pour les fonctions Conformité et Risques :

  • intégrer techniquement ces nouvelles technologies dans leur quotidien :Ceci suppose de fiabiliser les données et demande à réorganiser les systèmes d’information (SI) souvent mis en place par type de risque et d’exigence du régulateur. Il s’agit alors de sortir d’une organisation en « silos » constatée par l’étude et d’harmoniser les systèmes.
    Pour les groupes internationaux, cet enjeu est d’autant plus fort qu’il est nécessaire de produire des reportings consolidés.Parallèlement, le rapport indique que le niveau de digitalisation doit aussi augmenter. Ceci passe par une formation spécifique au sein des fonctions Conformité et Risques et le recrutement de compétences appropriées Data et IT.

    L’enquête a relevé que des start-up aux compétences technologiques spécialisées en Conformité, dites Regtech (Regulatory Technology) proposent déjà d’externaliser une partie de la gestion data des banques.

  • mais aussi, selon le rapport, faire entrer ces nouvelles technologies dans la stratégie d’entreprise et dans le cadre réglementaire.L’étude constate que les autorités régulatrices, bien qu’encourageant l’usage des nouvelles technologies, restent encore prudentes sur ce sujet. Les questions de la maîtrise du risque de ces nouveaux modèles et du niveau d’autonomie que l’on doit leur laisser restent en effet ouvertes.Dans la pratique, les techniques d’IA (Intelligence Artificielle) restent encore minoritaires et sont pratiquées parallèlement aux méthodes traditionnelles de contrôle et de traitement des données.

    Selon l‘étude, ces nouvelles technologies pourront plus rapidement se développer dans la fonction Risques qui manie beaucoup de données chiffrées et standardisées.

    Pour la Conformité, l’adaptation est plus délicate car les situations analysées correspondent à des données davantage personnalisées.

    Pour les deux métiers, la question reste néanmoins fondamentale.

    L’enquête a révélé que les méthodes actuelles de contrôle sont en effet très chronophages. Le nombre très conséquent d’alertes à traiter aboutit très souvent à des cas dits « faux positifs », à plus de 99 % selon l’étude précitée de l’Observatoire des Métiers de la Banque.

    Certains établissements, qui développent parallèlement l’IA dans la production d’alertes, commencent, selon l’étude, à avoir des résultats concluants : le nombre d’alertes déclenchées ne décroit pas avec ces méthodes technologiques mais sont mieux ciblées et aboutissent à environ 60 % de cas qualifiables de « vrais positifs ».

 

Le rapport souligne que ces expériences, transmises au régulateur, permettront de faire avancer l’usage des nouvelles technologies et les positions bancaires et réglementaires à ce sujet.

De manière générale, après le développement des normes et des sanctions d’après crise, l’étude constate que les relations entre les banques et les régulateurs entrent aujourd’hui dans une période plus ouverte et propice à la construction commune de fonctions Conformité et contrôle des Risques efficaces.

Auteur

Anne Brouard 

Anne Brouard est Intervenante-formatrice pour l’ESBanque