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Métiers de la Conformité et des Risques : évolutions et nouveaux défis

Métiers de la Conformité et des Risques : évolutions et nouveaux défis

Temps de lecture estimé : 11 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Dernière étude de l’Observatoire des Métiers de la Banque : les fonctions de la Conformité et et des Risques doivent relever de nouveaux défis : culturel, RH, nouvelles technologies. Décryptage.

 

L’Observatoire des Métiers de la Banque vient de publier une étude menée par Topics sur les métiers de la Conformité et des Risques. Nous en retraçons pour vous les principaux points.

Les métiers de la Conformité et des Risques n’ont pas connu le même parcours. Issus du monde juridique pour l’un, du monde du chiffre pour l’autre, leur évolution s’est particulièrement différenciée à partir de la crise financière de 2008 et de ses conséquences en matière d’exigence réglementaire et de multiplication des sanctions.

Après une intense période de croissance dans les métiers de la Conformité, et l’atteinte d’une stabilisation dans celui des Risques, ces deux fonctions ne présentent pas aujourd’hui les mêmes évolutions, ni les mêmes besoins.

Pour autant, elles sont soumises aux mêmes challenges : un enjeu culturel tout d’abord pour insuffler les principes et les réflexes de leur métier dans l’ensemble des secteurs de la banque, une stratégie de ressources humaines adaptée à des équipes expertes, diversifiées et en forte croissance, une intégration des nouveaux outils technologiques (Big Data, Intelligence Artificielle) indispensable à l’optimisation de leur activité.

fonction conformité, fonction risques : évolutions différentes et enjeux spécifiques

En réponse aux crises financières et aux exigences croissantes du régulateur, les métiers de la Conformité ont connu un développement conséquent ces quinze dernières années. Selon l’étude de l’Observatoire des Métiers de la Banque publiée ce mois-ci, ces filières doivent maintenant stabiliser et optimiser leurs moyens.

La même étude constate que les métiers des Risques ont suivi une trajectoire plus stable mais gardent une contrainte de gestion quantitative d’opérations qu’ils doivent optimiser.

métier de la conformité : une forte croissance à maîtriser

Suite à la crise des sub-primes de 2008 et l’avalanche de normes et de sanctions financières qui s’en suivirent, la fonction Conformité a considérablement renforcé ses moyens et ses effectifs.

L’étude précitée nous indique que ce très fort recrutement s’est opéré à 80 % en interne, dans un objectif d’intensifier la connaissance du métier et du terrain indispensable à la fonction.
L’effectif moyen des équipes Conformité est ainsi passé en l’espace de 5 ans de 2,4 % à 3,7 % de l’effectif total de la banque en 2019, rattrapant presque celui de la fonction Risques représentant 4,2 % de l’effectif à la même date.

Ce recrutement intensif s’est accompagné également d’une féminisation du métier, les femmes devenant majoritaires dans les effectifs Conformité à partir de 2016.

Parallèlement à ce développement en emplois, l’étude récemment publiée constate que la fonction Conformité, issu des fonctions juridiques, s’est profondément transformée pour devenir autonome et s’installer à part entière dans la fonction de contrôle permanent de 2ème niveau, dite encore « deuxième ligne de défense ».

Source : Etude « Evolution des Métiers de la Conformité et des Risques dans le secteur bancaire » réalisée par Topics pour l’Observatoire des Métiers de la Banque – Mars 2021

 

Selon l’enquête de l’Observatoire des Métiers de la Banque, le métier de la Conformité s’organise aujourd’hui autour de 3 pôles :

  • Pôle expertise garant des risques de non-conformité et organisé par type de risque :
    • La sécurité financière : regroupant les problématiques de LCB/FT (Lutte Contre le Blanchiment des capitaux et Financement du Terrorisme), le respect des sanctions internationales et des embargos, et la connaissance du client (KYC, Know Your Customer).
    • La déontologie, l’éthique et la conduite responsable : incluant la lutte contre la corruption, la prévention des conflits d’intérêt, et les enjeux de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises).
    • Les services responsables de l’application des réglementations
    • La data protection : protection des données personnelles
    • La protection de la clientèle
    • Le respect de l’intégrité des marchés
    • La lutte contre l’évasion fiscale.
  • Pôle supervision des métiers de la banque
  • Pôle Fonctions Transverses incluant les fonctions de secrétariat général, de formation, de pilotage des projets

L’étude précitée relève qu’après des années de fort développement, les enjeux spécifiques de la fonction Conformité se situent aujourd’hui :

  • Dans le management des équipes :Selon la même étude, le recrutement intense de ces dernières années devrait ralentir mais il est également nécessaire de pouvoir gérer et animer au mieux ces équipes, composées de profils très variés, chacun expert dans leur domaine.

    La montée en puissance des métiers de la Conformité s’est en effet réalisée par recrutements successifs de compétences très diversifiées, nécessaires pour couvrir tous les aspects du métier et les exigences du régulateur : profils juridiques issus de la déontologie, profils métiers issus de l’opérationnel et du réseau, profils experts en data et nouvelles technologies …

    Ces profils, souvent pointus, composent aujourd’hui la fonction Conformité, chacun spécialisé dans son expertise. Il est indispensable de savoir gérer ces ressources humaines et animer ces équipes.

    Le rapport de l’Observatoire des Métiers de la Banque souligne que ce management doit s’envisager de manière nouvelle et appropriée. Le manager ne doit pas rechercher sa légitimité dans sa technicité et être un expert parmi les experts. Il doit s’attacher prioritairement à sa fonction d’animation et de développement des talents de chacun.
    Pour cela, une formation spécifique est nécessaire, ainsi qu’une bonne coordination avec le service RH (Ressources Humaines).

  • Dans le rapprochement et la communication avec le terrain : L’étude menée remarque également qu’il est nécessaire à la fonction Conformité de se rapprocher du terrain, du cœur de métier, jusqu’aux techniques commerciales et aux produits. L’exhaustivité croissante des exigences de conformité demande en effet à être présent dès la conception des produits, afin de les adapter aux normes de régulation. La Conformité doit pour cela se rapprocher constamment des métiers dits « Business ».

    Or, originellement issue de la filière juridique, l’étude constate que la fonction Conformité est très localisée dans les sièges sociaux, plus éloignée en cela des métiers opérationnels et de la « première ligne de défense ».

    Cet enjeu a déjà été pris en compte dans les stratégies de recrutement avec la recherche de profils opérationnels et commerciaux.

    La même étude note que la proximité avec le terrain ressort lors des processus de traitements d’alerte. La fonction Conformité est en effet responsable des investigations dans les processus de sécurité. Elle traite alors les données dites « chaudes », en enquêtant et en analysant directement une situation jugée à risque, décrite et personnalisée.

    Selon le rapport précité, cette relation avec le terrain doit être encore intensifiée pour aboutir à une communication plus fluide, une compréhension des prérogatives mutuelles et une meilleure efficacité des activités respectives.

fonction risques : une filière plus stabilisée

Le métier des Risques correspond à une fonction historique de la banque.  Selon l’enquête de l’Observatoire des Métiers de la Banque, il s’est développé à un rythme plus mesuré ces dernières années. L’effectif est en effet resté relativement stable après une légère augmentation après les crises financières.

La même étude constate que le métier des Risques s’est également émancipé de la fonction Finances, pour devenir une filière autonome. Il intervient globalement dans six domaines :

  • Les risques de marché
  • Les risques de liquidité
  • Les risques pays ou politique
  • Les risques opérationnels
  • Les risques de crédit et de contrepartie
  • Les risques technologiques : IT (Information Technology) et cybercriminalité
  • Les risques climatiques et ESG

Historiquement plus proche du métier opérationnel, l’enquête indique qu’il est davantage réparti dans les implantations géographiques des banques, ce qui lui permet d’être en relation plus étroite avec les fonctions business et la « première ligne de défense ».

Sa particularité est de traiter d’un très grand nombre de données dites « froides », c’est à dire chiffrées et normalisées.

Selon l’étude publiée, les enjeux à venir pour le métier des Risques reposent principalement dans l’optimisation du nombre conséquent de ces traitements de données et la capacité à orienter l’activité vers des tâches à forte valeur ajoutée. Le rôle des nouvelles technologies est ici crucial comme nous allons le voir.

Les fonctions de la Conformité et des Risques ont connu des développements fort différents et doivent faire face à des contraintes spécifiques.

Pour autant, le rapport récemment publié identifie des défis communs que ces métiers doivent aujourd’hui relever.

métiers de la conformité et des risques : les défis communs

Les fonctions Conformité et Risques, malgré des parcours distincts, ont été soumises à des tendances proches et vont certainement, selon l’analyse précitée, connaître les mêmes enjeux à venir.

les évolutions similaires aux 2 métiers

Constat de l’étude, commun aux deux fonctions Conformité et Risques : elles sont devenues des métiers à part entière, dont les responsables sont souvent rattachés au plus haut niveau hiérarchique, développant autonomie et indépendance.

Les deux fonctions sont également aujourd’hui bien distinctes l’une de l’autre avec des périmètres d’intervention délimités. L’enquête constate ainsi que, même lorsqu’il est situé au sein de la filière Risque, le métier de la Conformité garde une place autonome.

L’étude rappelle que les deux métiers ont dû faire face ces dernières années à de nombreux défis communs :

  • L’entrée en vigueur des nouvelles réglementations ont concerné les deux fonctions : RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), Convention de Bâle, MIFID (Markets In Financial Instruments Directive), 4ème Directive UE 2015/849, Services de paiement DSP (Directive sur les Services de Paiement)
  • La montée en puissance de nouveaux domaines de risques : les sujets RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) mais aussi les impacts de réputation liés aux nouvelles communications par les réseaux sociaux
  • L’internationalisation : toujours aussi poussée, elle pose la question de la consolidation des données et de la maîtrise des risques.Sur ce point, le rapport indique que les établissements bancaires très implantés à l’international ont souvent fait le choix de l’offshoring, recrutant leurs fonctions Conformité et Risques directement dans les pays couverts. Cette internationalisation des activités Conformité et Risques soulèvent nécessairement le problème de la sécurité des données et des difficultés de communication. Pour ces raisons, certains établissements font aujourd’hui le choix d’un rapatriement de ces activités dans une zone plus proche de leur pays de base (nearshoring), voire d’une internalisation de ces plateformes.

Enfin, l’étude note que les deux métiers collaborent directement à la mise en place de certains outils comme la cartographie des risques et travaillent nécessairement ensemble sur les sujets de gestion des risques opérationnels ou de contrôle des risques de non-conformité.

un enjeu commun : insuffler la culture conformité et risques à tous les niveaux du métier bancaire

Pour l’étude menée par l’Observatoire des Métiers de la Banque, l’un des défis communs des filières Conformité et Risques est une meilleure synergie de métier avec la fonction opérationnelle dite « première ligne de défense ».

Il s’agit, selon l’analyse, de développer la culture Conformité et Risques au sein des activités « business ». Ceci suppose un travail de sensibilisation, de formation, de pédagogie, pour une meilleure acceptation et appropriation des nécessités règlementaires par les métiers de terrain.

En sens inverse, les fonctions Conformité et Risques doivent travailler à une meilleure compréhension des contraintes et des particularités des métiers opérationnels afin de devenir de véritables « business partners » les accompagnant sur le terrain.

nouveau challenge : une stratégie rh adaptée aux métiers conformité et risques

Selon l’enquête, les fonctions Conformité et Risque ne connaissent pas de difficultés d’attractivité et sont un passage valorisé dans les parcours professionnels.

Face à la forte demande pour rejoindre ces métiers, les politiques de recrutement sont devenues sélectives.

Mais le rapport relève que cette seule méthode ne suffit pas et que les deux métiers doivent aujourd’hui adapter leurs stratégies de ressources humaines. Il précise ainsi qu’il leur est nécessaire de :

  • Savoir gérer les nombreux profils disparates composant ces métiers et éviter les fractures :L’enquête a permis de constater que les deux fonctions Conformité et Risques sont composées de compétences très diverses et spécialisées :
    • Des profils issus de recrutements internes et provenant soit des métiers opérationnels et du réseau, des fonctions de juristes issus du secteur du contrôle, comme des spécialistes LCB/FT, aux profils souvent plus expérimentés et seniors.
    • Des profils externes, experts des nouvelles technologies (Big Data, Deep Learning, analyse de données) ou du RSE. Ce sont souvent de jeunes ingénieurs issus de cabinets de conseil.

Selon le rapport précité, cette composition hétérogène expose à des risques de dissociations entre profils juniors et plus seniors, mais aussi entre profils internes et externes. Ce dernier point pose la question des différences culturelles, de méthodes de travail différentes entre compétences externes et internes.

L’étude souligne qu’il est indispensable de créer un management adapté à cette situation et de le former.
Les managers doivent développer leur savoir-faire en termes d’animation d’équipe, de pratiques collaboratives, de conduite de projets. Ils doivent aussi gérer les risques de redondance d’activité et le turn-over des profils, particulièrement juniors. Ils ne sont plus attendus sur la seule maîtrise de leur expertise métier.

Des programmes de formation en leadership et en management, développés communément entre grandes écoles et établissements bancaires, sont mis en place pour cela.

Mais l’enquête précise que la réussite du management passe avant tout par :

  • la bonne collaboration entre le manager d’équipe Conformité et Risques et la direction RH.
  • l’adaptation des outils de ressources humaines et en premier lieu le niveau et les possibilités de formation aux nouveaux métiers de la Conformité et des Risques. Jusqu’en 2014, il existait peu de formations dédiées à ces métiers.Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des formations spécifiques, aujourd’hui fortement reconnues, ont été créées sur l’initiative des banques et d’institution de formation. L’étude de l’Observatoire des Métiers de la Banque relève ainsi l’existence de « partenariats avec l’Ecole Polytechnique, HEC ou l’ESBanque (Ecole Supérieure de la Banque),  par exemple, très novateurs ».

    Le rapport fait également référence au répertoire des métiers. Celui-ci doit évoluer pour prendre en compte ces nouvelles fonctions. Selon l’étude, l’AFB (Association Française des Banques) et les organisations syndicales travaillent également cette année à l’adaptation des conventions collectives à l’évolution de ces métiers.

  • L’étude prévient de la nécessité d’éviter l’hyper-spécialisation, qui risque d’apparaître suite aux recrutements d’experts de plus en plus pointus, en réponse aux exigences réglementaires dont le champ ne cesse de s’élargir.L’enquête indique que la fonction Risques, qui a plus de recul dans la gestion de son effectif, a déjà pris conscience de cette difficulté. La fonction Conformité va devoir aussi développer des profils plus généralistes ayant une vision globale des activités.

big data, ia, deep learning : les technologies de demain pour optimiser les métiers conformité et risques

Enfin, l’étude souligne l’importance des nouvelles technologies, indispensables aux deux métiers, Conformité et Risques, pour optimiser leurs moyens.

Selon l’enquête menée :

  • L’enjeu majeure de la Conformité est de passer d’une analyse et une réaction ex-post à la suite d’une alerte à une position pro-active permettant de détecter les signaux faibles de risque et les anticiper.
  • L’enjeu pour les Risques est de gagner en efficacité dans le traitement des nombreuses données chiffrées et de se focaliser sur les tâches à valeur ajoutée.

Les nouvelles technologies (Intelligence Artificielle, Machine Learning, Deep Learning, Big Data) permettent de répondre à ces problématiques.

L’étude de l’Observatoire des Métiers de la Banque conclut sur deux challenges fondamentaux pour les fonctions Conformité et Risques :

  • intégrer techniquement ces nouvelles technologies dans leur quotidien :Ceci suppose de fiabiliser les données et demande à réorganiser les systèmes d’information (SI) souvent mis en place par type de risque et d’exigence du régulateur. Il s’agit alors de sortir d’une organisation en « silos » constatée par l’étude et d’harmoniser les systèmes.
    Pour les groupes internationaux, cet enjeu est d’autant plus fort qu’il est nécessaire de produire des reportings consolidés.

    Parallèlement, le rapport indique que le niveau de digitalisation doit aussi augmenter. Ceci passe par une formation spécifique au sein des fonctions Conformité et Risques et le recrutement de compétences appropriées Data et IT.

    L’enquête a relevé que des start-up aux compétences technologiques spécialisées en Conformité, dites Regtech (Regulatory Technology) proposent déjà d’externaliser une partie de la gestion data des banques.

  • mais aussi, selon le rapport, faire entrer ces nouvelles technologies dans la stratégie d’entreprise et dans le cadre réglementaire.L’étude constate que les autorités régulatrices, bien qu’encourageant l’usage des nouvelles technologies, restent encore prudentes sur ce sujet. Les questions de la maîtrise du risque de ces nouveaux modèles et du niveau d’autonomie que l’on doit leur laisser restent en effet ouvertes.

    Dans la pratique, les techniques d’IA (Intelligence Artificielle) restent encore minoritaires et sont pratiquées parallèlement aux méthodes traditionnelles de contrôle et de traitement des données.

    Selon l‘étude, ces nouvelles technologies pourront plus rapidement se développer dans la fonction Risques qui manie beaucoup de données chiffrées et standardisées.

    Pour la Conformité, l’adaptation est plus délicate car les situations analysées correspondent à des données davantage personnalisées.

    Pour les deux métiers, la question reste néanmoins fondamentale.

    L’enquête a révélé que les méthodes actuelles de contrôle sont en effet très chronophages. Le nombre très conséquent d’alertes à traiter aboutit très souvent à des cas dits « faux positifs », à plus de 99 % selon l’étude précitée de l’Observatoire des Métiers de la Banque.

    Certains établissements, qui développent parallèlement l’IA dans la production d’alertes, commencent, selon l’étude, à avoir des résultats concluants : le nombre d’alertes déclenchées ne décroit pas avec ces méthodes technologiques mais sont mieux ciblées et aboutissent à environ 60 % de cas qualifiables de « vrais positifs ».

 

Le rapport souligne que ces expériences, transmises au régulateur, permettront de faire avancer l’usage des nouvelles technologies et les positions bancaires et réglementaires à ce sujet.

De manière générale, après le développement des normes et des sanctions d’après crise, l’étude constate que les relations entre les banques et les régulateurs entrent aujourd’hui dans une période plus ouverte et propice à la construction commune de fonctions Conformité et contrôle des Risques efficaces.

Auteur

Anne Brouard 

Anne Brouard est Intervenante-formatrice pour l’ESBanque

Formation aux métiers de la conformité : les nouveaux enjeux

Formation aux métiers de la conformité : les nouveaux enjeux

Temps de lecture estimé : 9 min

Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Diversité et spécialisations des métiers, adaptative learning, intégration des compétences comportementales, la formation à la conformité doit répondre à de nouveaux besoins.

 

Le métier de la conformité a connu ces dix derniers années une mutation profonde obligeant parfois par la force des événements les établissements financiers à repenser leurs parcours de formation. Il est important de se pencher sur les besoins de formation de ces dix dernières années, afin de comprendre ceux des dix prochaines et résoudre les nouvelles problématiques.

Il y a plus de 20 ans, la conformité était entendue comme une déclinaison d’un métier existant, celui du juridique ou du contrôle des risques. Ce rattachement à l’un ou l’autre des deux métiers avait pour conséquence des recrutements des chargés de conformité soit dans la population des juristes, soit dans la population dite des « risquars ».

L’approche était somme toute logique. On pouvait considérer la conformité comme une fonction de conseil juridique portant sur les normes pénales, administratives, civiles ou même internes, telle la déontologie qu’un salarié devait respecter à l’égard de son employeur et des clients. On pouvait aussi considérer la conformité comme une fonction de contrôle de risques opérationnels, voire d’un risque spécifique comme celui de réputation. Dans les deux cas, les besoins de formations étaient identifiés et servis par les formations juridiques ou de contrôle des risques, assis sur un socle de connaissances principalement théoriques.

Mais depuis quelques années, sous la pression des régulateurs et les montants croissants des sanctions pécuniaires infligées aux établissements financiers, la fonction de conformité a pris corps de façon autonome, professionnalisant ses besoins de recrutement et de formation. Le point sur ces évolutions et ces nouveaux enjeux.

métiers de la conformité : de nouveaux savoir-faire indispensables

Cette évolution des besoins de formation s’est exprimée tout d’abord dans une exigence de pertinence du savoir des chargés de conformité : les établissements financiers demandent aux métiers de la conformité un véritable savoir-faire.

La première illustration de ce savoir-faire c’est la connaissance des métiers sur lesquels s’exercent le conseil ou le contrôle de conformité. L’un des reproches fait régulièrement à l’encontre des chargés de conformité est la connaissance insuffisante des métiers ou produits bancaires.

Par exemple, en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, le chargé de conformité doit être capable de porter une analyse du risque au regard du client, du service, du produit, du canal de distribution voire du/des pays concernés sur un dossier. Très naturellement, un salarié ayant acquis une expérience de terrain en réseau ou en banque de financement aura une pertinence dans l’analyse des dossiers.

Concernant les marchés financiers et la commercialisation de produits financiers, la réglementation issue de la crise financière de 2008 a obligé les établissements financiers à renforcer leurs dispositifs sur la transparence de l’information à l’égard des investisseurs et l’intégrité des marchés financiers. Les services de conformité étant les garants du respect de la réglementation en interne, le recrutement s’est naturellement dirigé vers des salariés ayant une expérience des produits et marchés financiers.

La seconde illustration de l’exigence de savoir-faire, c’est la compréhension des processus de l’établissement. Plus précisément, une cartographie des risques de non-conformité et des plans de contrôle passe nécessairement par une connaissance des processus organisationnels de l’activité dont le chargé de conformité a la charge, pour servir au mieux le pilotage des risques par le management.

La troisième illustration de l’exigence de ce savoir-faire, c’est la clarté et la pertinence des règles de conformité avec le fonctionnement opérationnel de l’établissement. Si la règle est trop générale car non-contextualisée à l’environnement de l’établissement et trop obscure car incompréhensible par le salarié, alors le dispositif de conformité devient fragile.

Enfin, la quatrième illustration de ce savoir-faire, c’est la capacité à pouvoir travailler en mode projet. En effet, les processus organisationnels et le recours à des outils ou encore des projets de développement commerciaux génèrent inévitablement des projets mobilisant d’une façon ou d’une autre le service de la conformité. Celui-ci devra être capable de pouvoir s’insérer dans la gouvernance d’un projet, en comprendre les livrables pour pouvoir démontrer sa pertinence.

Au travers de ces quelques illustrations, la formation en matière de conformité ne peut se suffire d’un enseignement purement théorique axé sur la maîtrise des connaissances. Aussi, la formation en conformité doit axer ses objectifs de formations sur l’acquisition de compétences et notamment celles qui ont été décrites ci-dessus.

Toutefois, si la nécessité de l’acquisition de compétences de savoir-faire est simple à édicter, les modalités de formation et la pédagogie ne sont pas si évidentes à tracer et ceci pour plusieurs raisons.

conformité et formation : les nouveaux challenges pédagogiques

La formation aux métiers de la conformité doit répondre aujourd’hui à plusieurs défis.

conformité : une grande diversité de métiers

On ne parle pas aujourd’hui du métier de la conformité mais des métiers de la conformité.

La filière conformité comporte de nombreuses spécialités comme la protection de l’intérêt du client, la prévention des abus de marchés, la sécurité financière, laquelle inclut la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, les sanctions et embargos … , autant de spécificités qu’il existe de réglementations françaises, européennes et extra-européennes.

Il en ressort une certaine complexité technique qu’il est n’est pas aisé d’adresser en une seule formation.

Plus encore, l’exigence de technicité étant croissante, il convient d’élaborer une proposition pédagogique avec des contenus de haut niveau, qui puisse satisfaire une population de chargés de conformité de plus en plus spécialiste. Là où traditionnellement, une formation généraliste ou une explication de la réglementation pouvait être demandée par les établissements, la proposition doit aujourd’hui permettre techniquement aux apprenants d’acquérir de la compétence dans leur domaine d’expertise de conformité, qui est déjà par essence très spécialisé.

Ainsi se profile la question du coût de conception d’un tel dispositif qui intègre nécessairement une ingénierie pédagogique plus poussée et de haute valeur ajoutée.

adaptative learning : une méthode indispensable à la formation aux métiers de la conformité

Une autre difficulté est le ciblage des personnes à former en conformité.

Si la question de la fragmentation des besoins oblige à prévoir davantage de formations spécifiques que par le passé, il n’en demeure pas moins la nécessité de former de façon généraliste des nouveaux entrants dans la filière de conformité.

Le recrutement de ces nouveaux entrants s’effectuant principalement au sein des établissements financiers par le jeu des mobilités internes, la détection du niveau initial de l’apprenant est essentielle pour proposer un dispositif de formation adéquate et adapté.

Cette idée de « l’adaptive learning » constitue un levier intéressant dans un dispositif pédagogique où le temps consacré à la formation doit être optimisé.

Ainsi, si le nouvel entrant a accumulé près de 15 ans d’expérience professionnelle en tant que chargé de relation en banque privée, il n’est pas impossible qu’il ait acquis des compétences en anti-blanchiment de capitaux ou encore concernant MIFID2. Cette hypothèse pourrait être vérifiée par une série de tests lui permettant de suivre un parcours de formation soit accéléré, soit qui approfondisse les compétences dans des domaines où il est moins expert.

Toutefois, cette démarche d’adaptive learning doit reposer sur une série de questions suffisamment bien construites pour déduire que l’apprenant, présentant une certaine expérience (certains diraient « un profil »), possède un niveau de compétences suffisant. Un simple test de connaissances de type QCM (Questions à choix multiples) n’est pas suffisant.

Par ailleurs, le périmètre des personnes à former dans les sujets de conformité tend à aller au-delà de la filière conformité.

Avec la réforme de Bâle, la structuration du contrôle interne, avec notamment une revue des processus de 1er et 2nd niveau de contrôle, a fait émerger des évidences qui avaient été oubliées, voire non-comprise, par les établissements financiers : le risque est l’affaire de tous.

Les métiers opérationnels doivent ainsi opérer des contrôles de conformité comme l’identification d’un client par exemple.

En fait, la conformité n’est plus le monopole de spécialistes localisés dans une fonction support de l’établissement, tout simplement parce que la réglementation oblige à une formation en conformité et à une évaluation de salariés non-spécialistes de la conformité. Certaines réglementation comme MIFID2 par exemple impose une estimation annuelle des besoins de formation des salariés ayant des activités liées à cette réglementation européenne.

Plus encore, la réglementation peut imposer d’obtenir une certification ou une capacité pour pouvoir exercer des activités réglementées, comme par exemple la certification AMF (Autorité des Marchés Financiers).

Pour les nouveaux entrants, qui n’ont pas eu d’expérience professionnelle passée dans le secteur bancaire et financier, l’obtention de ces certifications nécessite une préparation plus lourde et spécifique. L’adaptive learning trouve ici tout son intérêt, car il permet au nouvel entrant d’acquérir très rapidement, à la fois des connaissances, mais aussi des compétences.

formation à la conformité : pédagogie digitale ou présentielle ?

Un bon équilibre entre la pédagogie digitale et le présentiel est fondamental.

L’évolution de la technologie et les nouvelles modalités d’acquisition de connaissance par des moyens digitaux ont modifié l’environnement de la formation.

L’accroissement des obligations de formation des salariés et la crise sanitaire du COVID ont conduit les établissements à privilégier des solutions digitales asynchrones, comme les e-learnings, mais aussi l’enseignement distanciel synchrone. La filière conformité n’échappe pas à la règle.

Si ces solutions offrent des avantages indéniables dans la gestion du temps et sur le plan pratique, l’expérience montre qu’en matière de conformité, elles ne peuvent pas être déployées sur toutes les compétences, certaines demandant un accompagnement plus poussé.

A titre d’exemple, la cartographie des risques et leur évaluation est une thématique nécessitant des approfondissements et un partage d’expérience de la part de professionnels en présentiel. A l’inverse, le rappel du cadre législatif et réglementaire est peut-être plus propice à une pédagogie digitale qu’à un cours en présentiel.

conformité et évaluation des compétences

La loi Avenir de 2018 sur la formation a conduit les organismes de formation à structurer leur pédagogique autour de la compétence, et non de la connaissance.

Ainsi, pour enregistrer un diplôme ou une certification auprès de France Compétences (instance nationale de la formation professionnelle et de l’apprentissage), les organismes de formation doivent fournir un référentiel de compétences, lesquelles doivent être évaluées.

Les évaluations fondées sur des quiz, des questions à choix unique ou multiples ne sont pas admises.

Cette exigence de France Compétences a pour effet d’écarter du marché de la formation les officines ayant des pratiques peu qualitatives en matière de formation et d’évaluation.

Mais cette obligation a également pour effet d’augmenter le coût de l’évaluation des compétences, puisqu’elle oblige les organismes de formation à mettre en place des dispositifs d’évaluation plus complexes pour chacune des compétences décrites dans le référentiel de compétences.

Pour une formation généraliste en conformité par exemple, ce formalisme oblige tout d’abord à lister précisément les compétences attendues d’un chargé de conformité, telle la conception d’une formation en conformité. Puis, il s’agira d’imaginer comment évaluer la compétence d’un chargé de conformité dans la conception d’une action de formation.

De nombreuses questions se posent alors : comment évaluer cette compétence ? Doit-on le faire par un examen final écrit ou oral ? Doit-on le faire par un travail individuel en fin de parcours ou en contrôle continu ? Doit-on prévoir des travaux de groupe avec une évaluation par les pairs ? Autant de questions qui doivent être évaluées au regard des moyens disponibles pour l’organisme de formation.

le savoir-être : un nouveau sujet de formation à la conformité

Il est nécessaire de former aujourd’hui à un autre type de savoir : le savoir-être.

Les organismes de formations ont pour habitude de coupler le développement des savoir-faire par des savoirs-être, communément désignés par les termes de « soft skills ». Ces compétences comportementales regroupent des aptitudes comme notamment la confiance, l’empathie, l’intelligence émotionnelle, la vision, la créativité ou encore la gestion du stress ou la sécurité psychologique.

Si ces qualités comportementales sont largement développées dans les formations commerciales ou managériales, il est curieux de constater que ces compétences sont très peu enseignées dans les formations techniques comme celles de la conformité.

Alors qu’il peut sembler logique d’associer communication et conformité, ou encore gestion du stress et conformité, il peut paraître a priori étrange de relier empathie et conformité, ou vision et conformité. Ses savoir-être sont pourtant essentiels.

L’empathie peut se définir comme la compréhension de la réalité de l’autre. La maîtrise d’une telle compétence peut emmener le chargé de conformité à décupler ses savoir-faire dans l’édification d’un dispositif de contrôle, d’une procédure ou encore la compréhension des produits ou nouveaux produits qui lui sont soumis.

Le chargé de conformité va ainsi non pas opposer à ses collègues la réalité d’une règle de conduite qu’il maîtrise,  mais s’approprier l’univers organisationnel de ses collègues pour donner vie à la règle de conduite, qui sera in fine plus facilement et logiquement adoptée.

La communication est par ailleurs une compétence indispensable pour transmettre des messages de conformité le plus souvent empreints d’obligation voire d’interdiction. Ces qualités sont d’ailleurs incontournables  pour mener des actions de formation interne auprès de collègues, tant cela conditionne la visibilité du chargé de conformité dans l’établissement et l’efficacité du dispositif de prévention des risques de non-conformité. Plus encore, la communication tant orale qu’écrite est une compétence humaine qu’il convient de maîtriser pour rendre lisible une décision, un conseil ou une mesure à l’égard du management.

La visualisation ou la vision d’un risque peut être un puissant levier dans certains domaines, telle la cartographie des risques.

L’une des missions de la conformité est de pouvoir prévenir le risque de non-conformité.  Ce risque est défini à l’article 10 de l’arrêté du 3 novembre 2014 modifié : « le risque de non-conformité est un risque de sanction judiciaire, administrative ou disciplinaire, de perte financière significative ou d’atteinte à la réputation, qui naît du non-respect de dispositions propres aux activités bancaires et financières, qu’elles soient de nature législative ou réglementaire, nationales ou européennes directement applicables, ou qu’il s’agisse de normes professionnelles et déontologiques, ou d’instructions des dirigeants effectifs prises notamment en application des orientations de l’organe de surveillance. ».

Au regard de cette définition issue du Comité de Bâle, comment pourrions-nous prévenir un risque de conformité dans un établissement si nous nous ne pouvions pas visualiser ce risque ? Certaines personnes affirmeront que cela est possible en étudiant les décisions de sanctions des autorités et les textes juridiques. D’autres personnes auront peut-être une approche plus réaliste en évoquant une phrase de Nassim Nicholas Taleb dans le Cygne noir : « le problème avec les experts c’est qu’ils n’ont aucune idée de ce qu’ils ignorent ». Est-ce que le risque n’est-il pas celui que nous aurions écarté par des lois probabilistes ou par le bon sens ou croyance commun ?

 

Ces quelques exemples de soft skills tendent à montrer qu’une matière a priori aussi technique que la conformité nécessite de nombreuses compétences comportementales. Reste à définir un référentiel de compétences permettant de sublimer les savoir et savoir-faire en matière de conformité.

Auteur
 Miriasi Thouch
Miriasi Thouch – Responsable Expertise métiers et Ingénierie pédagogique –
Learning Factory ESBanque